Quand les étudiants font le choix des armes

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Amara Rachid

Soixantième anniversaire de l’appel à la grève du 19 Mai 1956

Quand les étudiants font le choix des armes

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El Watan le 18.05.16 

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Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres.»* La cité Robertsau, réservée aux étudiants musulmans, accueillait, en ce vendredi 18 mai 1956, une réunion à laquelle avait appelé la section locale de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema).

Dans une salle comble «jusqu’aux escaliers», des jeunes adhérents de la section de l’Ugema et d’autres associations, dont celle des jeunes musulmans algériens (AJMA) créée par Amara Rachid, s’étaient réunis pour examiner l’évolution de l’actualité. L’initiative de la grève a fini par s’imposer. Une première réunion, organisée la veille à la Basse Casbah dans un local des élus musulmans, s’était achevée sans aucune décision. Le jour suivant, le bureau de la section a fini par soumettre au vote l’option défendue par le gros des participants. Un vote à main levée a été décidé. L’appel a été plébiscité.

Zoulikha Bekkadour, qui a assisté à l’assemblée générale en tant que membre dirigeant de la section d’Alger de l’Ugema, se rappelle ces moments fébriles de l’histoire du pays. «Les plus mobilisés d’entre nous demandaient une grève illimitée des cours et des examens. Les plus hostiles manifestaient leur opposition à haute voix à cette proposition souhaitée par la majorité des étudiants, des médersiens, lycéens et collégiens présents», raconte (en page 61) de ses mémoires publiées par les éditions Koukou, Ils ont trahi notre combat, cette ancienne étudiante en propédeutique à la Faculté centrale. Depuis vingt mois, les quelques rares étudiants de l’université d’Alger (500 contre 5000 Européens) subissaient les brimades. Dans les allées de l’imposante Fac d’Alger, les ultras, majoritaires, harcelaient les étudiants algériens qui continuaient, cependant, de bénéficier du soutien actif de leurs camarades progressistes (voir entretien). Plusieurs étudiants, nouveaux ou anciens, ont été ciblés par la machine coloniale ; assassinats, enlèvements, tortures, touchaient ces jeunes militants qui avaient fait le choix de rejoindre le FLN-ALN.

En ce début de 1956, an III de la Révolution, les événements se précipitent : le gouverneur général d’Algérie et ancien intellectuel pacifiste, Jacques Soustelle, est remplacé par Robert Lacoste. Guy Mollet, frileux président du Conseil, est accueilli à Alger par des manifestations d’hostilité (journée des tomates). Le 11 mars, l’Assemblée nationale vote les pouvoirs spéciaux au gouvernement Mollet. Un mois plus tard, le service militaire est porté à 27 mois et 70 000 «disponibles» du contingent de 1953 sont rappelés. Côté combattants, le Comité de coordination et d’exécution (CCE) qui gardait des contacts avec des étudiants UGEMA, souhaitait l’adhésion massive et franche d’une jeunesse déjà acquise au combat révolutionnaire.

Réunions houleuses

L’assemblée générale de la section locale de l’Ugema, qui s’est déroulée en deux temps, a permis d’aller dans le sens souhaité avec l’engagement des étudiants qui ont répondu à l’appel de la grève. Le samedi 19, un appel — à la rédaction duquel n’auraient pas participé des membres de la section d’Alger entrés dans la clandestinité — est diffusé. Zoulikha Bekkadour rapporte le témoignage d’une militante européenne de la Révolution proche de Abane Ramdane et de ses collègues du CCE, qu’elle a hébergés : «L’appel du 19 mai, selon le récit que m’en fera Eveline Lavalette plus tard, lui a été remis par Benyoucef Benkhedda pour le dactylographier sur stencil.

C’est le prêtre Jules Declercq, aumônier de la prison Barberousse, qui l’a tiré dans sa chambre, au pied du commandement général de l’Armée française (ex-caserne d’Orléans,  aujourd’hui siège du ministère de la Défense nationale), sur les hauteurs surplombant La Casbah et la ville d’Alger. Avant la diffusion du tract, certains membres de la section d’Alger avaient déjà rejoint le maquis ; les autres attendaient dans la clandestinité avant d’intégrer la lutte dans différentes régions du pays. La presse coloniale, voulant marquer l’opinion européenne, avait donné un large écho à cette décision et l’événement a fait la une des journaux de toutes les tendances, en Algérie et en France.» (pp. 62 et  63 de Ils ont trahi notre combat).

Apport considérable

Les historiens qui se sont intéressé à la période affirment que l’appel du 19 Mai fut accueilli diversement. «Les attitudes des uns et des autres sont loin de refléter l’unanimisme véhiculé par la mémoire sociale», précise la chercheure Ouanassa Siari Tengour, qui cite des témoignages écrits de Mostefa Lacheraf et Abderrezak Bouhara dans une contribution au recueil consacré aux Savoirs historiques au Maghreb, publié par les éditions du Crasc.

Guy Pervillé, auteur du très remarqué livre Les Etudiants algériens de l’Université française (Casbah, 1997), soutient, lui aussi, la thèse d’une adhésion loin d’être unanime. «L’ordre de grève et l’appel au maquis divisèrent les étudiants algériens. Une minorité non négligeable refusa d’obéir et fut exclue de l’Ugema. Une autre minorité — plus importante en Algérie — s’engagea totalement dans le FLN-ALN, soit au maquis, soit dans les organisations clandestines urbaines : des étudiants et des lycéens servirent dans les services de santé, les organisations politiques et administratives et même dans les unités combattantes. Ils partagèrent les épreuves de leur peuple ; beaucoup furent tués, ou victimes des purges provoquées par la guerre psychologique des Services secrets français, ou capturés. Enfin une troisième catégorie — la plus importante en France — milita en milieu étudiant en attendant la fin de la grève, qui fut décidée à l’automne 1957», résume l’historien dans un article intitulé «Mémoire et enseignement de la guerre d’Algérie : le rôle des associations d’étudiants», disponible sur son blog.

Il n’empêche, l’engagement des étudiants était massif, particulièrement les lycéens qui ont rejoint le maquis et y ont laissé, pour certains, leur vie.

«La grève a fait l’effet d’une bombe dans un ciel serein, bien avant la grève des 8 jours de février 1957. Nous avons prouvé à la puissance coloniale que le FLN n’était pas des fellagas mais a su faire adhérer l’intelligentsia», rappelle dans un entretien accordé à El Watan Z. Bekaddour, rencontrée dans une librairie d’Alger.

La dame, bon pied bon œil, rend hommage aux acteurs d’une guerre à laquelle ont participé des jeunes étudiants intègres. La direction de l’Ugema annoncé, le 14 octobre 1957, lors d’une conférence de presse à Paris, que l’ordre de grève était levé. Soixante ans après, il est regrettable de constater que les autorités ou même les nombreuses organisations estudiantines n’ont pas prévu d’activités à la hauteur de l’événement. Zoulikha Bekaddour, toujours sur le pont, donnera, elle, une conférence à l’ancien siège des Scouts, à Tizi Ouzou.

* in Appel du 19 Mai 1956

Nadir Iddir

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