L’Organe de lutte contre la corruption, un faire-valoir coupable 

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CorrupIl ne faut jamais mettre à mal la dignité des personnes dans un débat, à l’exception de ceux qui l’ont perdue par condamnation pénale infamante ou en s’écartant de la démocratie. La probité des
membres de l’Organe de lutte contre la corruption n’est pas en cause.
Mais lorsque l’argumentation politique les accuse de retarder l’éradication du fléau en créant une diversion coupable, les mots durs du débat doivent être à la hauteur de la lourde faute.

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Pour le démocrate, lorsqu’un régime militaire en place depuis un demi-siècle, à la tête duquel se trouve un Président à vie, crée une administration de contrôle pour lutter contre la corruption, cela
s’appelle de l’illégitimité. Pour un juriste, cela s’appelle une nullité absolue, pour un professionnel du spectacle, une pantalonnade, et pour le peuple, un non-événement.

Ce qui n’est pas commun, ce n’est pas que l’Algérie se dote d’un organe de lutte contre la corruption en 2016, c’est qu’il se trouve encore des hommes et des femmes saints d’esprit pour y participer. Si la respectabilité des membres du groupe ne fait aucun doute, il y a des degrés dans la naïveté qui frôlent l’irresponsabilité fautive.

L’incongruité de la manœuvre est aussi évidente que celle de la création de la ligue gouvernementale des droits de l’homme dont nous avions été confrontés dans nos années de militantisme. C’est comme si un démocrate avait accepté l’invitation de Mouammar Kadhafi pour
une conférence sur les droits de l’Homme, c’est comme si nous souscrivions à un placement financier proposé par Bernard Madoff à sa sortie de prison ou que nous offrions, de bonne foi, le Requiem de
Mozart à un islamiste. Tout cela n’est pas sérieux et fait perdre un temps précieux au réveil d’un peuple à la démocratie, ce qui a déjà pris un retard considérable.

Le gouvernement vient donc d’installer l’Organe national de lutte contre la corruption, une petite tapette à mouches pour terrasser le buffle géant de la corruption. Ce genre d’humour est assez partagé dans la plupart des « grandes démocraties » dans le monde, celles qui collectionnent des indices de corruption de Transparency International dont les scores atteignent des sommets, jusqu’à faire voler en éclat le compteur.

Et c’est justement ce que nous devons opposer aux membres du groupe en première argumentation, avec sérénité et la plus grande des courtoisies. Puis demandons-leur la raison de l’existence de leur organe d’action alors que les outils juridiques d’investigation et de sanction existent déjà et qu’il suffit de les appliquer. En dernier point, comme nous souhaitons, malgré tout, leur succès, nous leur adressons une recommandation méthodologique.

Plus c’est corrompu, plus il y a d’organes de lutte

Le premier argument de notre inquiétude que l’on soumet à ces personnes est de deux ordres. L’un, déjà exprimé, consiste à nous questionner sur un pouvoir politique qui demande à un organe
administratif, cinquante années après avoir mis en place un régime tenu d’une poigne de fer, de prévenir et dénoncer la corruption.
C’est déjà en soi très inquiétant car cela nous montrerait qu’il est dépassé lui-même par la créature dont il est le père fondateur, le gérant et le contrôleur. Ou alors, cherche-t-il à égarer les esprits en les détournant des vrais foyers de corruption ? Pas besoin de préciser où se trouve la réponse de
l’auteur de la présente réflexion.

L’autre volet de l’argument est de constater ce qui se passe en Afrique. Jamais dans l’histoire de ce continent n’ont autant été mises en place des commissions de lutte contre la corruption et n’ont
été signés des conventions internationales, des lois et textes réglementaires en ce domaine. Une recherche rapide montre à quel point le dispositif est pléthorique en palabres, congrès et résolutions. Le visionnage de certaines vidéos est d’ailleurs très impressionnant lorsque l’on considère le montant considérable des dépenses allouées à ces rencontres qui nécessitent des
déplacements et des hébergements extrêmement coûteux.

A chaque nouveau clan, propriétaire du pays, ses propres annonces enflammées pour lutter contre le la gangrène financière nationale, jusqu’au prochain coup d’État pour cause…de corruption. Alors, dans ces conditions, nous sommes doublement préoccupés par la création d’un organe de lutte contre la corruption en Algérie. Si la loi statistique africaine selon laquelle, plus il y a de commissions et de textes, plus il y a de corruption et inversement, trouve sa confirmation, il y a effectivement des raisons légitimes de s’inquiéter.

C’est bien ce qui se passe car le rapport annuel de Transparency International sur l’Afrique constate une accélération vertigineuse de la corruption alors même que les initiatives locales vont dans le sens d’une mise en place de nombreux organes de lutte contre le fléau.

Des outils contre la corruption, il en déborde des tiroirs…

La seconde argumentation que nous opposons à ce comité de lutte contre la corruption est également du registre de l’inquiétude. Les juristes ont en général une réticence profonde envers les
institutions d’exception, voire même une répulsion car ils s’en méfient par expérience. La corruption est un délit grave qui doit être traité par le droit commun et donc par les mécanismes normaux
et habituels des démocraties.

Si l’Algérie est loin d’en être une, elle possède néanmoins une panoplie considérable d’outils d’application du Droit. Les dictatures ont ceci de particulier, c’est qu’elles sont méticuleuses, précises
et prolixes en dispositions juridiques qu’elles n’appliquent jamais lorsqu’il le faut mais en abusent lorsqu’il s’agit de leur faire dire le bon droit de leurs intérêts privés ou politiques.

Commençons par la saisine pour corruption, l’institution existe depuis longtemps dans les codes de procédure pénale, cela s’appelle un Procureur de la république. Quant à la qualification des faits,
rien de plus bavard que ce bon et vieux code pénal. Pour ce qui est de l’investigation, on appelle cela une police judiciaire, une douane ou des services spécialisés d’un ministère. A propos du jugement,
il existe depuis des millénaires une institution qui sert à trancher les litiges dans les sociétés et à prononcer des sanctions pénales, cela s’appelle un juge. Quant au système carcéral, son existence est aussi ancienne que l’humanité.

Je n’ai pas lu les missions officielles de l’Organe de lutte contre la corruption car en matière de comique, j’ai une tendance à écouter de vrais professionnels du spectacle. Mais avec très peu de
réflexion, on peut déduire ce que peuvent être les missions d’un organe de ce type. Celles qui viendraient spontanément à l’esprit seraient « collecter et investiguer », « informer et
sensibiliser », « dénoncer et sanctionner ». Nous laisserons le premier couple d’objectifs pour le paragraphe suivant car il demande un développement particulier.

Informer et sensibiliser, voilà effectivement des actions naturelles pour toutes les initiatives à travers le monde qui ont une mission du même genre, comme la prévention à la santé, la lutte contre la drogue, contre la violence et ainsi de suite. Prenons, au hasard, véritablement au hasard, une campagne d’information et de sensibilisation auprès des officiers de l’armée et imaginons ce
qu’elle serait.

Je devine, avec délectation, les membres du comité s’adresser à un public sage, en ligne parfaite, qui écoute le discours sans broncher : « Les détournements de biens publics, c’est pas bien !», « Un fonctionnaire, c’est intègre ! », « Attention à la punition, pan pan sur les doigts ! ». J’entends déjà le
silence déconcerté de l’auditoire, mais pas celui de l’éclat de rire contenu, plutôt celui d’une profonde désolation lorsqu’on est face à des gens manifestement atteints de démence profonde. Car
c’est tout à fait le mot qui convient si le comité réalisait la véritable mission informative et pédagogique qui devrait être la sienne.

Le seul détail statutaire qui s’est invité à mon regard dans une rapide lecture de journaux est la forme juridique de la personne morale crée, soit une AAI (Autorité Administrative Indépendante).
Nous éviterons au lecteur un cours de droit mais ce statut est très contesté car il empiète d’une manière dérogatoire sur le domaine réglementaire qui est constitutionnellement de la compétence
gouvernementale. C’est à mourir de rire car, en cinquante années, pas un démocrate ni même un parti politique d’opposition n’a réussi à confisquer une seule petite miette du pouvoir central exécutif, voilà qu’il est attribué à des personnes morales « indépendantes ». Il n’y a vraiment que les membres nommés de cette institution qui peuvent y croire, c’est sans doute la raison de leur acceptation à y participer.

Commencez par ce qui est visible !

Les membres de l’Organe de lutte contre la corruption (on ne se lasse pas de répéter ce nom) vont certainement nous dire que le combat contre ce mal est un état d’esprit général et que c’est l’affaire de tous les citoyens algériens. Ils auront bien raison, voilà pourquoi nous nous attelons à leur faire des recommandations pour les soutenir. En y réfléchissant, je m’aperçois que les trois
recommandations qui sont dans mon esprit n’auront probablement pas échappé à leur intelligence et qu’ils ont déjà, dans leur planification, commencé à en écrire les modalités techniques, tant
elles sont évidentes.

La première est de demander impérativement au gouvernement de signer la norme internationale qui entre en vigueur au premier janvier 2017 et qui est un outil des plus performants pour leur mission. S’ils ne le faisaient pas, nous serions en droit de nous poser des questions car ce serait invraisemblable qu’ils n’exigent pas la mise en place d’un mécanisme nouveau et efficace que 102 pays ont déjà adopté pour connaître « automatiquement » les montants des avoirs bancaires à l’étranger des résidents nationaux.

La seconde recommandation est de ne pas attendre plus longtemps pour investiguer sur les personnes qui font l’objet de grosses suspicions et qui n’ont pas été entendues pour s’expliquer. C’est pour le moins ce que nous attendons d’une commission de lutte contre la corruption.
Je pense par exemple à cette accusation qui a fait bondir Louisa Hanoune dans la presse algérienne. Le problème est qu’elle bondit tous les jours, avec rage et colère, depuis vingt ans, sans avoir
fait bouger les choses d’un iota. La raison est qu’il y a peut-être une similitude entre l’acceptation d’une fonction de députation, entièrement verrouillée par un régime politique autoritaire, et la
participation à un organe de lutte contre la corruption, installé par ce même pouvoir.

Je les vois auditionner l’ami d’enfance du Président de la république dont je disais, dans un article précédent, qu’il était le seul au monde à être « un exilé en sens inverse ». Ce serait
bien le diable si l’institution ne convoque pas celui qui est tellement sollicité par la justice internationale. Je les vois également demander des comptes à des proches familiaux de tout
responsable politique qui n’ont aucune raison d’intervenir publiquement ainsi qu’à des ministres, hauts fonctionnaires ou chefs d’entreprises privées dont les faits sont relatés dans la presse.

Je les vois, enfin, exiger que cet homme d’affaires qui fut poursuivi et condamné en France pour transfert illégal de grosses sommes en devises, se justifie auprès d’eux. La moindre des choses est qu’ils vérifient l’origine des fonds et s’instruisent, comme dans des travaux pratiques, avant de s’attaquer à plus lourd, sur un mécanisme lié le plus souvent à la corruption. Il serait curieux
qu’ils s’épargnent cette belle occasion de formation concrète, comme une mise en bouche préparatoire.

Ma dernière recommandation ressemble à une sorte de résumé de ce que les algériens ont compris depuis un demi-siècle sans être nommés dans un organe de lutte contre la corruption. Il s’agit de se doter d’une simple feuille de calcul Excel et de bonnes chaussures de marche. Là également, il serait suspect que les membres investis s’en dispensent car l’affaire est d’une évidence confondante.

La première opération consiste à ouvrir un tableau à deux colonnes. Dans celle de gauche, reporter la rémunération du fonctionnaire ou le chiffre d’affaires déclaré de l’homme d’affaires. Dans la colonne de droite, il faudra parcourir l’Algérie et recenser tous les biens immobiliers possédés, en évaluer la valeur du marché et à en reporter la somme. Puis ajouter toutes les valeurs mobilières visibles et enregistrées au service des mines et des douanes pour les voitures, au registre de commerce pour les parts d’entreprises et ainsi de suite.

Et comme l’organe administratif bénéficiera des informations permises par la convention AEOI dont il aura préalablement demandé et obtenu la signature, il faudra rajouter les avoirs bancaires à
l’étranger (pour les avoirs immobiliers, ce sera pour plus tard).
Mais cela ne suffit pas, il faudra appliquer la méthode d’investigation que tous les débutants des polices financières et des services fiscaux à travers le monde connaissent, celle des croisements d’informations. Il faut donc corriger à la hausse les sommes de la colonne par toutes les données de même type récoltées auprès des prête-noms éventuels, soit l’épouse, les proches, la tata, le tonton et ainsi de suite.

Une fois cette opération de recherche et de compilation effectuée, il suffit d’appliquer la fonction « différence » pour obtenir le solde. Ne pas s’inquiéter, Excel gère les montants négatifs et
ceux qui ont un nombre de zéros aussi long que l’intégrité de certains de nos fonctionnaires, il faudra simplement élargir la cellule. Le reste est une unique question à poser : « d’où proviennent ces sommes ? », pas besoin de grands discours.

Il y a tellement à faire que nous devons reconnaître, à ce groupe de valeureux, un courage exemplaire pour avoir accepté la mission, ils n’ont pas choisi un travail de tout repos. Nous les saluons pour leur mérite. Je suis sûr qu’ils seront d’une intégrité intellectuelle sans faille et qu’ils s’attaqueront à la corruption sans se soucier du statut des personnes. Hauts personnels de
l’État, y compris jusqu’au plus haut, élus de la république, officiers de l’armée, hommes d’affaires ou simples citoyens, ils seront impartiaux dans leur investigation, grands et dignes, nous en avons déjà la larme à l’œil. Allez-y, les gars, le peuple est derrière vous !

Mais à ce moment de la rédaction de l’article, s’affiche le nombre de caractères qui s’approche du maximum pour une lecture facilitée.
Il est temps d’arrêter l’écriture car la promesse de courtoisie de mon introduction commence à peser lourdement et mon for intérieur revient à la charge pour tenter de reprendre le dessus.

Car si j’avais laissé cette voix intérieure s’exprimer librement, véritable reflet de mon sentiment, je n’aurais jamais pris autant de temps en écrivant un article d’une page. Un adjectif bien ressenti
pour qualifier cette administration aurait suffi, ce que la rédaction du journal n’aurait jamais publié, à bon droit. J’avais d’ailleurs longtemps hésité à mettre un point d’interrogation au titre de l’article mais la voix intérieure m’a manifestement empêché d’apposer une telle marque de prudence.

Tous les requins des grands fonds ont une nuée de petits poissons pilotes qui les accompagnent pour les nettoyer de leurs parasites et grappiller les miettes du festin que le vorace animal a laissé
échapper de ses dents carnassières. C’est la raison pour laquelle, si j’allais puiser dans la vérité de mon sentiment profond, c’est le dédain et l’indifférence méprisante qui en auraient été la
meilleure traduction.

SID LAKHDAR Boumédiene

Enseignant

4 Commentaires

  1. OUI PAR LA CREATION DE CET ORGANE AVEC TOUTE LA PUBLICITE QUI SE FAIT AUTOUR ON VEUT DEMONTRER QU IL Y A UNE VOLONTE DE LUTTER CONTRE LA CORRUPTION!!! OR, l organisation institutionnelle du pays et l absence de separation des pouvoirs ne permettent ni d evaluer les politiques ni d imposer a leurs auteurs de rendre comptes nous avons la desagreable impression que la chose publique est orpheline! prenons les exemples simples non pas de detournements de marches ou de deficits explosifs comme ceux de sider mais de simples problemes d intoxications au cachir ou au fromage : leurs fabricants font des declarations « politiques » comme si les algeriens ne comprennent rien a la chaine de froid et aux normes de stockage et a la rigueur de la tracabilite !!! ils declarent toute honte bue qu ils ne sont pas responsables!!! alors que chez eux en france ils ont des superviseurs des ventes qui s enquerissent des conditions de stockage de qualite et que LA NOTION DE RESPONSABILITE A UN SENS TRES ELEVE ET SON ABSENCE PEUT COUTER TRES CHERS!!! chez nous c est l impunite ! cet organe situe au rez de chaussee ne peut pas voir ce qui se passe au premier etage alors lui demander de voir vers les hauteurs c est mission impossible!!!

  2. Donnez nous une JUSTICE indépendante et garder tous le reste…c’est ce qui nous a manqué depuis des siècles et hélas c’est ce qui nous fait défaut dans le monde arabe et musulman.
    ah si un jour la justice la vraie verrait le jour chez nous , il n’y aura plus de problème.
    alors comment l’instaurer

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