Chronique de clashs annoncés : Des deals qui se rompent de l’Algérie périphérique à l’Algérie affairiste

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Cerveau du régimePar SAAD ZIANE

“Le vieux monde se meurt. Le nouveau est long à apparaître et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres” – Antonio Gramsci.

Annaba est une ville coquette avec un accès direct à la mer qui fait son charme. C’est l’une des plus belles villes d’Algérie. Mais comme toute l’Algérie, cette ville fonctionne non sur la base de règles qui fondent la vie commune et le partage citoyen de l’espace public, mais sur le rapport de forces. Et la règle de la méfiance généralisée réciproque.

Sous la paix factice qui ne découle pas d’une adhésion mais d’un mélange de répression et d’accommodements couvent toujours les accès de fièvre et de colère. Il y a eu de violentes émeutes à Annaba dans la nuit du samedi. Du classique.

Des jeunes périphériques qui ont pris leurs habitudes de vendeurs à la sauvette au «centre » – au grand dam des commerçants qui ont pignon sur rue – sont dégagés par les forces de l’ordre. Ils n’apprécient pas et le disent en cassant.

Comme toujours dans ces situations, tout s’emmêle, ceux qui vivent vraiment des étals-trottoirs et qui voient l’horizon se boucher et ceux qui veulent en découdre. Depuis octobre 1988 jusqu’à janvier 2011, on connait les éléments de la mixture explosive d’une rupture durable – elle est politique et morale – entre le régime et le pays réel et principalement les jeunes.

Tekhtini nekhtik ou le divorce durable

Depuis le début des années 2000 – l’ère Bouteflika pour faire simple –, dans une fausse sortie d’une décennie sanglante qui n’a pas traité les causes dans une démarche politique sérieuse, le «lien » entre l’Etat et les classes «dangereuses » est fondé sur une logique de contrat implicite: tekhtini nekhtik, « tu m’évites, je t’évite ». L’argent étant disponible, on a même tenté de saupoudrer cet acte de divorce durable producteur d’anomie par du « social ».

Ce qui s’est passé à Annaba – comme ailleurs – peut être lu comme une simple décision des autorités de faire respecter les règles et donc d’interdire des pratiques commerciales illégales. Comme toujours, ceux qui prennent des décisions ignorent à quel point les Algériens sont informés des pratiques de corruption, des histoires panaméennes. Ils ignorent à quel point pour une bonne partie des Algériens, Chakib Khelil est l’énoncé d’une provocation permanente.

Appliquer la loi, devoir élémentaire d’un Etat, devient de ce fait problématique, à plus forte raison quand il s’agit d’une application à géométrie variable. Ce que les vendeurs à la sauvette est que les autorités ont décidé de manière unilatérale de rompre le deal du « tu m’évites, je t’évite » sans apporter de solution.  Ou plutôt sans être en mesure d’apporter des solutions.

Peur, impuissance, impotence dans la gestion des affaires du pays et incapacité (pour le moment) de la société à générer des alternatives, on est bien dans ce long entre-deux ”où surgissent les monstres”. Nous les avons vus dans les années 90 et les conditions semblent se mettre en place pour les clashs futurs.

Le terrain entretenu pour les prochains clashs

L’un des arguments pour justifier l’arrêt du processus électoral en janvier 1992 est que les Algériens ont apporté par leur vote une «mauvaise réponse à un vrai problème». Le régime a continué avec une irresponsabilité amplifiée par l’aisance financière à apporter ses mauvaises et dispendieuses réponses. Le terrain est ainsi entretenu…

 

A Annaba, c’est une Algérie périphérique et vivant de l’informel qui a contesté la rupture unilatérale de la règle implicite. Ce ne sont pas les gros affairistes de l’informel qui eux disposent d’une capacité de nuisance dissuasive à telle enseigne qu’après leur avoir proposé de faire rentrer leur argent dans le circuit «blanc » moyennant une taxe de 7%, on a décidé de leur offrir une autre issue, plus «fructueuse » pour eux, avec l’emprunt obligataire. Et, à l’évidence, ces barons de l’informel connaissent bien le jeu et ils refusent de jouer.

Circonstances aggravantes, le pouvoir est incapable de satisfaire aussi les attentes de ceux qui sont dans la légalité et forment plus ou moins sa base sociale. Les travailleurs syndiqués, par exemple, n’apprécient pas qu’on s’attaque au système de retraite. Au lieu de «tekhtini », on nous cherche, disent-ils… Même le très obéissant Sidi Saïd se sent obligé de taper un peu sur Ali Haddad, patron «ami » du clan dominant en refusant qu’il fasse le «chikour ».

Peu de gens donnent du crédit aux rodomontades de Sidi Said mais en préconisant (et annonçant avant que le gouvernement ne le démente) la retraite à 65 ans, Ali Haddad a formulé les attentes des oligarques, les clientèles les mieux servies du régime. Et les propositions de M.Haddad ne tombent dans des oreilles de sourds même si l’Algérie ploie sous l’effet de la seule réussite du régime (et du DRS) : la désorganisation, l’anomie.

L’Algérie plus ou moins formelle elle-même (Commerçants, investisseurs, travailleurs syndiqués, haute bureaucratie et gradés à la retraite) s’inquiète, elle aussi, de l’incapacité du pouvoir à apporter des solutions. Elle s’impatiente de faire les frais d’un immobilisme qui fabrique un effet d’entonnoir où tous les problèmes s’accumulent et menacent de devenir explosifs.

Ce n’est pas un spasme autoritaire seulement

Incapable d’imaginer des solutions créatives qui permettent d’avancer, le pouvoir fait ce qu’il sait le mieux faire : réprimer et se doter d’un arsenal juridique pour mater en « toute légalité ». Il y avait un message musclé dans la décision de bloquer internet (décodé : oui, on peut le faire et peu importe que l’image en prenne un coup), il y en a aussi dans la gestion de l’affaire KBC.

Tout comme cela se perçoit dans les projets de loi (loi électorale, obligation de réserve) que le pouvoir veut faire avaliser au plus vite pour gérer les têtes qui dépassent. Ce n’est pas seulement un spasme autoritaire. C’est le signal clair que le pouvoir (ou le clan dominant) n’a pas d’autre solution que celle de la répression.

Et curieusement, même chez les clans et les hommes du système, il y a comme une appréhension de voir la règle du «tu m’évites, je t’évite » remise en cause. Pour le clan des Bouteflika, le DRS a commencé par saper cette règle en traitant des dossiers de corruption et en mettant en cause Chakib Khelil.

Aujourd’hui qu’il y a moins d’argent à partager, le règle du « tekhtini-Nekhtik » est encore plus fragilisée. Issad Rebrab, homme d’affaires longtemps choyé, en subit les contrecoups. Il a déjà pratiquement perdu la partie judiciaire sur l’affaire du rachat d’El Khabar (ce n’est pas une surprise).

Mais avec l’emprisonnement de Mehdi Benaissa, le directeur de la chaîne de télévision KBC, et Ryad Hartouf, responsable de production de l’émission Nass Stah et de Mounia Nedjaï, cadre au ministère de la Culture, on est passé à un message plus brutal. Rebrab est peut-être intouchable mais ceux qui seraient tentés d’aller avec lui auront la facture.

Cette affaire – comme celles qui ont précédé (général Hassan, limogeage de Toufik – témoignent des fractures dans la maison du pouvoir dans un contexte de raréfaction des ressources.  Le général Khaled Nezzar qui a ostensiblement attaqué le chef d’état-major, le général Ahmed Gaid Salah et appelé à rejeter la loi sur l’obligation de réserve des officiers de réserve, n’exprime probablement pas un avis solitaire.

Les classes populaires, variable d’ajustement

La tentative de reprise en main autoritaire en cours aurait pu avoir l’aval de ceux qui constituent plus ou moins les castes dominantes (hommes d’affaires, les hauts cadres, la bureaucratie, hauts gradés, middle classe supérieure) mais elle ne constitue pas une solution en soi.

Une partie de ce beau monde perd de l’argent avec la chute des recettes pétrolières et ne cache pas, via ses « experts », sa déception à l’égard de l’immobilisme du pouvoir. On sait ce qu’ils préconisent – ils n’en font pas mystère – : démanteler les subventions et passer la main aux groupes privés. Ceux-là ont une idée claire de la finalité de la répression : faire taire ceux qui sont les éternels variables d’ajustement des crises, les classes populaires.

Pourquoi le clan dominant tergiverse et n’arrive pas à répondre à ces demandes ? D’abord, le flou institutionnel qui découle de l’état d’un président qui a tous les pouvoirs mais qui n’est pas dans une situation où il peut les exercer réellement. Cela crée des tensions dans le système, sur les solutions à apporter à la crise. Et plus que la « réforme », la tension porte sur l’identité du groupe (ou du clan) qui se chargera de la mettre en œuvre. A plus forte raison quand les manœuvres pour la succession sont engagées.

Du coup, le silence dans les rangs adressés aux retraités de l’armée apparait comme une sorte de «preemptive action » dans la perspective de la succession. Et si le cercle des soutiens se rétrécit (comme la rente), la réponse du clan dominant est de tenter d’encercler le pays par des dispositifs judiciaires répressifs et par la multiplication de message de «force ».

La règle du «je t’évite-tu m’évites » plus ou moins appliquée durant les périodes d’aisance est pernicieuse. Elle enracine l’informel, elle permet au régime de se passer de l’obligation de rendre des comptes car lui aussi fonctionne dans l’informel.

Mais on ne sort pas d’un tel système par un coup de force. Les éléments de la crise annoncée se mettent de plus en plus en place dans un mélange détonant d’insatisfaction générale, d’incapacité de proposer des solutions sur fond d’attachement compulsif au pouvoir.

Faut-il s’inquiéter ? Assurément ! Mais il faut surtout réfléchir à des solutions et envisager les différents scénarios d’évolution de la crise annoncée. Les Algériens et leurs élites doivent commencer à le faire vite car la seule finalité de ceux qui sont en place au pouvoir est de durer – et de ne pas changer – alors que le pays est dans ce “clair-obscur d’où surgissent les monstres”.

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2 Commentaires

  1. Excellente analyse ,très pertinente!Mais en attendant tous les groupes décrits par l’auteur sont dans l’expectative.Qui sortira du bois pour mettre le feu aux poudres?Tous espèrent que ce sera le peuple et surfer sur la « restructuration »violente initiée par celui ci et se présenter comme l’alternative lavée de tous ses péchés.Le peuple, cad les petites gens ceux sur qui la manne pétrolière n’a jamais amélioré le sort doivent rester chez eux et prémunir leurs enfants.Laissons les se débrouiller entre eux.Tous auront bien assez tôt mangé leur pain noir(la fameuse classe moyenne qui constitue le gros de la troupe).Et là quand il n’u aura plus de tarte à se partager,de nouvelles perspectives s’ouvriront pour un nouveau départ.

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