Révision Constitutionnelle. Lahouari Addi : « Une façon de constitutionnaliser l’autoritarisme

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APNDÉCRYPTAGE. Professeur à l’Institut de Sciences Politiques de Lyon, Lahouari Addi plonge, pour « Le Point Afrique », dans les méandres de la logique de cette réforme.

Le Point Afrique – le 08/02/2016 . Propos recueillis par Hassina Mechaï
Quatre cent quatre-vingt-dix-neuf députés pour, 2 contre et 16 abstentions. Avec ce vote à main levée, l’Algérie vient de se doter d’une nouvelle Constitution. Dans la foulée de la fièvre qui avait saisi le monde arabe et ses si proches voisins tunisiens et libyens, le président Abdelaziz Bouteflika avait, en avril 2011, annoncé cette réforme, laquelle aura mis donc presque 5 ans à être portée sur les fonts baptismaux du Parlement. Pourtant l’Algérie semble avoir moins en tête sa réforme institutionnelle que la crise économique qui couve et l’austérité qui en découle, et ce, en raison de la chute abyssale du cours du brut. À l’angoisse économique s’ajoute l’incertitude politique alors que la guerre de succession de l’après-Bouteflika semble déjà se profiler. Lahouari Addi explique.
Le Point Afrique : Quels sont, selon vous, les points saillants de cette réforme constitutionnelle ?
Lahouari Addi : Deux points sont à retenir : d’abord la limitation à deux mandats présidentiels. À ce propos, il est à noter que cet article portant sur le nombre de mandats avait été justement abrogé lors de la dernière réforme constitutionnelle de 2008 pour permettre à Abdelaziz Bouteflika de se présenter une troisième, puis une quatrième fois. C’est aussi une façon de se poser en pays démocratique, de donner un gage. Mais du moment où l’armée dispose du pouvoir effectif, cette mesure a peu d’importance. Le second point à retenir est l’interdiction faite désormais aux binationaux d’accéder à certaines hautes fonctions au sommet de l’État, dont celui de gouverneur de la Banque centrale, de directeur général de la Sûreté nationale, de président de la Cour suprême…
À propos de cet article 51 qui interdit certaines fonctions aux binationaux, comment expliquez-vous cette mesure ?
Il faut comprendre le contexte politique algérien. Le régime est discrédité et a perdu toute crédibilité. L’opinion publique algérienne est très critique sur la corruption des dirigeants, généraux ou hauts fonctionnaires. Des millions de dollars ont été détournés et placés dans des banques étrangères. Cette mesure contre les binationaux permet donc à ce régime de montrer qu’il est ainsi nationaliste et patriote. Il s’agit, selon moi, surtout d’une mise en scène qui permet de déplacer le débat ailleurs que sur ces scandales. Et puis, il est étrange que la Constitution interdise certaines fonctions aux binationaux désignés comme tels alors que le Code de la nationalité algérien ne reconnaît tout simplement pas la binationalité. Cela signifie donc que désormais il y a constitutionnalisation d’une catégorie d’Algériens. Tout cela fait partie des contradictions de cette réforme constitutionnelle.
La presse algérienne est plutôt critique. Certains parlent de « marketing politique ». L’ancien candidat à la présidentielle, Ali Benflis, dénonce quant à lui « un coup de force constitutionnel pour régler les seuls problèmes du régime politique en place et non ceux du pays ». Que pensez-vous de ces critiques ?
La Constitution n’a pas la même portée symbolique dans un pays autoritaire comme l’Algérie. Je dirais même que ce texte n’est pas fondamental. D’ailleurs, chaque fois que la Constitution a été violée, elle l’a été par le régime. En Algérie, elle n’est pas comprise, comme dans les pays démocratiques, comme un texte qui institutionnalise les rapports entre les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, ou pose des limites au pouvoir exécutif. Non. La Constitution, dans un pays comme l’Algérie ou l’Égypte aussi, sert simplement à donner une base légale à un régime autoritaire. C’est une façon de constitutionnaliser l’autoritarisme ainsi que la non-participation de la population et des différents courants représentatifs de la société au pouvoir.
Cette réforme constitutionnelle vous semble donc porteuse de cela ?
Je rentre d’Algérie et personne ne parle de cette réforme, car elle n’a pas d’importance. Les Algériens ont compris que le régime cherche seulement à se doter d’une base juridique à son autoritarisme. Il ne faut pas oublier que l’Algérie demeure un régime militaire et que l’armée utilise des civils pour diriger l’État. C’est une donnée historique qui n’a pas changé depuis 1962. Le reste est simplement de la gesticulation.
Votre analyse expliquerait-elle ainsi pourquoi cette réforme a été adoptée par le Parlement et non par voie de référendum ?
Le référendum n’aurait pas été probant, car il n’est pas certain que les Algériens se seraient déplacés pour voter, sachant que le régime a été le premier à violer la Constitution. Le problème n’est pas là. Le problème politique fondamental en Algérie est comment faire en sorte que l’armée, de façon graduelle, se retire du champ étatique et du contrôle des institutions. Car la source de l’autorité politique en Algérie, l’équivalent de la Nation en France, demeure l’armée. Ce pays a besoin d’une transition vers le retrait de l’armée. En 1992, il y a eu une tentative de transition brutale qui a fini dans le sang. Il faudrait un retrait graduel, mais il faudrait également que le commandement militaire accepte ce retrait. Au final, l’Algérie est devant deux alternatives : soit un scénario à la syrienne, ce qui suppose alors l’intervention des puissances étrangères ; soit cette situation de blocage que connaît le pays et que l’on retrouve aussi en Égypte. Tant que les officiers algériens ne seront pas convaincus des avantages de la démocratie, elle n’existera pas réellement dans ce pays.
Alors pourquoi avoir lancé cette réforme décidée dans la foulée des « Printemps arabes » ? Est-ce une façon, pour le régime algérien, de donner des gages à l’intérieur mais surtout à l’international ?
Oui, il y a de cela, c’est incontestable. La santé du président Bouteflika est aussi un facteur à prendre en compte. Il s’agit de limiter également le nombre de mandats du prochain président. (En 2008, la limitation du nombre de mandats avait été abrogée pour permettre à l’actuel chef de l’État de se représenter pour un troisième mandat en 2009, puis un quatrième en 2014, NDLR).
Que pensez-vous de l’article qui reconnaît officiellement la langue tamazight et l’article 2 qui reconnaît l’islam comme religion de l’État ?
C’est une avancée, sur le papier. Mais comment cela se traduira concrètement ? C’est une autre question. On reste encore là dans la mesure symbolique floue dont on ne sait pas comment elle sera traduite dans les faits. Ce flou constant est la simple traduction du fait que le régime algérien envisage au final très difficilement la participation concrète de la population algérienne aux activités politiques. Quant à l’article 2, cette inscription dans la Constitution n’a aucune incidence dans un pays où 99 % de la population est musulmane. C’est encore là une mesure symbolique, un peu démagogique, qui n’a aucune portée. Et puis que veut dire vraiment « islam religion d’État » ?
Pourquoi cette référence appuyée dans le préambule à la décennie noire de la guerre civile algérienne ?
Il me semble que cela traduit la mauvaise conscience de certains dirigeants. Cette période a quand même vu la mort de 200 000 morts. Au lieu de créer des tribunaux pour faire la vérité sur cette tragédie, ils préfèrent écrire des préambules. Mais l’Histoire retiendra qu’ils ont provoqué une tragédie qui a coûté à l’Algérie 10 ans de terreur, et que l’arrêt du processus démocratique en janvier 1992 a été une aventure militaire.
Le Premier ministre Abdelmalek Sellal a fait justement allusion à ces événements en déclarant que cette réforme sera « un rempart contre les aléas du changement politique » dans l’hypothèse de l’arrivée au pouvoir d’un parti islamiste…
Le problème du régime algérien n’est pas l’arrivée au pouvoir d’un parti islamiste, mais l’idée même d’une alternance démocratique et que l’armée quitte le pouvoir. Le coup d’arrêt au processus électoral de janvier 1992 décidé par l’armée ne l’a pas été car le FIS (Front islamique du salut) risquait d’emporter les élections. Si le FFS (Front des forces socialistes de Hocine Aït Ahmed) avait remporté les élections, l’armée serait aussi intervenue. Ce coup d’État a été fait car ces élections menaçaient simplement le régime militaire.
Vous parliez de « base légale donnée à un régime autoritaire » via cette Constitution. Mais pourquoi ce besoin, et pourquoi maintenant ?
D’abord, le régime ne veut absolument pas que le prochain président fasse plus de deux mandats : c’est vraiment le cœur de cette réforme. La seconde raison tient au fait que certains généraux voient d’un très mauvais œil la double nationalité que détiennent certains ministres et hommes politiques. Tout cela est parti de l’affaire Chakib Khelil, (ancien ministre de l’Énergie et des Mines de 1999 à 2010, démis de ses fonctions pour corruption, NDLR), lequel aurait la double nationalité américaine. D’autres caciques du pouvoir posséderaient aussi une carte de résidence française, ce qui les autorise de fait à demander la nationalité française, au bout d’un certain délai. Certaines mesures dans cette Constitution ne traduisent que des luttes de clans à l’intérieur du régime. Un clan a réussi à imposer l’interdiction de ministres binationaux.
Abdelaziz Bouteflika a pu être décrit comme souhaitant imprimer sa marque à l’Algérie et laisser un héritage institutionnel. Cette réforme traduit-elle cette volonté ?
Le problème est que je ne vois pas beaucoup de différences entre cette Constitution et la précédente. Mais, de toute façon, Abdelaziz Bouteflika n’a pas de pouvoir réel, seulement symbolique. Son état de santé est la preuve que le vrai pouvoir n’est pas entre ses mains. Il n’a pas parlé à la population depuis cinq ans, ni même assisté à la prière de l’Aïd depuis trois ans. Ce qui est grave dans un pays musulman. Le démantèlement du DRS* qu’on lui attribue est également le fait de l’État-major algérien. Différents clans se battent pour le pouvoir dans l’Algérie post-Bouteflika. Le commandement militaire a voulu mettre de l’ordre au sommet de l’État et a repris en main dernièrement le DRS. Ce dernier était allé trop loin dans des affaires de corruption dans lesquelles la plupart des accusés étaient des officiers de ses rangs. Ensuite il était devenu trop visible, ce qui montrait de façon trop évidente que l’armée était réellement au pouvoir. Enfin, le DRS est aussi allé trop loin dans des manipulations de terroristes islamistes, surtout à l’étranger. Les États-Unis et certains pays européens ont demandé que cela cesse.
http://afrique.lepoint.fr/actualites/revision-constitutionnelle-algerie-lahouari-addi-une-facon-de-constitutionnaliser-l-autoritarisme-08-02-2016-2016300_2365.php

7 Commentaires

  1. Salam Merci Essi Addi
    Je veux juste rapeter ce qu ´a dis un intervenant d´Oran á la television Almagharibia quand il voulait donner son avis sur la constitution sur l article 51:  » Les immigres de l´etranger doivent etre vraiment content.. au moins ils ont eu droit a un article quand a nous immigres en Algeriens on a rien eu.
    Sinon on eu droit a l article 3 & 8 qui veux dire les deux doigts en les content de 1 a 10 et qui veux aussi dire il va faloir changer le peuple car le pouvoir ne change jamais ».
    Havel a di qu il n y a pas de peuple victime mais des peuples complices. Tout le monde connais la valeur de ce pouvoir et a leur service les prostitues devoues qui offre meme la salive (parlements, sinatours, journalistes et et ) Hacha elli ma yasthlouch
    Allah yarham echouhada, wa elmoujahidine elmokhlicine

  2. Enfin, une excellente analyse de Mr. ADDI,
    En disant avec justesse que:
    1-« …Mais du moment où l’armée dispose du pouvoir effectif, cette mesure a peu d’importance… »
    2-« …C’est une façon de constitutionnaliser l’autoritarisme… » (militaire s’entend)
    3-« …La Constitution, dans un pays comme l’Algérie ou l’Égypte aussi, sert simplement à donner une base légale à un régime autoritaire.
    C’est une façon de constitutionnaliser l’autoritarisme… » (militaire s’entend)
    4- « ..le régime cherche seulement à se doter d’une base juridique à son autoritarisme. Il ne faut pas oublier que l’Algérie demeure un
    régime militaire et que l’armée utilise des civils pour diriger l’État. C’est une donnée historique qui n’a pas changé depuis 1962. Le
    reste est simplement de la gesticulation… »
    5-« …Le problème politique fondamental en Algérie est comment faire en sorte que l’armée, de façon graduelle, se retire du champ
    étatique et du contrôle des institutions. Car la source de l’autorité politique en Algérie, l’équivalent de la Nation en France, demeure
    l’armée… »
    – A mon humble avis, Mr. ADDI, l’armée ne lâchera JAMAIS le pouvoir. C’est la réalité.
    6-« …C’est une avancée, sur le papier. Mais comment cela se traduira concrètement ? C’est une autre question. On reste encore là dans
    la mesure symbolique floue dont on ne sait pas comment elle sera traduite dans les faits… »
    7-« ..Au lieu de créer des tribunaux pour faire la vérité sur cette tragédie, ils préfèrent écrire des préambules. Mais l’Histoire retiendra
    qu’ils ont provoqué une tragédie qui a coûté à l’Algérie 10 ans de terreur, et que l’arrêt du processus démocratique en janvier 1992 a
    été une aventure militaire… »
    – Là, vous posez une question de fond absolument essentielle, Mr. ADDI. Malheureusement, cela ne se fera jamais.
    8-« …Ce coup d’État a été fait car ces élections menaçaient simplement le régime militaire… »
    – Totalement vrai.
    9-« ..Abdelaziz Bouteflika n’a pas de pouvoir réel, seulement symbolique. Son état de santé est la preuve que le vrai pouvoir n’est pas
    entre ses mains… »
    – Trés bien vu, Mr. ADDI. C’est la réalité.
    10-« ..Le démantèlement du DRS* qu’on lui attribue est également le fait de l’État-major algérien… »
    – Parfaitement vrai, Mr. ADDI.
    * Je tiens vraiment à vous féliciter Mr. ADDI. Excellente analyse. Enfin…!!!

  3. CE REGIME MILITAIRE N A PAS ETE CAPABLE DE SEMER AU MOINS UNE AMBITION ECONOMIQUE A LA SOCIETE ALGERIENNE QUI DEMEURE TOUJOURS PAS OUTILLEE ET TRES FRAGILISEE TANT PAR LA BAISSE DES COURS DU BRUT QUE PAR LA CROISSANCES DES RISQUES FRONTALIERS ET DES FACTURES D IMPORTATION……NOUS VOUDRONS BIEN SAVOIR A LA LUMIERE DES DRAMES PASSES JUSQU OU POURRAIT ALLER CE SYSTEME EN CAS DE DETERIORATION DES CAPACITES DE L ETAT A APPORTER UNE REPONSE SECURITAIRE A LA CONTESTATION POPULAIRE..
    UN SCENARIO DE 20 USD /BARIL IMPOSERAIT DES CHOIX TRES DOULOUREUX…SAUVER LE SYSTEME, LA SONATRACH OU LE PEUPLE……..

  4. On ne peut que souscrire a cette analyse de Mr Addi , toujours aussi clair et concis. Notre problème N° UN est donc notre armée, cette armée budgétivore et pourvoyeuse de barons prédateurs.Cette situation a toujours prévalu depuis l’avènement de feu Houari Boumedienne , mais en ce temps là les Colonels s’occupaient de leur « soupe » et laissaient, en général,la gestion à des cadres civils compétents.Lé tournant, c’est Mr Ouyahia qui l’a imprimé en jetant en masse ces cadres en prison et poussant le reste à l’exil.Une nouvelle ère s’est alors ouverte pour la libéralisation sauvage et la cooptation claniste aux postes de l’état.L’ère de la prédation bête et méchante.Avant on a eu juste une fenêtre vite refermée avec feu Chadli.Une régression féconde ratée par la suite mais pourquoi « régression » en fait?

  5. Bonjour à tous,
    Si je suis d’accord sur bon nombre de points dans cette analyse je ne le suis pas sur un particulièrement. Le problème politique fondamental en Algérie n’est pas de faire en sorte que l’armée, de façon graduelle, se retire du champ étatique et du contrôle des institutions. L’armée fait partie de la toile. Elle est l’un des plus importants nœuds certes mais il y a les autres. Le président en tant que poste fonctionnel est aussi un nœud tout autant important, tout comme les principaux décideurs dans les principales institutions du pays. Le tout est imbriqué l’un dans l’autre avec quelques fois des dissensions qui éclatent pour la bonne et simple raison de remise en cause du partage de la rente dans tous ses états (Entendre par là toutes les manières de détourner l’argent du pétrole). Cette toile ou ce système ne partira jamais si on ne lui force pas la main. Faire en sorte que ce système se retire graduellement du champ étatique c’est se voiler la face et ne pas reconnaître les faits historiques qui sont pourtant si criards pour tous. Comment voulez vous qu’une bande de malfrats qui tient un pouvoir lui permettant de s’enrichir « légalement » (illégalement dans l’absolu bien sur) puisse d’un coup décider de céder la manne à quelqu’un d’autre? Et qui par la suite (ce dernier) pourrait l’ester en justice pour tous les crimes et injustices commis envers le peuple? C’est une aberration totale. Non on ne pourra jamais faire en sorte que ce système dégarnisse le pouvoir et partir sans fracas. Ceci n’arrivera qu’après une dure bataille. ça ne se fera que par la force, car historiquement, et depuis la guerre de libération, ce système nous a toujours montré qu’il ne sait pas utiliser autre chose que la force dans tout ce qu’il entreprend. Bonne journée à tous.

  6. je crois que la présente constitution comporte des bombes à retardement qui vont nous couter cher, très cher dans 5, 10, 15 ans :deux langues nationales et officielles, c’est la porte ouverte à la dislocation.

  7. +mr addi est incontestablement un bon analyste politique, dans des approches sciemment escamotées en parlant de tamazight ;il a donné une analyse sur les binationaux et l’art 51 en faisant croire que le pouvoir veut montrer son nationalisme mais personnellement je ne crois absolument pas a tout ca .

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