Éloge de l’analphabétisme

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ArchitictePar Salima Ghezali. Dans le 15 septembre 2016

« Tu es malheureuse parce qu’il serait anormal, voire indécent d’être heureux quand on est Algérien, ou tout simplement quand on a du cœur. Je connais des Algériens qui sont heureux. Mais ceux là sont des amnésiques…Ils ont le geste sûr des complexes ignorés. Ils ont le verbe haut et ne doutent de rien, les malheureux !…Même en français ils sont heureux de braire. »

Malek Haddad ; L’élève et la leçon (1960)

Photo D.R.A l’occasion de sa réception d’un Prix littéraire dans la célèbre ville de Cologne, le philosophe et romancier allemand Hans Magnus Enzensberger a jugé utile de faire profiter un public de fins lettrés d’une réflexion intitulée « Eloge de l’Analphabétisme ». Pour incongrue qu’elle puisse sembler de prime abord, cette initiative prend tout son sens quand l’heureux lauréat se met à décrire l’Analphabète : « …Si j’en tiens compte, l’analphabète m’apparaît comme un personnage honorable, auquel j’envie sa mémoire, sa capacité de concentration, sa ruse, son esprit d’invention, son endurance et la finesse de son ouïe(…) Peut-être vous demandez-vous comment il se fait que ce soit un écrivain qui en vienne à prendre le parti de ceux qui ne savent pas lire…Mais pour la raison bien simple que ce sont les analphabètes qui ont inventé la littérature, dont les formes élémentaires, du mythe aux chansons enfantines, du conte au lied et de la prière à l’énigme, sont toutes plus anciennes que l’écrit !  Sans tradition orale, il n’y aurait pas de poésie, sans analphabètes pas de livres. »

Méditant ce propos en cette rentrée scolaire on ne peut que se souvenir de ce vieux proverbe de chez nous qui préfère de loin avoir affaire à un « fehem lah laq’ra». Non qu’il s’agisse là d’un refus de l’école et des études mais parce qu’une certaine conception de l’école a produit partout dans le monde, et pas seulement chez nous, une forme bien particulière d’analphabète qu’Enzensberger nomme «  l’analphabète secondaire ». De réforme en réforme l’école des « Lumières » qui devait libérer les hommes de l’ignorance a fini souvent par s’avèrer « D’une tout autre nature, le progrès dont il était question consistait à domestiquer les analphabètes, « ces membres de la plus basse classe », à exorciser leur imagination et leur entêtement, pour exploiter désormais non plus seulement leur force musculaire et leur adresse, mais aussi leurs cerveaux…Le triomphe de l’éducation populaire en Europe coïncide en outre avec le développement maximal  du colonialisme…Derrière la figure de l’analphabète se profile déjà la figure du sous homme. Une petite minorité radicale a pris la civilisation en gérance pour son propre compte et discrimine tous ceux qui n’obéissent pas à sa baguette…L’analphabétisme que nous avons enfumé dans ses repaires est revenu, vous le savez tous, sous une forme qui n’a rien de respectable. J’ai nommé le personnage qui domine depuis longtemps la scène sociale : l’analphabète secondaire. »Enzensberger s’exprime ainsi en 1985 : « On verra, en règle générale des analphabètes secondaires occuper les premières places dans la politique et l’économie : il suffit, sur ce point, de  renvoyer aux présidents en fonction des Etats-Unis et de la République fédérale. Inversement, il est facile de trouver, dans ce pays comme aux Etats-Unis, des bataillons entiers de chauffeurs de taxis, de manœuvres, de vendeurs de journaux et d’assistés sociaux auxquels leur remarquable conscience des problèmes, leur niveau culturel et l’étendue de leurs connaissances auraient permis d’aller loin dans n’importe quelle autre société. »

Le rapport entre ces propos et notre situation algérienne est, sous bien des aspects, troublant. Avec ce petit détail qui corse la problématique : le système algérien a produit des analphabètes secondaires dans les deux langues ! Et les deux se battent à mort pour se maintenir dans la position d’éclaireur de l’opinion. Pour les uns il suffit de maitriser le jargon de Molière pour appartenir au rang des « Modernes » et pour les autres se revendiquer de la langue du Coran est un label « d’Authenticité » et suffit à justifier toutes les ambitions. Il reste juste à attendre les bataillons d’amazighophones produits dans le même moule s’ajouter à la mêlée. Les 200.000 morts, victimes directes de la guerre des années 90, n’ont de toute évidence été possibles que parce que des bataillons d’éditocrates, d’imams, d’enseignants et autres militants sont venus rameuter les foules passionnées à leur œuvre de « salubrité républicaine » ou de « salut islamique ». Et voilà qu’ils s’amusent, dans les deux langues, à vouloir recommencer.

Que faire ? D’abord refuser tout pseudo-débat sur une pseudo-réforme en l’absence d’un bilan sérieux. Et un bilan sérieux  ne sera possible qu’ à l’occasion d’un changement radical de ce système gangrené par les rentes de situation autant que par l’ignorance crasse de ses bataillons d’analphabètes secondaires jouant au bon berger du bon peuple qui ne sait pas voter, ne sait pas travailler, ne sait pas penser, mais à qui on va apporter les lumières du   wahabisme  ou les bienfaits de la  néo-colonisation globalisée.

Mille éloges à l’analphabétisme donc, qui a donné à ce pays des hommes et des femmes capables de comprendre le message de ceux qui les ont invité à sacrifier leur vie pour libérer leur pays et  au prix d’un dur labeur, arriver à  élever et nourrir une maisonnée nombreuse, puis l’envoyer à l’école en priant pour qu’elle en fasse des « fehem » pas seulement des « Qari ». Eux, n’auraient jamais débaptisée la rue Fernand Yveton, mus par un douteux nationalisme de la 25ème heure, pas plus qu’ils ne se seraient solidarisés avec des révisionnistes au nom de la modernité francophone.

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1 COMMENTAIRE

  1. A LIRE LA PLAQUE ON SE REND COMPTE QUE LE FRANCAIS EST DEVENU VRAIMENT UNE LANGUE ETRANGERE!
    MAIS ALORS S IL A RECULE AINSI POURQUOI VOULOIR COUTE QUE COUTE COMMUNIQUER AVEC? CETTE PLAQUE CONCERNE UN ARCHITEC DONC UN UNIVERSITAIRE IL SUFFIT DE JETER UN COUP D OEIL SUR UN DICTIONNAIRE POUR S APPERCEVOIR DES FAUTES DE VOCABULAIRE ET DE GRAMMAIRE!!! MAIS CE N EST PAS TOUT! IL Y A MEME DES FAUTES PROFESSIONNELLES! le monsieur est capable de regulariser tout types de constructions non conformes!!!! MAIS ALORS OU EST LA CONFORMITE? ..UNE CONFORMITE PAR RAPPORT A QUOI? AU LIBAN LA LANGUE FRANCAISE ETAIT AU 3eme rang des langues! le liban beneficie d aide culturelle pour l epanouissement du francais mais malgre ca ca recule!!!! ET elle est …AU 8EME RANG !chez nous l analPHabetisme est pluriel il y A seulement le gouvernement qui apporte des solutions et qui sont constamment remises en causes soit parce que des « erreurs ont glissees » soit parce les secteurs en place n ont pas pris le probleme au serieux! mais alors pourquoi les laisser…ET LEUR CONFIER DES MISSIONS QU ILS NE PEUVENT PAS HONORER….TOUT EST FAIT POUR QUE L ON PUISSE TOURNER EN ROND A LA RECHERCHE DES FAUTES QUE L ON VA COMMETTRE!!!!et avec ca les coupables sont toujours pointes du doigt…ce ne sont pas les responsables ….mais eux ….leurs adversaires…
    lorsqu on arrive pas a affronter et convaincre l adversite c est que l aptitude a resoudre les problemes fait defaut….doit on pour autant changer les adversaires….

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