Molenbeek, mai 2016… 

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 Par Youcef l’Asnami

 

Molenbeek Mai 2016. Un jour de semaine.

 

Conversation entièrement en arabe

 

– Salam Alikoum
– 3aleikoum Essalam Ou rahmatou Allah
– Allah Ikhalik, je cherche la rue des Quatre vents
– La rue des Quatre vingt ?
–  Ella Khouya…. Des Quatre vents…
– C’est ce que je dis des quatre vingt (légèrement énervé)
– Oui si vous voulez .. c’est juste peut être que je prononce mal quatre vents (Rab3 eriouh). Essmahli khouya

 

Après m’avoir bien dévisagé, et devant mes excuses, il adoucit le ton :

 

– Vous êtes à pied ou en voiture ?

– A pied

– Vous en avez pour une petite demi heure de marche. Vous prenez cette rue jusqu’à croiser la rue Delaunoy, non loin de la mosquée El Khalil. La rue des « Quatre Vingt » est perpendiculaire à cette rue. Là bas vous demanderez. Vous cherchez quelque chose de particulier ?

– Non rien. Je veux juste rendre visite à un ami que j’ai perdu de vue depuis longtemps. Et me souvenais vaguement qu’il habitait cette rue, mais pas du numéro. Mais si je retrouve la rue, je saurai retrouver son immeuble. Merci beaucoup khouya.

 

 

Je traverse quelques ruelles avant d’arriver au début de la rue des Quatre vents. Des hammams, des cafés maures, beaucoup de magasins d’alimentation générale, des drogueries, des écoles primaires.. Une ambiance d’Alger, de Casablanca ou Tunis. On y croise beaucoup de femmes voilées , mais aussi quelques jeunes filles habillées « normal » pour reprendre cette expression bien de chez nous.

 

Je suis donc dans le fameux quartier de Molenbeek qui est en fait une commune de presque 100 000 habitants dont près de la moitié sont des marocains arrivés en deux vagues : dans les années 50 puis les années 60 au moment du boom industriel de la Belgique contrainte de faire appel à une main d’œuvre docile et bon marché de la Turquie, mais surtout du Maroc. Les marocains étaient préférés par les belges aux algériens trop accoutumés au syndicalisme en France paraît il, ou aux tunisiens jugés déjà trop modernes à cette époque par le patronat belge. Et comme certains quartiers de Paris, Marseille ou Lyon, on retrouve dans la presse belge les mêmes qualificatifs pour décrire ce quartier : « Zone de non droits », « criminalité élevée », « zone islamisée »… Le leader de l’extrême droite hollandaise, ira jusqu’à qualifier Molenbeek de « bande de Gaza de l’Europe occidentale ». Depuis les attentats de Paris de Novembre 2015 puis l’arrestation de Salah Abdeslam le 18 mars dernier, les services communaux de Molenbeek crouleraient sous les demandes de « certificat de bonne vie et mœurs », sorte de casier judiciaire exigé de toute personne suspectée de radicalisation et candidat à un emploi dans un service public. Alors que les taux de chômage et de pauvreté de cette commune battent des records, les qualificatifs alarmants pleuvent sur cette petite commune qui, pourtant, longtemps a été le grenier agricole du Grand Bruxelles.
La rue des quatre vents est une rue quelconque. C’est une rue à sens unique bordée d’ immeubles d’habitation de styles très différents, de quelques commerçants. Je la longe jusqu’au numéro 79, devenu mondialement connu parce que c’est là qu’a été arrêté Salah Abdeslam. Je me fais très discret car des employés communaux travaillaient sur un petit chantier non loin de ce numéro. Et les regards s’attardent vite sur les inconnus. Même si la rue est étrangement calme, on sent toutefois un climat de suspicion dans l’air. Juste à coté du 79, un homme – très probablement un employé municipal- a remarqué ma présence et n’a pas arrêté de me dévisager. Pour faire « normal » je rentre dans une pâtisserie exactement en face du numéro 79 et demande une galette farcie avec de la tomate, des oignons et des poivrons mais avec une drôle de forme.

 

– Ce sont des M’hajebs ?

– Une variété de M’hajebs… vous ne les appelez pas des Lemkhal3a à Setif ?

– Mais qui vous a dit que j’étais de Setif ?

– Je croyais, pardon. Avec ça ?

– Une petite bouteille de Coca SVP

– Ça vous fait 3,5 euros !

J’étais dans l’incapacité de savoir si le commerçant était algérien ou marocain. Lui non plus au vu de la perche qu’il m’a tendue.

 

Je prends ma galette et sors de la boulangerie, histoire d’avoir un comportement des plus normaux. En réalité je voulais juste « sentir » l’ambiance de ce quartier et particulièrement de cet endroit qui a fait l’objet d’une médiatisation extraordinaire en mars dernier. Et au vu du calme qui y régnait, j’avais quelque mal à croire que c’est ici que les TV et radios du monde entier ont accouru au moment de l’arrestation de Salah Abdeslam.

 

Après avoir pris quelques photos discrètement, je me suis mis à la recherche d’un café dans le coin. Le premier café que j’ai pu trouver se trouvait à presque 500 m de cet endroit. Un café situé dans un coin d’une rue où seules deux tables étaient occupées par des clients.

 

Je m’attable et commande un thé. Je sors un plan du quartier pour me repérer. Cela a suffit pour attirer l’attention des deux clients en face de moi.

 

– Vous cherchez quelque chose ?

– Non pas spécialement. Je veux juste me situer. Merci

– Marhba bik. Vous êtes algérien ?

– Oui.

– Journaliste ?

– Pas du tout. Je suis juste de passage et voulais profiter pour voir un ami perdu de vue de longue date. Je suis agréablement surpris par le quartier.

– En apparence oui le quartier a l’air bien. Mais les choses ont beaucoup évolué. Il ne faut pas croire tout ce racontent les médias. Ici les vrais problèmes des gens ne sont pas liés au terrorisme, mais le chômage, le trafic de drogue et la petite délinquance qui pourrissent la vie des gens et qui poussent certains à fuir leur réalité dans l’illusion qu’offre le fondamentalisme religieux.

– Oui, je vois..

– L’écrasante majorité des marocains de Molenbeek sont des Rifains purs et durs, ceux qui ont combattu Hassan 2 qui les a boudés pendant presque ses 40 ans de règne. Ils sont loin d’être des fous de Dieu.

– Pas d’algériens ?

– Très peu, avec quelques tensions parfois avec les marocains. Mais c’est vrai que Molenbeek est devenue mondialement et tristement connue suite aux derniers attentats. Vous avez été à la place de la Bourse de Bruxelles ? Ce qui s’est passé ici nous attriste et nous fait oublié toutes les agressions et interventions militaires que mènent certains pays européens en Syrie, en Irak et ailleurs et dont les médias parlent peu. A cause de ces attentats on oublie tous ces désastres nés des guerres, ces milliers de morts, blessés ou handicapés à vie anonymes. Ces milliers de déplacés que les médias nous montrent sur les routes ou sur des bateaux de fortune tentant de rejoindre un eldorado qui n’existe que dans leurs têtes. Quelle différence y a t il entre des civils tués par des « Rafale » en Syrie ou ceux tués par des Kalachnikov au Bataclan ? Nous vivons une époque démentielle. Rabi yestour !

-……
– Un grand journaliste américain a surnommé notre commune «  Etat islamique de Molenbeek ». Tous les medias belges ont repris ce  titre aussi provocant que de mauvaise foi. La majorité des médias occidentaux insistent sur la radicalisation de certains de nos jeunes en insistant sur les conséquences de cette radicalisation mais sans vraiment se poser des questions sur les causes.

 

Je ne voulais pas alimenter la conversation. Mais j’ai senti un immense besoin de parler chez ce Monsieur. Probablement persuadé que ses propos allaient être rapportés.

Youcef l’Asnami

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4 Commentaires

  1. Émouvante description de ce quartier devenu maudit à cause des politiques interventionnistes des occidentaux. C’est si facile de jeter opprobre sur une communauté. Le client a bien résumé : les vrais problèmes de ces quartiers ne différent pas de ceux que l’on trouve en France : chômage et misère économique qui conduisent à tout.

  2. une description honnête d’une commune qui fait parler d’elle commeon parle d’une peste. Les vrais problèmes sont souvent ignorés

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