Assassinat de Mohammed Boudiaf et destruction mafieuse de l’Etat

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BoudiafPar Salima Ghezali Dans le 30 juin 2016

« Mais c’est là l’incertitude propre aux guerres intestines de la camorra : rien n’est défini, rien n’est clair, et les choses ne deviennent vraies que lorsqu’elles se produisent. Dans les dynamiques du pouvoir, du pouvoir absolu, n’existe que ce qui est concret. Et donc, fuir, rester, disparaitre ou dénoncer sont des hypothèses incertaines et vagues, et tout conseil reçu se double d’un conseil opposé, seul un fait avéré peut pousser à prendre une décision. Mais quand ce fait survient, on n’est plus maître de ses choix. » Roberto Saviano ,Gomorra : dans l’empire de la camorra.

Nacer Boudiaf, fils du Président Mohammed Boudiaf, accuse des généraux, écrit au président Bouteflika et constitue un groupe d’avocats pour réclamer l’ouverture d’une enquête sur l’assassinat de son père. Dans un rassemblement au cimetière El alia  ce mercredi 29 septembre, auquel il avait convié la population pour la 24ème commémoration de l’assassinat de son père, Nacer Boudiaf a publiquement accusé deux généraux décédés Larbi Belkheir, Smail Lamari et deux généraux en vie, Khaled Nezzar et Toufik de se tenir derrière le crime. Dans un entretien  il déclare ne pas avoir de nouvelles preuves de ce qu’il avance mais il espère que le départ à la retraite du général Toufik va permettre au Président Bouteflika d’ordonner une action en justice pour faire la lumière sur cette affaire. Peut-on s’attendre à  un rebondissement inattendu dans la mécanique habituelle de gestion des affaires, scandales et autres crimes contre les algériens et l’Algérie ? Peu probable en l’absence de tout bouleversement du Système en place. Un jeu de chaises musicales n’est pas un bouleversement du système. Certes, les clans, leurs alliances, leurs clientèles et leurs troupes sont parfois très brutalement impactés par ces transformations au sein du système. Mais, comme dirait Marius, rien d’irrémédiable pour le système lui-même.

La population qui n’a pas répondu à l’appel de Nacer Boudiaf en se rendant massivement au cimetière, ne s’y est pas trompée. Non, par indifférence ou par oubli. Ni par absence de respect pour le combat légitime et louable d’un fils contre les assassins de son père. Mais, précisément parce que l’assassinat de Mohammed Boudiaf a privé Nacer d’un père et a annoncé aux algériens la prééminence du Système sur l’Etat et sur le peuple. Il reste des familles régnantes, des familles éplorées et une foule sans institutions qui ferait d’elle un peuple souverain dans un Etat souverain.

La foule n’était pas là précisément, par ce qu’elle ne sent pas enfin venu le temps, et les mœurs politiques et judiciaires, qui feraient de sa mobilisation de cette manière, pacifique et ordonnée, un élément déterminant. Peut-être parce que trop d’assassins et de voleurs sont toujours là. Dans l’arrogance que donnent l’impunité et la garantie d’une neutralisation totale des institutions de l’état quand il s’agît de vérité et de justice. C’est pourquoi la population, qui a massivement accompagné Boudiaf au cimetière, n’a jamais joint, de manière significative, sa voix à tous ceux qui ont, immédiatement après le crime, prétendu réclamer la vérité sur ses assassins. Elle était elle même trop occupée à survivre au carnage que ce meurtre en direct ne faisait qu’annoncer.

Ceux qui passent leur temps à calculer, en nombre de jours, d’années et de décennies, ce qui sépare un acte abject du souvenir qu’il imprime dans la conscience collective, ont peut-être oublié quelques détails de l’histoire.

Des détails qui ont très peu à voir avec ceux qu’un article publié, quelques heures après les déclarations de Nacer Boudiaf, a jugé utile de mettre en exergue. C’est-à-dire l’alignement supposé de Mohammed Boudiaf sur l’agenda des généraux  en question et de leurs ouailles civiles. A savoir : arrêt des élections, mise en place d’une représentation sociale et politique désignée et non élue, et répression tous azimuts.

Cette façon de répondre est, dans le fond comme dans la forme, bien la preuve que les crimes, même les plus atroces, commis contre le peuple et les institutions nationales ne pèsent, aux yeux de certains, que le poids qui leur est accordé dans le cadre d’un jeu interne au système. Pas ce qu’ils ont coûté et continuent de coûter au pays et à ceux qui le peuplent.

Ils ne sont, ces crimes, que des pièces que l’on bouge de façon à gagner un avantage sur l’adversaire. Quand il s’agît de pouvoir « les gestes ont une souplesse que les jugements moraux ignorent. » Suggérer, en 2016, que les crimes commis dans les années les plus sombres de notre histoire contemporaine engagent de la même manière ceux qui les ont subi, Boudiaf et l’ANP, et ceux qui les ont rendu possibles, la hiérarchie militaire de l’époque, est moins une sottise, trop évidente, qu’une menace, à peine voilée.

Il reste à méditer, dans le lot des propos enregistrés à l’occasion de cette 24 ème commémoration, cette phrase de Bachir Dahak : « La disparition de Boudiaf allait rendre possible le maintien ou la promotion des médiocres et des nains, des vendus, des corrompus qui attendaient depuis longtemps dans leur trou que l’Algérie devienne enfin un immense tiroir-caisse pour eux et leur progéniture.

Mais le grand échec du pays c’est que l’armée, dans sa composante populaire, pas celle des généraux factieux, ne lui a pas servi de rempart contre les ennemis internes »

Que ce sentiment soit largement partagé, c’est là la plus grande réussite du Système.

 

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6 Commentaires

  1. L’armée n’a été d’aucune utilité contre l’ennemi de l’intérieur car elle fait partie de cette frange. Je parle des officiers supérieurs. Ce sont eux qui ont profité de la manne pétrolière de la lapidation du foncier, des biens-vacants, de toutes les lois donnant accès aux investissements soutenus par des subventions de l’état, la cession des biens de l’état et la liste est longue m même très longue. Boudiaf voulait peut-être mettre un terme à ces comportements indignes et néfastes pour le pays mais il a négligé la force de nuisance de ceux qui lui ont fait appel. Le scorpion ou plutôt les scorpions étaient dans le panier, il ne fallait pas mettre la main.

  2. La question que je me pose sans cesse, c’ est Comment un resistant à la stature historique a pu tomber dans le piege de ses anciens camarades QUI VOULAIENT LUI FAIRE FAIRE LA SALE BESOGNE ET S’EN DEBARRASSER APRES?Surtout que lui connaissait deja bien leur vraie nature( modus operandi )etant donné que lui meme a préferer tout laissé tomber pour aller vivre au Maroc? Expliquer moi comment a -t- il pu devenir si naif au point de perdre toute lucidité?

  3. Bonsoir et saha ftourkoum

    Boudiaf était tombé dans le piège des chrognards et c’était une faute élémentaire et naïve dans le cas où le type était sincère qu’il était revenu pour sauver le pays des mains de ses propres enfants (la majorité élue démocratiquement), car c’est étonnant que des charognards se disputent le gâteau  »Algérie » et par enchantement ils décident de le céder à quelqu’un presque étranger à son pays? la question se pose d’elle même pourquoi Boudiaf a accepté ce rôle?

  4. Bonjour,Madame Ghezali,tous mes respects
    L’assassinat en direct à la télévision de Med Boudiaf par ceux-là mêmes qui l’ont convaincu de rentrer de son exil marocain montre combien les brigands qui ont squatté l’Algérie ont su manœuvrer pour le faire venir-sauver le pays,lui ont-il affirmé-,alors que quelques mois auparavant,il refusait l’appel de feu Hocine Ait Ahemd en direct à la télévision.Que comprendre: feu Boudiaf voulait le pouvoir,oubliant qu’en répondant favorablement à la requête de ses futurs assassins,il leur offrait en même temps la régénérescence !!

  5. Boudiaf à bossé pour les généraux putschistes et criminels.
    Oui on se rappel tous de son interview sur la presse nationale et internationale. Ou il disait qu’il fallait laisser le FIS gouverner et surtout respecter le libre choix du peuple.
    Une vingtaine de jours plus tard il était à Alger partageant le lben et degla et bien sûr l’ivresse du pouvoir.
    La première chose qu’il a faite c’est déporter plus de 30.000 algériens innocents sans jugement dans les camps de la mort les camps de concentration dont la figure historique de notre pays SALAH ASSAD
    Il voulait prendre le gâteau sans partager avec les généraux genocidaires.
    Un très grand merci Mme Salam Ghezali Je respecte votre personnalité et vos écrits.
    Vous n’avez jamais mangé avec les Nezzar Médiene Touati ouyahia and co.

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