Modernité islamique et démocratie

1
1949

1888563_10203211588081369_1042900511_n

Par Tahar Gaïd

 « Modernité islamique et démocratie » n’est qu’une vision personnelle. Les grandes lignes de ce projet de société[1] sont ouvertes à la critique, soit pour leur enrichissement, soit pour les critiquer et proposer d’autres grandes lignes de projet en relation avec ce retard[2] des sociétés musulmanes et les solutions du salut. Ainsi que Dieu, dans toute Sa sagesse, nous l’enseigne à propos des versets abrogés et abrogeants. « Abroger » ce projet et apporter un projet similaire ou meilleur. »

Il y a plusieurs façons de définir la modernité du moment qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais un modèle unique adaptable et transportable à travers les générations en tous lieux et en tout temps. Ceux qui veulent singer l’Occident pour faire traverser la méditerranée à la modernité de tel ou tel pays, cherchent peut-être l’impossible éradication des cultures ou le besoin de les uniformiser. C’est, en vérité, vouloir transformer vainement une utopie en une réalité vivante. Il est inconcevable voire impossible de vouloir tenter de changer le cours de l’histoire.

Tous les parties politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite, connaissent de multiples courants de pensée. Je ne vois pas pourquoi nous ne percevons dans le mouvement islamique qu’un seul bloc monolithique, sans nuance, sans diversité et sans sujet au changement. Pourtant, globalement, une différence doit être faite entre ce que j’appellerai l’islamisme dogmatique parce qu’il est sclérosé, propose des schémas de pensée inadaptés aux réalités des sociétés actuelles, et un projet de société qui remet en cause le mouvement de l’histoire.

L’islamisme ouvert, dont je me réclame sans honte ni complexe, veut réaliser la réforme de l’islam de l’intérieur, comme l’a fait Hamad al-Ghazali en son temps. Cet illustre imâm a « revivifié » la religion sans porter atteinte à ses fondements. Cet islamisme ouvert rejoint l’islamisme dogmatique dans son refus d’imiter aveuglément l’Occident mais avec cette différence qu’il fait sien tous ses acquis scientifiques ainsi que le produit de son progrès positif. Il rejette, sur un autre plan doctrinal, cette conception qui érige le Coran en un langage humain après avoir été divin de par son inspiration. Pour l’islamisme ouvert, le Coran est d’origine divine, surnaturelle, tandis que le Sceau des messagers (p.p) n’a été qu’un fidèle et passif transmetteur.

Il n’en reste pas moins que le Verbe divin est descendu, essentiellement dans sa période mecquoise, en adaptant Son énoncé et Sa formulation aux conditions de vie de l’époque et à la culture des gens qui l’ont reçu en premier. C’est son application qui est une œuvre humaine. Elle est produite par des humains qui ont entrepris d’en concevoir une élaboration pratique. De cette façon, il est clair que l’islamisme ouvert, bien qu’il réprouve « la restauration » de cette société idéalisée du temps du Prophète (p.p), il n’écarte pas la religion de la sphère publique.

Le juriste ou le réformateur ne perd pas de vue, pour autant, que les interprétations du Coran, qui datent des premiers siècles de l’Hégire, se fondaient sur les préoccupations concrètes du milieu social. En prenant acte de ce processus historique, ils auront intérêt à déconstruire pour remonter au message originel. Que faut-il déconstruire ? Chaque phase historique connaît ses caractères spécifiques qui ne sont pas les mêmes d’une génération à l’autre. C’est pourquoi, il est aberrant de penser que les premières générations pratiquaient l’Islam mieux que les hommes des siècles suivants.  Il est erroné également de supposer que leurs connaissances sont meilleures que ceux du XXI siècle. Il ne peut pas en être autrement lorsque l’histoire humaine a traversé des épisodes d‘inventions, de découvertes et de théories aussi bien dans le domaine de la science que celui des relations sociale ou humaines. Il est certes compréhensible que les premiers croyants optent pour des solutions liées à leurs impératifs socio-politiques. Leurs soucis sont, par conséquent, différents de ceux de notre époque.

Alléguer objectivement le contraire, c’est couper manifestement la religion des réalités quotidiennes de l’existence humaine. Le point sur lequel il y a nécessité de s’appesantir, c’est le fait de constater que la révélation, dans le domine des mu’amalât (relations sociales), se liait aux situations spécifiques du moment. Ses versets s’inscrivaient donc dans le contexte historique dans lequel le Coran est descendu.

Aussi cet islamisme ouvert est-il favorable au changement fécond et au renouvellement dans le sens du progrès, donc conforme à la modernité et à la démocratie, tout en précisant que celle-ci n’est pas occidentale mais qu’elle est multiple. Il obéit à l’essence même de la révélation et à son projet de libérer l’humanité.

L’idée de changement est au cœur de la révélation tout au long de sa descente. C’est l’objectif recherché par tous les versets destinés d’abord aux Mecquois et ensuite à toute l’humanité. La Parole divine projetait effectivement de rompre avec les traditions tribales et inégalitaires et de promouvoir un nouvel ordre de société. Tout changement doit cependant obéir à des règles dont celle de l’égalité entre tous les humains, hommes et femmes. L’égalité est une des valeurs fondamentales du Message céleste. Celui-ci s’implique constamment dans une perspective de libération et d’humanisation à l’échelle planétaire. L’idée axiale de l’Unicité de Dieu (at-Tawhîd) et l’idéal d’égalité de tous les individus animent les manifestations de la foi, de la spiritualité et de la solidarité collective. En aucun cas, la foi et la spiritualité ne doivent être marginalisées ainsi que nous l’observons dans le discours laïc qui, sans prendre acte de l’histoire de l’Islâm, projette de les jeter dans des oubliettes.

Et tout changement appelle l’exigence de la modernité puisque celle-ci répond aux mêmes critères de l’islâm, à savoir l’émancipation de la personne humaine, l’affirmation de l’égalité de tous les individus, l’accession à la liberté et l’établissement de la justice du bas jusqu’au haut de la hiérarchie sociale et étatique. L’affirmation de la liberté est fondamentale puisqu’en se remettant à Dieu, l’homme se libère, sans conteste, de toutes les formes de soumission à un autre homme et rejette tout refus à l’émancipation.

La doctrine de l’islam et certaines de ses coutumes font-elles de sorte que cette religion soit incompatible avec la modernité ? Il est vrai que sans être intégriste, un courant de pensée islamique manifeste des réticences à l’égard de la modernité. Cette attitude négative se justifie car ce concept renferme, en effet, des malentendus à cause de ses équivoques. Pour ces musulmans, réfractaires au changement, le terme rappelle l’Occident et qui dit Occident, cela sous-entend christianisme, croisades et colonisation. A partir de ce constat et ce prisme de la pensée, il y a lieu de dissiper toutes les équivoques, plus particulièrement en ce qui concerne le problème crucial de l’identité.

Il s’agit d’une attitude qui a pour objet d’accuser la modernité de provenir d’une aire culturelle tout à fait étrangère à l’aire islamique qui appartient à un monde forgé par les générations dont les musulmans sont issus. Ce qui revient à dire que le refus de la modernité s’explique par sa provenance occidentale opposée à l’identité culturelle à laquelle ils demeurent fermement attachés. Ces gens n’ont pas conscience que cette explication contredit l’idée de mouvement et de changement contenus dans le concept de modernité. Elle est même en opposition avec l’avènement de l’Islâm qui s’est établi en brisant radicalement le carcan des traditions de la Jâhliyya. En détruisant l’adoration des idoles, ils sont passés à un stade avancé de la civilisation, celui d’un Dieu unique, sans aucun associé. Mieux encore, la nouvelle religion a bouleversé les structures mentales, le mode de vie et de croyance de plusieurs continents. Elle a bousculé et renversé l’identité culturelle de leurs peuples pour en forger une nouvelle et combien meilleure.

Ce fait historique a lui seul montre que la modernité n’est point une émanation occidentale et qu’elle n’éloigne aucunement les musulmans de leurs ancêtres, du moment que ceux-ci ont eux-mêmes conquis une partie du monde pour y faire régner la Loi de l’Islam, une fois libérés de l’idolâtrie, religion de leurs ancêtres : telle est la loi du changement historique. Il s’ensuit que l’argument, combien fragile, de la préservation de l’identité culturelle, y compris du point de vue islamique, ne tient pas la route.[3]

En nous fondant sur ce hadîth : « J’ai été envoyé pour parfaire les valeurs morales », nous concluons que l’Islam n’avait pas pour objet de véhiculer un projet politique, ce qui suppose une stratégie du pouvoir avec comme finalité l’instauration d’un Etat islamique. Aucun verset ne fait allusion à des impératifs politiques, à une quelconque formation d’un gouvernement quelle que soit son orientation. Cette vérité nous permet-elle, pour autant, d’affirmer que la révélation donnait forme à un Islâm séculier dans son essence fondamentale ? On serait tenté de l’admettre si nous relevons le fait que la révélation a établi la liberté de conscience en ouvrant la voie à la diversité religieuse. La seule condition émise porte toutefois sur le rappel à tous les Hommes à rechercher leur salut d’ici-bas et de l’au-delà dans la seule et unique eligion agréée par Dieu, à savoir l’Islâm.

Le tort du discours islamique, c’est de vouloir accorder une importance démesurée au pourvoir politique et, partant, de marginaliser la foi. Le même tort s’adresse au discours laïc qui veut évacuer la religion de l’espace public. Or, l’Islâm est un tout. Son évacuation de la scène politique revient à rejeter dans des oubliettes la morale et la spiritualité islamique, d’une part, et à ne pas s’efforcer de renouer avec les grands principes et les nobles valeurs du Message originel, celui de la libération, corps et esprit, de l’individu, d’autre part.

Il est un fait réjouissant pour les partisans de la sécularisation des sociétés musulmanes. En effet, à la suite de l’ « enterrement » de la morale et de la spiritualité, et du vide d’une politique en faveur de l’islamité des peuples, nous observons que les Etats islamiques et leurs institutions se sécularisent. Nous sommes témoins que des valeurs du sacré passe au domaine du profane. Pour les défenseurs de la laïcité, celle-ci est un  principe philosophique qui accorde la première place à l’homme ; elle représente l’indépendance de la raison ; elle est le droit à la différence… Si nous nous attachons au crédo du Coran et non pas à l’histoire de l’islam, je ne vois pas pourquoi la doctrine coranique ne prendrait pas en charge tout ce que je viens de signaler en faveur de la laïcité.

Il est certain qu’un projet, fondé sur les principes et les valeurs du Coran, consacrera la liberté et la démocratie, deux valeurs fondamentales et universelles. Certes, il ne se dégagera pas du Coran des idées qui feront l’unanimité. C’est le lot de la pluralité. L’essentiel est de soulever la réprobation des gens contre la compréhension erronée de certains passages du Coran. En définitif, la religion, qui n’est pas instrumentalisée pour des objectifs politiques mais qui dirige les orientations politiques, a, sans contexte, sa place dans l’espace public, surtout que la morale coranique est un rempart certain contre les déviations, les malversations, la corruption, les détournements de fonds …

Dans une de ses déclarations, Tahar Oubrou a dit : « La liberté de conscience et d’expression est un acquis occidental incontesté et incontournable… » Effectivement, l’esprit des musulmans est encore colonisé au point qu’il attribue à l’Occident ce que l’Islam a déjà proclamé au moment où cet Occident pataugeait dans les méandres du Moyen Âge. Certes, les dirigeants politiques musulmans ont jeté dans les oubliettes de l’histoire ces belles valeurs pour faire sombrer historiquement leurs sociétés et les maintenir loin derrière l’Occident dans son avancée et ses progrès spectaculaires. Pour revenir à l’Islâm original, il y a lieu d’opérer de profondes réformes au niveau des sociétés et des institutions de l’Etat.

Toute réforme de l’islam doit tenir compte de la vocation de la Religion de Dieu qui revêt deux aspects intimement liés : une vocation religieuse axés sur l’Unicité de Dieu (Tawîd) et une vocation communautaire, centrée sur les objectifs sociaux qui se résument dans ce verset  « Appeler au Bien, ordonner la Convenable et interdire le Mal. » (S.3, 104). Il est impératif de préciser qu’il convient également de faire une distinction entre la religion et l’histoire. La première évoque les croyances religieuses, les rites et les pratiques. La seconde se réfère aux multiples événements et aux divers comportements humains qui, ensemble, s’inscrivent tout le long des générations et des siècles de notre humanité.

Ce projet égalitaire ne peut pas se réaliser sans une forme de démocratie. Ce dernier concept, contrairement à certains réjugés, ne contient aucun élément impur puisqu’il répond à des impératifs sociaux, condamne le despotisme, prône l’Etat de droit, garantit la justice, les libertés individuelles dont la liberté d’expression, autant de valeurs défendues par l’Islam.

La démocratie n’est pas un kufr si nous la comparons à la choura, à savoir la consultation ou la concertation avec ses corollaires la justice (‘adl), le consensus (ijmâ’), l’égalité (mousawât) devant la loi, la dignité humaine devant Dieu et de tous les citoyens. Toute proportion gardée, tous ces facteurs nous rappellent la choura qui est une formule de démocratie participative. Elle répond à un système flexible, sachant que ses méthodes d’application varient selon les circonstances. La désignation des quatre premiers califes en est un exemple. Quant aux prescriptions de la charî’a, – dont le seul énoncé crispe l’interlocuteur parce qu’il n’y voit que la main coupée du voleur ou la différence entre l’homme et la femme en ce qui concerne l’héritage -, prend en compte les changements conséquents à l’évolution historique puisqu’elle se réfère à l’ijtihâd qui est, selon Iqbal, « le principe de mouvement et de réforme dans la structure de l’islam. »

L’ijtihâd[4] doit puiser sa réflexion dans les textes fondateurs de l’Islam (Coran et Sunnah) tout en envisageant l’utilisation des ressources technologiques de l’Occident devant lequel il n’a jamais été question de tourner le dos. Ceci ne doit pas nous empêcher d’encourager la création et l’innovation scientifique en animant toutes les conditions matérielles et financières au service de la recherche scientifique car l’une des causes du déclin du monde musulman porte effectivement sur le manque d’études et de recherches scientifiques. Il est un fait certain indubitable que la vraie clé de la modernité se trouve nicher dans l’épanouissement de la culture et le développement de la science. Penser une solution où le conservatisme religieux, indissociablement lié à l’action sociale sécularisée, mettra un terme à l’opposition latente entre la pratique religieuse et la modernité scientifique

L’objet de la réflexion consiste donc à rendre les deux connaissances, religieuse et scientifique, indispensables l’une à l’autre. Ce qui est possible puisque les scientifiques de ce qui est appelé l’âge d’or de l’Islâm ont démontré, par leurs réflexions, leurs inventions et leurs découvertes, que la connaissance scientifique ne contredisait pas la connaissance religieuse, bien au contraire, elle était pour elle comme une sœur jumelle. Pour réussir cette entreprise, la science doit se déployer « en prenant la route du Coran et de la raison», encore faut-il que cette dernière ne s’oppose pas aux prescriptions islamiques. C’est dire que l’attachement à l’islâm ne peut pas être refoulé du champ public car ainsi que l’a dit le penseur turc Saïd Nursi : « Dès que les musulmans ont adhéré à leur religion, ils ont progressé par rapport aux temps précédents. Et dès qu’ils ont perdu cette adhésion, ils ont décliné. » Il est vrai qu’aussi longtemps que la lumière coranique a illuminé la pensée des musulmans, « leurs cœurs ont été réformés et leur croyance sauvée. »

Les croyants doivent vivre l’islâm individuellement et collectivement. Il est inconvenant de transformer la religion en un système politique de gouvernement mais elle doit s’ériger en contrôle des activités des gouvernants et incruster dans leur esprit sa morale et sa spiritualité, deux gardiennes d’un meilleur comportement humain. Pour introduire le concept sacré de religiosité dans l’espace profane du public, il convient d’ancrer l’islam dans la société et les institutions de l’Etat sous forme d’une force sociale et non pas politique. C’est ainsi que la religion suscitera une force motrice à même de modeler les valeurs des gens et produire de nouvelles cultures. A cet effet, Il convient de ne pas perdre de vue que Dieu ne juge pas la modalité ou la structure d’un Etat mais il prend en considération la société dans laquelle l’homme éduqué et instruit vit, tout en situant ce dernier au centre de toutes les activités. C’est dire que Dieu, dans toute Sa sagesse et Sa majesté, juge les actes humains et non pas une quelconque organisation de l’Etat, sans esprit et sans âme.

Autrement dit, ces deux concepts, la morale et l’éducation/formation doivent être inscrits en lettre d’or dans toutes les écoles et dans toutes les entreprises et les institutions étatiques. « La morale doit donner à l’action une base éthique, et la formation doit transmettre des connaissances modernes. Equipé des deux, le musulman moderne pourra modeler le monde et préserver son identité. » Cette vérité est conditionnée par la volonté de l’homme qui doit être libre de ses actes. Elle est liée à des élections libres et aux droits inviolables de la vie, et de la liberté d’opinion,

En conclusion, la modernité islamique ne s’oppose pas à la démocratie mais celle-ci a besoin d’une dimension métaphysique, sachant que le spiritualité islamique, en conduisant vers la connaissance de Dieu, enseigne la recherche de la perfection de l’homme, l’amour du prochain et la tolérance réciproque des uns aux autres. Dans cette optique, elle s’oppose à la pensée sclérosée du « clergé » islamique orthodoxe car elle apporte la créativité. Ce n’est pas une spiritualité contemplative mais active qui renouvelle l’islâm à chaque époque ; elle est ouverte à l’expérience en tout temps et en tous lieux. Elle apporte aux gens une paix intérieure qui les transforme en une force de renouvellement. Elle pousse au travail productif ainsi que l’a dit le Prophète (p.p) : « Si la fin du monde arrive et que vous devez planter un arbre, planter-le ». Le travail productif est en effet une forme élevée de l’adoration de Dieu qui a créé l’homme pour exploiter les richesses du sol et du sous sol de l’univers, au moyen de la perfection de la science et de la connaissance. L’Omniscient nous lance cette interrogation : « Est-ce que ceux qui savant sont égaux à ceux qui ne savent pas » ?

 

[1] Ce  projet veut situer l’avenir de la société musulmane entre la sécularisation, dont l’objet est d’évacuer la religion de l’espace public, et les partisans d’un système politique islamico-fondamentaliste. Autrement dit, il maintient la religion dans l’espace public mais elle n’est pas manipulée par le politique.

[2] Il y a quelques années, l’écrivain égyptien feu Tawfiq El-Hakîm a relevé une définition du takhalluf (retard) qui convient à la situation du monde musulman. En effet, ce terme, qui traduit en arabe l’idée du sous-développement, a pour sens étymologique le fait d’être distancé, de ne plus pouvoir suivre le rythme. En ce sens, une société, en retard par rapport à d’autres sociétés (mutakhallifa), serait une société qui, après avoir évolué de concert avec ou même avoir initié le progrès de la civilisation, se trouve, pour une raison ou pour une autre, incapable de le suivre. C’est ainsi que le monde musulman, après avoir produit une civilisation florissante, a été dépassé par d’autres, et s’absorbe aujourd’hui dans la contemplation nostalgique du passé.

La nation musulmane ne manque pourtant ni de potentialités humaines et matérielles, ni de valeurs et de principes nobles. En dépit de tous ces atouts, elle connaît un retard qui heurte de front la conscience islamique disposée au redressement, au renouvellement et au renouveau. Il y a donc en elle une insuffisance  qui contamine son être. C’est la question que les juristes et les réformateurs devraient étudier avec attention et réunir les conditions  inhérentes aux soins de son mal et de sa guérison. A cet effet, il convient de prendre connaissance de l’origine et des causes de cette déficience et des motivations de cette faiblesse qui l’atteint dans son entité et qui menace son existence. Le monde musulman fait ainsi face aux défis civilisationnels lancés par les modes de penser de l’Occident avec ses structures culturelles qui en découlent. J’apporte à cet effet ma modeste contribution.

[3] Dans le Coran, on voit Abraham rompre avec les croyances polythéistes de son  père, et même inviter ce dernier à se convertir à une foi nouvelle : le père d’Abraham refuse, menace son fils, et celui-ci est ainsi amené à s’exiler. Dans ce passage, l’attitude d’Abraham est clairement présentée comme louable, et celle de son père comme répréhensible. Cela montre de façon nette que, selon l’islam lui-même, vouloir rompre avec la tradition des ancêtres n’est pas du tout une faute en soi ; au contraire, dans l’épisode du dialogue entre Abraham et son père, c’est l’attachement  viscéral à la tradition qui constitue une faute grave. (S.XIX, 41-48)

[4] L’ijtihâd est une notion inséparable de la modernité du moment que les deux concepts ont pour signification changement, évolution, quête pour passer d’un stade historique à un autre plus élevé et plus riche en idées et en connaissances.

L’ijtihâd, en droit islamique, se traduit par l’effort de réflexion dans le but de forger des règles nouvelles et des avis juridiques en se fondant sur les sources fondamentales de la législation islamique  et des finalités de la charî’a.  Le produit de cet effort intellectuel peut constituer une source de droit ou une référence pour le règlement de différends ou de cas d’espèce semblables. Quant au modernisme, il est l’activation de la modernité ; il en est le degré supérieur. C’est un terme nouveau dans la langue arabe. C’était le terme « innovation » (tajdîd) qui prévalait. Ce que nous entendons par l’association de l’ijtihâd et de la modernité, c’est le fait que le premier concept est intimement rattaché au second dans le sens où il en est le socle et le support des formes intellectuelles récurrentes qu’il engendre.

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici