La fable populaire et les communiqués de Sisyphe

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SysipheSalima Ghezali

La dernière blague que l’on se racontait entre algériens à la veille du bac est un pastiche du Laboureur et ses enfants repris des Fables de Lafontaine (ou de Kalila wa Dimna) que des jeunes, et moins jeunes, élaborent au rythme des déboires du pays :

« On raconte qu’un homme, qui avait réussi sa vie matérielle mais gardait une immense rancœur pour tout son entourage, sentant sa mort prochaine fit venir ses enfants et leur parla sans témoins. Gardez-vous, leur dit-il, de vendre la maison familiale après ma mort, démolissez-là plutôt, j’ai enfoui un trésor sous ses fondations qui vaut mille fois son prix. Ainsi firent les enfants après avoir enterré le père et, ayant démoli la maison, ils trouvèrent dans les décombres  un coffre qu’ils s’empressèrent d’ouvrir pour y découvrir une feuille avec ce message : Moi j’avais construit cette maison qui vous abritait, soyez des hommes et faîtes de même maintenant. »

On peut en rire… ou pas. On pourrait, à peu de frais, consacrer toutes les soirées du ramadan et solliciter des spécialistes de toutes les disciplines pour décortiquer les messages de cette énième expression de défiance populaire. Tous tournent autour de la tragique absence, ou du sentiment de cette absence, de toute accumulation, de toute transmission comme un message qui clignote à chaque scandale pour signaler l’échec global du système.

Avant même la crise du BAC…

On se souvient que la ministre de l’Education nationale avait accusé les enseignants contractuels d’avoir été recrutés par favoritisme, on se souvient aussi, que parmi ces derniers certains ont exprimé des doutes sur la régularité de l’examen pour lequel ils refusaient de concourir…Chacune de ces déclarations est l’indice d’un dysfonctionnement majeur. Ni la ministre n’a l’air de comprendre la portée de sa responsabilité au sein d’une administration censée être pérenne, ni les enseignants ne semblent mesurer la portée d’un propos qui met toute leur corporation en cause. La régularité des examens engage les enseignants autant que les ministres. Et l’intégrité de l’administration engage la responsabilité de la ministre actuelle autant que celle de ses prédécesseurs. Un ministre qui hérite d’une administration faussaire et qui n’en fait pas publiquement le premier de ses chantiers n’a aucune crédibilité à prétendre ouvrir quelque autre chantier que ce fût. Et tout ceci pose encore une fois la question d’une gouvernance rendue ubuesque par la somme de ses incohérences

Bonnes photos de Cherchell…

De l’organisation des examens du bac de cette année, on aura finalement retenu pêle-mêle, le drame de quelques centaines de candidats exclus pour cause de retard,( parfois d’une ou deux minutes),et le scandale de la fuite des sujets malgré l’extraordinaire battage médiatique organisé autour d’un déploiement sécuritaire qui aura mobilisé le ministère de la défense, celui de l’intérieur et celui des postes et télécommunications en plus du premier concerné, à savoir l’éducation nationale. Pour un résultat… Et comme pour faire bonne mesure, des services de com’ ayant leurs entrées partout ont jugé utile de bousculer le protocole pour faire asseoir la ministre de l’éducation à côté du général Tartag lors de la cérémonie de fin d’année de l’académie militaire de Cherchell ! Franchement, c’est quoi le message ?

Elections, Droits de l’Homme et Officiers Supérieurs

Le denier communiqué du conseil des ministres en date du 31 Mai a retenu l’attention des commentateurs, surtout  parce qu’il a rappelé, à coup d’avant-projets de lois, à l’obligation de réserve les officiers de l’ANP  : « C’est pour préserver la brillante image de l’Armée Nationale Populaire au sein de notre société et, pour maintenir également cette institution au service exclusif de la République et au dessus des enjeux politiques ou politiciens, que nous avons jugé utile d’élaborer les avant-projets de lois que nous venons d’adopter aujourd’hui, a conclu le Président de la République. » En langage profane on peut se laisser aller à dériver vers des interprétations farfelues sur la manière avec laquelle certains officiers supérieurs pourraient porter atteinte à la brillante image de l’armée…rien qu’en ouvrant la bouche ! Instruits par les dégâts occasionnés au civil par de hauts responsables à l’image de la république on serait presque tentés de revendiquer la généralisation de la mesure. Mais c’est plutôt dans l’architecture du communiqué que l’on trouvera une piste non négligeable pour décrypter les tenants et aboutissants de la mesure. Difficile de penser à autre chose quand on fait précéder une injonction au silence par une instance de surveillance des élections et des mesures concernant le Conseil des Droits de l’Homme dont il est précisément attendu qu’il défende les acquis majeurs auprès des instances internationales.

« Le Chef de l’Etat a rappelé également que, s’inscrivant dans le sillage des avancées concrétisées par la réforme de la Justice, la révision constitutionnelle du 7 février dernier a consolidé davantage encore, la protection des droits et libertés individuelles et collectives, l’affirmation des libertés démocratiques, tout comme elle a renforcé l’indépendance du magistrat et de l’avocat, et instauré des garanties accrues pour les justiciables.

“Ce sont là des acquis majeurs dont le Conseil national des droits de l’homme sera un gardien vigilant, tout comme j’espère, qu’il en sera un témoin impartial auprès des instances régionales et internationales des droits de l’homme”, a conclu le Président de la République. »

Vue sous cet angle la mesure concerne bien moins les quelques officiers supérieurs qui s’expriment, ici ou là dans les médias, qu’elle ne vise à intervenir dans les possibles dérapages verbaux incontrôlés susceptibles de se produire lors de l’audition des nombreux officiers  compris dans la liste de témoins que le Général Nezzar a appelé à témoigner en sa faveur en Suisse, où il est poursuivi devant la justice pour des violations en rapport avec la guerre des années 90. Des articles ont rapporté que le Général Maïza et le colonel Boukhari ont déjà livré leurs témoignages. La multiplication de ces derniers pourrait toutefois s’avérer problématique. La silenciation des officiers n’obéirait en ce cas qu’à une énième mesure de colmatage des brèches issues de la gestion catastrophique des trois dernières décennies. Et tant pis si 30 ans de bricolage n’ouvrent que sur de nouveaux bricolages. Le système ne sait pas faire autrement que Sysiphe. A ce rythme le pays n’héritera que de ruines.

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2 Commentaires

  1. Tout est bien dit dans cet article sauf qu’il n’y a pas de président de la république.
    En regardant un jour la video de Sellal avec David Cameron reçu à Alger, et Youcef Youssefi essayant de tenir David Cameron par le bras pour lui montrer la bonne direction et encore Sellal qui disait des choses comme : » 3aounouh chouia chouia, chetha menna 3Arss melhih, etc »
    je croyais au debut que c’etait un video gag sans plus, genre de doublage. Mais NON ! c’etait aussi vrai que quand je respire, le meme cloune de sellal disait  » sbah elkhir ya batata » a un representant des chantiers de construction chinois en Algerie. Alors je pense qu’ils ont fifni par se dire, cette populasse est prete a encaisser n’importe quoi, preuve :
    Amara Ben younes nous a insulte, Sidi SAID encore pire il a insulte la religions de nos meres, je pense que les mots ne serviront plus a rien quoi que vous disiez !!

  2. Ya-t-il d’abord un gouvernement avec un minimum d’homogénéité et de cohérence aussi bien dans sa composante que dans un programme et surtout des objectifs à atteindre. Tous «les ministres» parlent du programme du président. Ainsi personne n’a de programme ni d’objectif a atteindre si ce n’est ceux d’un seul homme en l’occurrence le président. Ce dernier est donc le seul et unique responsable devant qui ? Nous ne le savons pas, le peuple le président ne s’est pas adressé a lui depuis longtemps. Donc les ministres ayants échoués ne sont pas responsables à l’instar de Mme Benghebrit suite a la fuite des sujets du bac, de M. Bouchouareb suite a la publication de son nom dans les Panama papers, de M. Sellal suite à l’implication de sa fille dans Panama papers. Pour ne citer que ces exemples car la liste elle peut s’avérer très longue. Le pouvoir en réalité ne communique qu’avec lui même rarement avec le peuple. Ce dernier n’est sollicité que lorsqu’il s’agit de faire des sacrifices ou à la veille des élections et encore c’est pour remplir les bureaux de vote devant les caméras des TV, quant aux bulletins le pouvoir a toujours su comment faire sortir des urnes ses valets et autres soufirfes. Depuis l’avènement de Bouteflika nous assistons malheureusement a un renversement total de l’échelle des valeurs, les truands, les escrocs les affairistes, les arrivistes sont tous ou presque tous aux postes de responsabilité de l’APC jusqu’aux postes supérieurs de l’état. La déliquescence touche tous les secteurs a tel point qu’un enseignant raconte que les salles d’examens du BEM jusqu’au doctorat sont de véritables foyers de fraude et de tricherie. Sur le plan économique c’est un autre fiasco (ansej, cnac, angem) les projets initiés dans le cadre de la relance économique (pêche) qui ont engloutis des milliards et qui n’ont profité qu’aux enfants de la nomenklatura sont un échec sans précédent. L’effacement de la dette des agriculteurs n’a en réalité profité qu’aux escrocs et autres voleurs.
    La confiance n’existe plus entre gouvernants et gouvernés,tout ce qui vient du pouvoir est considéré comme douteux. La question posée aux lendemains de l’indépendance «où va l’Algérie» est toujours d’actualité mais avec plus d’acuité car le bateau Algérie risque vraiment de couler.

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