Hocine Aït Ahmed, le militant infatigable de la démocratie

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Algeria-Watch.org

addiLahouari Addi, 6 janvier 2016

Hocine Aït Ahmed, l’un des neuf chefs historiques du FLN, est décédé mercredi 23 décembre dernier en Suisse à l’âge de 89 ans. Impliqué dès son jeune âge dans la lutte nationaliste, il adhère au Parti du Peuple Algérie (PPA) à 17 ans alors qu’il était lycéen. A 20 ans, il rédige pour la direction du parti le texte connu sous le nom « rapport Zeddine » qui esquisse la stratégie de la lutte armée. A la suite de ce rapport, le parti crée l’Organisation Secrète (OS) qu’il dirigera après la mort de Mohamed Belouizdad. Suite à la crise qui secoue le parti au début des années 1950, il appartiendra au courant populiste révolutionnaire qui créera le FLN et qui lancera l’insurrection le 1er Novembre 1954. En 1956, il est arrêté avec Ben Bella, Boudiaf, Khider et Lacheraf dans l’avion qui avait été mis à leur disposition par le roi Mohammed V et qui avait été détourné par l’armée de l’air française au-dessus de la méditerranée. Libéré lors du cessez-le-feu en mars 1962, il s’opposera en vain au renversement du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) par l’Etat-Major dirigé par le colonel Houari Boumédiène. Il sera élu député dans la nouvelle Assemblée Nationale, se faisant remarquer par ses prises de position en faveur d’un Etat de droit et d’élections pluralistes. Lorsque le tandem Boumédiène-Ben Bella imposera le système du pari unique, il organise en 1963 une dissidence armée qui se limitera à la Kabylie. Arrêté en 1964, il sera jugé et condamné à mort par le régime de Ben Bella. Il s’évadera de prison en 1966 et s’installera à l’étranger où il continue à diriger son parti, le FFS, dans la clandestinité.
A la suite des émeutes d’octobre 1988 qui mettront fin au système du parti unique, il rentre à Alger pour réorganiser son parti et le faire participer aux différentes élections. Face à la déferlante islamiste, il incarne l’espoir d’une démocratie ancrée dans les idéaux du mouvement national dont il est une des figures emblématiques. Il accepte le résultat des urnes même lorsque les élections sont remportées par les islamistes. C’est ainsi qu’il s’oppose à l’annulation du scrutin remporté par le FIS fin décembre 1991, et appelle à une marche historique le 2 janvier 1992 qui rassemble plus d’un million de personnes à Alger sous le slogan « ni Etat policier, ni Etat intégriste ». Cela n’empêche pas le coup d’Etat de janvier 1992 qui fera plonger le pays dans une violence meurtrière. En janvier 1995, il prendra part à la réunion de Rome à laquelle participent les partis qui ont eu des députés en décembre 1991 (FIS, FFS et FLN). Il apportera sa vision et son expérience dans la rédaction de la « Plate-Forme de sortie de crise », appelée « le contrat de Rome », rejeté par les chefs militaires opposés à l’idée de laisser la politique à des civils qu’ils ne choisissent pas. Malgré les pressions sur les militants de son parti, dont certains ont été assassinés dans des conditions non élucidées à ce jour, et malgré les campagnes de dénigrement dont il était quotidiennement l’objet, celui que le DRS appelait « le marabout de Lausanne » s’accroche à l’espoir d’un Etat civil dirigé par des élites représentatives élues par la population. Son parti présentera sa candidature au scrutin présidentiel d’avril 1999. Ayant été informé la veille que les chefs militaires avaient donné des instructions à l’administration pour truquer les élections en faveur de leur candidat, Abdelaziz Bouteflika, il se retire en refusant de légitimer par sa participation une élection dont le résultat avait été décidé à l’avance.
Profitant de sa maladie apparue en 2012, la police politique infiltre le FFS et suscite une crise au sein de la direction, ce qui affaiblit le parti qui perdra des cadres de grande valeur. Soumis à des pressions de la part du régime, celui-ci arrive à infléchir sa ligne politique en lui faisant accepter les élections truquées et la gestion policière du champ politique. Après avoir détourné le FFS de sa vocation de vrai parti d’opposition, le régime opère un hold-up sur la mémoire de Aït Ahmed en suscitant des articles de presse dithyrambiques sur lui, occultant son combat pour la démocratie. Dans son message de condoléances à la famille du défunt, le président Bouteflika ira jusqu’à écrire que Aït Ahmed s’était évadé de la prison française alors qu’il s’était évadé en 1966 de la prison à l’époque du colonel Boumédiène. Après l’avoir pourchassé de son vivant, le régime récupère sa mémoire en décrétant un deuil national de 8 jours pour mieux cacher ce pourquoi Aït Ahmed a combattu. Avec lui, l’Algérie a raté l’occasion de se donner comme Chef d’Etat un homme qui incarnait à la fois le nationalisme et l’idéal démocratique universel.
Lahouari Addi
Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon

5 Commentaires

  1. grand merci professeur pour cette contribution sur AIT AHMED…EN 1992 VOTRE FAMEUSE SIGNATURE sur « LA REGRESSION FECONDE » a un moment ou les libertes etaient vraiment muselees fait de un vous un homme de principes vous n avez pas attendu la fin des tsunamis pour afficher vos positions …plus que jamais la societe attend de vous d etre plus eclairee sur les en-jeux mais surtout sur la position a adopter pour que la enieme trituration de notre constitution ne soit pas adoptee sans nous! c est le moment plus que jamais dtre au rendez-vous de l histoire a un moment ou « l encanaillement de l elite devient un attribut valorisant…

  2. Je n’ai absolument rien contre notre « sommité » nationale: le Professeur Émérite Lahouari Addi auquel je lui voue tout le respect dû au rang et aux connaissances qui sont les siennes et qui le placent ou le déferrent au rang qu’il occupe et qu’il n’usurpe point mais, « perso »,
    je vois mal comment l’on puisse considérer et donner de l’importance à cette fameuse thèse « fumeuse » de régression « féconde »…
    Pour moi, comment une régression peut-elle être « féconde »? Que l’on m’explique cela… svp!
    Comment et pourquoi:
    – La pratique d’un assassinat de masse sur son propre peuple… que l’on appelle plus communément un – GÉNOCIDE – peut-il être considéré comme une régression « féconde »…!?
    – Les assassinats d’intellectuels: BOUCEBCI, Djilali LYABESSE et tous les autres…
    – Les assassinats de journalistes, d’hommes de lettres, d’artistes écrivains, d’hommes de théâtres, de chanteurs, d’hommes du peuple boussata…
    – Les assassinats d’hommes politiques…
    – Les assassinats dans toutes les catégories de nos couches sociales puissent être considérés comme une régression « féconde »… how come?
    Bilah aâlikoum fahmouni yal khaoua???
    C’est à devenir dingue…!!!
    Je ne sais pas. Je ne comprends plus rien à ce qui nous arrive quand on s’auto-flagelle de la sorte en disculpant l’assassin par une formule aussi oiseuse que pernicieuse que cette formule sortie directement des… JE PRÉFÈRE NE PAS CONTINUER POUR NE PAS OFFUSQUER ET METTRE EN BOULE CERTAINS…….

  3. JE PENSE QU IL N Y A PAS LIEU DE REMUER LE COUTEAU DES PLAIES DES ANNEES DE BRAISES UN MORT C EST TOUJOURS UN MORT DE TROP! MAIS….QUAND DES DECIDEURS DECIDENT D ARRETER UN PROCESSUS ELECTORAL ET QUILS SAVENT QUE CA VA COUTER UN MINIMUM DE 60 000 MORTS ET CA A COUTE 300 000 !ET QUAND L ELITE EST INVITEE A SOUTENIR CETTE BARBARIE ET L HISTOIRE RETIENDRA QU ELLE L A SOUTENUE…C EST QU IL Y A QUELQUES CHOSE QUI CLOCHE….IMAGINEZ CETTE SITUATION EN EUROPE ….ILS ONT BIEN L EXTREME DROITE….mais NE S AMUSERONT JAMAIS A OPTER POUR CETTE VOIE….IL EST VRAIS QU ILS N ONT PAS L EQUIVALENT DU DRS…..cette periode cruciale du pays sera un jour ou l autre traitee et autopsiee …..par des gens de haut niveau comme feu AIT AHMED RAHIMAHOU ALLAH QUI EST UN VRAIS DEMOCRATE………..LE REFUS DE L AUTRE CE N EST PAS
    SEULEMENT LE propre des MOUVEMENTS ISLAMISTES C EST AUSSI DE NOMBREUX « DEMOCRATES » ….. c est un debat delicat qui ne peut etre evacue en quelques lignes…..

    • @AMAR
      « …ET QUAND L’ELITE EST INVITEE A SOUTENIR CETTE BARBARIE ET L’HISTOIRE RETIENDRA QU’ELLE L’A SOUTENUE…C’EST QU’IL Y A QUELQUES CHOSE QUI CLOCHE…. »
      Entièrement d’accord avec vous, car en peu de mots, vous avez absolument TOUT dit d’une façon nette, claire et précise.

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