La Loi de finances 2017, entre incohérences et improvisations : une équation budgétaire insoluble

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 bilan de la voyoucratieTSA

mardi 4 octobre 2016 |

Par Ferhat Ait Ali
LA LOI DE FINANCES SEMBLE AVOIR ÉTÉ ÉLABORÉE SANS PRENDRE EN COMPTE LES EFFETS INDUITS PAR LES MESURES INTRODUITES SUR LA SUITE DES ÉVÉNEMENTS, NI LA COHÉRENCE DES PRÉVISIONS ÉTALÉES, POUR UNE FOIS JUSQU’À 2019, EN MATIÈRE DE RECETTES ET DÉPENSES PUBLIQUES. (CRÉDITS PHOTO : DR)

L’avant-projet de Loi de finances pour 2017, qui sera au menu du conseil des ministres ce mardi, a été élaboré dans une situation qui impose un redressement de tous les comptes clés du pays et le rétablissement d’équilibres largement malmenés par la rupture de la digue constituée par le Fonds de régulation pour les budgets et la menace sur les réserves de change pour les approvisionnements extérieurs.

Sous l’effet conjoint de cette double source de panique, les secteurs concernés semblent avoir élaboré ce texte en travaillant chacun pour son compte et dans son coin. Le texte semble avoir été élaboré sans prendre en compte les effets induits par les mesures introduites sur la suite des événements, ni la cohérence des prévisions, étalées, pour une fois jusqu’à 2019, en matière de recettes et dépenses publiques.

Ainsi, d’un côté, nous retrouvons l’impératif de redressement budgétaire par la compression des dépenses et l’augmentation des recettes chez les uns. Chez les autres, c’est l’impératif de redressement de la balance des paiements qui a dicté la démarche. Mais ni les uns ni les autres ne se sont penchés de près sur l’effet contradictoire des mesures prises et les effets qu’elles induiront sur la sphère économique réelle, et sur la société en général.

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Des prévisions pessimistes

Pour la première fois, la Loi de finances (article 89) aborde les recettes fiscales par anticipation pour les exercices 2018 et 2019. Le texte a même détaillé la part de fiscalité pétrolière attendue pour ces exercices fixée à 2359,7 milliards de dinars pour 2018 et à 2643 milliards pour 2019, sans toutefois préciser les taux de change retenu pour ces deux exercices.

Or, ce paramètre est important du fait que si on dévalue pour gonfler la masse en dinars et limiter les importations, ces deux chiffres sous entendent qu’on attend un recul dans le volume des ventes d’hydrocarbures par rapport à 2016 et 2017. Mais si on les calcule sur la base d’un taux de change équivalent à celui de 2016, soit 110 dinars pour un dollar, ces deux prévisions donnent exactement les chiffres suivants en matière d’exportations pétrolières qui semblent être calculées sur la base de 45 dollars le baril à un taux fixe du dinar : 3225 milliards de dinars, soit 29,35 milliards de dollars attendus pour 2018, et 3613 milliards de dinars, soit 32,8 milliards de dollars pour 2019.

Ces prévisions ne laissent donc aucun doute sur les anticipations du gouvernement relatives à l’évolution du marché pétrolier. Elles montrent qu’il table sur des prévisions plus pessimistes que les experts malgré ses assurances publiques régulièrement réitérées concernant un rebond un pétrole dès 2017-2018.

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Par ailleurs, et par un effet d’érosion de la fiscalité pétrolière, la masse des recouvrements en ressources ordinaires prend le dessus sur les recettes fiscales liées aux hydrocarbures dans ces prévisions. Ce scénario, qui reste à réaliser, est présenté par les autorités comme un exploit, alors qu’il n’est dans les fait induit que par l’existence des réserves de changes antérieures et par le maintien des importations à un niveau qui permet d’avoir une base taxable grâce aux taxes sur les produits importés et les sociétés d’importation.

Les ressources ordinaires attendues pour ces deux exercices sont de l’ordre de 3438,8 milliards de dinars pour 2018 et 3780 milliards de dinars pour 2019. Si on en exclut une moyenne annuelle de 10% provenant de ressources non fiscales comme taux maximal des exercices précédents, on obtient respectivement 3094 milliards de dinars et 3402 milliards de dinars de ressources fiscales ordinaires pour 2018 et 2019.

L’équation insoluble des importations

Mais dans ces prévisions, le doute est permis. En effet, et en l’absence d’une réforme majeure de la fiscalité qui demeure parmi les plus lourdes du monde, les proportions de participation des différentes taxes à la masse fiscale globale demeurent à des taux assez proches les uns des autres depuis des années.

Notre fiscalité ordinaire est induite en moyenne à 20% par la TVA à l’importation. Les droits de douanes prélevés à l’importation représentent 20% de ces importations. Le cumul de la TVA à l’importation et des droits de douanes prélevés à l’importation représentent 39% des ressources fiscales ordinaires.

Or pour le maintien de ces ratios, malgré le passage au taux de TVA à 19% préconisé dans l’article 23 de la LF 2017, le gouvernement n’a d’autre choix que de maintenir un certain volume d’importations qui permettra de servir d’assiette à ces taxes.

Le calcul de cette assiette donne des importations de l’ordre de 5914 milliards de dinars pour 2018 et 6503 milliards de dinars pour 2019. Au taux de change 110 dinars pour un dollar, elles représentent respectivement 53,7 milliards et 59,4 milliards de dollars. Sans ces importations, il n’y aura ni ces droits et taxes au port ni une bonne partie de la fiscalité interne dont la TVA et la TAP, elles-mêmes induites par ces produits.

Des réserves de change de 40 milliards en 2018 ?

Or, ces chiffres d’importations, comparés à ceux des exportations calculés plus haut sur la base de la fiscalité pétrolière attendue, donnent des déficits de l’ordre de 24,4 milliards et 26,2 milliards de dollars respectivement en 2018, uniquement pour la balance commerciale. Si on ajoute une moyenne de 10 milliards de dollars par an en dépenses dans la balance de paiement (importations de services, dividendes des groupes étrangers, etc.), on obtient des déficits de la balance de paiements de 34 et 36 milliards de dollars pour 2018 et 2019.

Si on suit ce cheminement, il ne restera pas grand-chose des réserves de change en 2018 : elles seront de l’ordre de moins de 40 milliards au 31 décembre 2018.

Un budget 2017 non réalisable

L’ensemble de ces remarques s’applique intégralement aux prévisions budgétaires pour l’exercice 2017. Ces chiffres qui semblent avoir servi de base de départ aux projections de 2018 et 2019, et qui donnent les agrégats suivants en milliards de dinars :

Ressources globales                                       5 635,51
Ressources ordinaires                                         3 275,81
Fiscalité pétrolière                                         2 359,70
Dépenses de fonctionnement                                         4 591,84
Dépenses d’équipement CP                                         2 291,37
Dépenses d’équipement AP                                         1 386,67
Total dépenses budgétaires                                         6 883,21
Solde budgétaire                                        1 247,70

Nonobstant le fait que les prévisions de la Loi de finances pour 2016 se sont avérées non réalisées car non réalisables en terme de recettes budgétaires aussi bien pétrolières qu’ordinaires, les ratios sont les mêmes que pour les précédents exercices quelles que soient les comparaisons faites entre les agrégats budgétaires ou relatifs à la sphère économique réelle, et leur maintien pour 2017, est de mise en toute logique.

Ainsi, on se retrouve avec des prévisions extrapolées de recouvrements de TVA et droits de douanes à l’importation au profit du trésor public de l’ordre de 1052 milliards de dinars pour 2017, représentant aussi bien 34% des recettes fiscales ordinaires et 20% des importations. Ce qui place ces importations à 5964 milliards de dinars, soit 54 milliards de dollars avec un déficit de l’ordre de 25 milliards de dollars dans la balance commerciale et probablement 35 milliards de dollars dans la balance des paiements.

Mais ces chiffres d’importation ne sont pas ceux qui seront réalisés dans les faits. En effet, le scénario gouvernemental ne tient pas la route : une dévaluation du dinar va survenir et fausser tous les comptes à partir du constat du vrai déficit de la balance des paiements de 2016. Les chiffres nécessaires pour permettre au gouvernement de réaliser ses prévisions de fiscalité ordinaire sont loin de ceux donnés dans le projet de Loi de finances 2017.

La réalité sera tout autre et nous aurons à nous étaler dessus dans le détail dans d’autres écrits, mais dans l’immédiat, une chose est sûre : les différentes taxes introduites dans cette Loi de finances auront peu de chance de répondre aux vœux du gouvernement en terme de recettes.

Pour certaines, leur incidence sera mineure comme la taxe foncière et l’extension de l’IRG sur les plus-values de cession de biens et d’actifs. Elles risquent même de limiter les transactions dans les secteurs ciblés ou accentuer la fraude fiscale et les pertes sur tous les tableaux.

Pour d’autres comme l’augmentation de TVA et la TIC, introduite à des taux qui vont doubler les prix des produits ciblés et les rendre de fait inaccessibles aux acheteurs potentiels, divisant ainsi leurs chiffres de ventes par plus que la moitié.

En logique, quand on augmente de manière substantielle une taxe sur un produit, l’effet recherché est en général la dissuasion quant à son achat, et non le recouvrement de taxes sur la base des précédentes ventes de ce même produit. À moins de croire qu’on peut effectivement jouer sur tous les tableaux et gagner.

Une TIC de 45% à laquelle vient s’appliquer une TVA de 19%, faisant un taux cumulé de 72,55%, va faire passer une machine à laver coûtant actuellement 40.000 dinars à 70.000 dinars. Ce qui ne va pas rapporter grand-chose à l’État en recouvrements nets, dans la mesure où dans un pays où les salaires moyens sont de 300 dollars et le gros des petits ménages vit avec 200 dollars, il n’est plus évident d’acheter un article de base à 650 dollars.

Rappeler aux Algériens que des articles qu’ils achetaient précédemment sans trop d’efforts coûtent ailleurs la moitié du Smig et non 1,5 fois le salaire moyen comme en Algérie, en les faisant passer d’un coup à 2,2 fois les salaires moyens et 3,3 fois le SNMG local, est une bonne manière de dire qu’un pays dont le PIB est de 166 milliards de dollars tiré par les hydrocarbures ne peut pas vivre comme un pays dont le PIB est de 3000 milliards de dollars sans hydrocarbures. Mais attendre, en même temps, une hausse de ses revenus fiscaux égale à l’augmentation de taux est une gageure que seul un fonctionnaire local peut tenir.

Des dépenses de fonctionnement incompressibles

Par ailleurs, pour le volet dépenses publiques, on peut constater que l’État a lui-même fait le constat du caractère quasi incompressible de ses dépenses de fonctionnement. Il ne se prépare pas à des révisions massives de ses dépenses habituelles envers ses fonctionnaires ou même les soutiens sociaux, du moins dans les prévisions. Ce qu’il fera quand même sous la contrainte vu le caractère aléatoire de ses prévisions de recettes.

Dans le même temps, il compte sur la fameuse amélioration (à mon sens impossible) de ses recettes ordinaires et l’élagage de 10 milliards de dollars de ses dépenses d’équipements pour limiter ses déficits. Or, en dehors de l’IRG sur salaires, le reste de sa fiscalité vient justement en partie des dépenses d’équipements, toutes génératrices de TVA et autres impôts locaux et centraux, chez ses fournisseurs habituels.

En règle générale, quand un pays a des moyens de paiement réduits, il réduit la voilure et n’essayant pas d’améliorer ses recettes sur une assiette qui se réduit au prorata de ses moyens de paiement. Même si notre administration pense l’inverse obnubilée par le fantôme de l’informel qu’elle a elle-même fabriqué avec ses pressurisations fiscales et extra légales sur tout ce qui bouge dans la légalité.

Ces mesures fiscales produiront l’effet inverse attendu par l’État : la baisse des transactions en général et le passage d’une autre partie vers l’informel de plus en plus sécurisant au vu de cette pression irrationnelle.

En conclusion, et est clair qu’une refonte générale de notre système fiscal et budgétaire et même notre vision globale de ces deux piliers de la gouvernance, sont de mise, vu l’écart de plus en plus large entre les réalités économiques et les projections et besoins de notre administration.

6 Commentaires

  1. C’est terrible comme notre pays sombre de plus en plus dans la médiocrité, en effet tout le monde aura remarqué que depuis maintenant plus d’une décennie, le seul et unique document économique et financier officiel de l’état Algérien est précisément loi de finances. D’ailleurs ce document qui est sensé être une une simple récapitulation du budget de l’état est attendu avec beaucoup de curiosité mêlée d’espoir et d’appréhensions. Sa signature par le président de la république est entourée de tout un cérémonial. c’est le fruit d’un travail de réflexion de tous nos experts durant une année entière, peu importe son contenu, l’essentiel c’est le fait de l’avoir fait comme chaque année et parfois même deux fois par an lorsque les idées ne sont trés claires. Ce document est tellement important qu’il a relégué au second plan les différents codes des impôts, d’ailleurs tous les amendements liés à la fiscalité sont pris à travers cette fameuse loi de finances. C’est à se demander ce que font durant toute l’année tous ces ministères et tous ces organismes bidons et à quoi servent-ils. Quel est le rôle de la banque d’Algérie dans les grands équilibres économiques et financiers et notamment la balance commerciale et la balance des paiements ? Quels sont les organismes sensés définir une stratégie à long et moyen terme en matière économique ? Qu’allons-nous devenir sans recettes pétrolières ? des questions sans réponses. Je suis persuadé qu’une bonne vielle dame du fin fond de nos campagnes saura gérer les finances du pays mieux que ces va nu pieds.
    Pour l’anecdote, ce document est tellement vénéré que lorsqu’un journaliste a demandé aux députés de l’APN quel était de dernier livre qu’ils auraient lu, beaucoup ont répondu : la loi de finances, sacrés ‘dépités’ de chez nous.

  2. Bonjour à tous,

    Il y en a vraiment qui continuent de téter leur pouces. Mais que nous reste t’il? on s’amuse encore à se poser des questions sur nos réserves de change? sur le budget 2017 réalisable ou pas? comment sont réparties les masses d’argent? Mais voyons donc. Vous pensez sérieusement que la mafia au pouvoir, le régime de bananes qui nous gouverne se préoccupe du devenir du peuple? l’essentiel pour ces voyous est juste la sauvegarde de la rente et peu importe son débit. Car lorsque celle ci sera asséchée, il prendra ses clics et ses clac pour se lotir sous d’autres cieux. Le budget 2017 c’est le dernier de ses soucis dans l’absolu. Bonne journée à tous.

  3. oui encore une fois reconnaissons que le probleme de notre economie est politique et sans l implication de la societe ni les reserves de changes ni le renforcement de la fiscalite ne peuvent etre d un secours quelconque ceci pour les solutions apparentes ….la manipulation du change du dinar demeure aussi un levier pour le pouvoir! et il ne s embarasse pas de l actionner quand il le faut puisqu il a un effet boule de neige sur la fiscalite et les droits de douanesmais aussi sur le rencherissement du credit et la diminution de la consommation!
    le pays a besoin de croissance il y a lieu de liberer l economie de la politique et de liberer la politique des verrous constitutionnels qui empechent l independance de la justice, l autonomie de l universite et la contradiction des interets par un jeux d equilibre des pouvoirs! en maintenant ces verrous en place on laisse le champs libres aux politiques qui nous ont mene la ou nous sommes et qui degarnissent les centres de production de savoir pour laisser les apprentis sorcier mijoter encore ces simulacres de « lois de finances et de reformes  » qui ne font que perdre du temps a tout un peuple!

  4. rachid dahmani, Pour la sauvegarde de la rente et peu importe son débit,
    le régime ne prendra pas ses clics et ses clac pour se lotir sous d’autres cieux, il se transformera en vendeur de sable http://www.wsrw.org/ma139x742 ou en commerçant de déchets atomiques.
    Rien qu’en 2001 par exemple 600 000 tonnes de déchets nucléaires ont été embarquées à destination de l’Afrique : vers le Zaïre, le Malawi, l’Érythrée, l’Algérie , le Mozambique – et la Somalie. Le gouvernement des USA s’était refusé à signer l’accord de 2005. De même des entreprises européennes- l’entreprise ODM, basée à Lugano, est nommément citée -ont continué à demander des autorisations de stockage de leurs déchets nucléaires dans ce dernier pays.
    Le commerce des déchets atomiques: le stockage de déchets nucléaires coûte, en Europe, environ 250 $ US par tonne, en Afrique environ 2,5$.

    • Bonjour bencheikh,

      Tu n’as pas tort dans le fond. Ils seront vendeur de sable, accueilleront les déchets nucléaires (loin de leurs sites de résidence) avec plaisir pour irradier la population moyennant traitement de faveur en retour…etc. Tant que les richesses sous toutes les formes subsistent la marabounta qui nous gouverne les pressera comme un citron. Seulement rien n’est éternel, du moins dans ce bas monde, tout a une fin. Et pour cette mafia au pouvoir le temps n’a jamais semblé être long seul le présent compte pour elle…et c’est un drame pour la population qui n’a jamais réagi jusqu’à présent. Bonne journée l’ami.

  5. Je suis désolé mais vous avez tout faux. Je vais essayer d’être pédagogue. Vous êtes fermier et vous avez une seule vache qui vous fait vivre et des enfants à nourrir. Si vous avez pris vos dispositions depuis 15 ans pour recruter des mercenaires étrangers pour tuer la vache à petit feu et pour vendre la ferme. Si avec cet argent qui appartient à vos enfants, vous avez acheté une autre ferme à l’étranger tout en ayant fait le choix d’abrutir votre progéniture pour en faire de futurs esclaves, alors je suis en droit de m’interroger sur vos intentions réelles.
    La programmation de la destruction de Sonatrach, l’absence de renouvellement des réserves et sa résultante, la forte baisse des exportations dans moins de dix ans, le détournement de la rente gazière avec la complicité d’étrangers mafieux à travers la filière Asmidal qui va contribuer à assécher rapidement la rente, la destruction de l’école… Voilà la feuille de route qui va faire de l’Algérie la prochaine cible.

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