LE FLEUVE DE L’OUBLI

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17 octobre 61

« Peuple français, tu as tout vu Oui, tout vu de tes propres yeux. Tu as vu notre sang couler Tu as vu la police Assommer les manifestants Et les jeter dans la Seine. La Seine rougissante N’a pas cessé les jours suivants De vomir à la face Du peuple de la Commune Ces corps martyrisés Qui rappelaient aux Parisiens Leurs propres révolutions Leur propre résistance. Peuple français, tu as tout vu, Oui, tout vu de tes propres yeux, Et maintenant vas-tu parler ? Et maintenant vas-tu te taire ? » (La gueule du loup)

Ce poème de Kateb Yacine est un cri contre l’oubli, une révolte contre l’injustice, un boulet de vérité jeté à la face de l’horreur, du non-dit, du silence qui tient en otage nos mémoires mutilées. Ce poème porte la voix de tous les algériens noyés dans la Seine, le 17 octobre 1961.

Cette année-là, « octobre à Paris » était sanglant. Il était cruel. C’était le jour du crime colonial sur les bords du fleuve qui continue à en garder un silence coupable. Au-delà de 55 ans de déni officiel, les enfants de l’Algérie de la Révolution, mais aussi, ceux de la France des « porteurs de valises », refusent d’oublier.

Comme chaque année, hier encore, ils étaient des centaines à s’être donnés rendez-vous au Pont de Saint Michel à Paris pour se recueillir à la mémoire des victimes d’un crime d’Etat dont le sujet est rendu tabou par la collision des deux raisons d’Etat. : celle de l’ancien colonisateur et celle d’un régime à l’esprit de colonisé. Cette année encore, le cris de Kateb Yacine a retenti comme un hymne à la vérité et à la justice par la voie et les voix des intervenants.

Parmi les intervenants figure l’historien Olivier Le Cour Grandmaison. Ce porteur de vérité parmi les justes milite depuis des années pour la reconnaissance du crime d’Etat du 17 octobre 1961. Intraitable, ce membre fondateur du Collectif contre le l’oubli du 17 octobre 1961 a dénoncé une réhabilitation « absolument stupéfiante du passé colonial de la France » par une classe politique honteusement oublieuse.

Une réhabilitation à laquelle se joint, selon M Le Cour Grandmaison,  » le chœur d’intellectuels médiatiques ». Devant, « l’euphemisation » des crimes coloniaux, par un personnel politique soumis au diktat de l’électoralisme, il a proposé de lancer un appel  » pour que soir reconnu l’ensemble des crimes coloniaux…que cette appel soit soumis à l’ensemble des candidates et des candidats afin que nous sachions ce qu’ils en pensent, comment ils répondent, comment ils se situent dans ces débats.

Aussi, nous nous déterminerons en fonction de leur réponse ». A l’approche des joutes électorales en France, ce porteur de vérité propose le choix de la conscience pour ce déterminer par rapport aux différents candidtats, droit et gauche comprises. Tout comme feu Jean-Luc Einaudi, Olivier Le Cour Grandmaison est un autre « héros moral » dont les chercheurs de vérité gagneraient à suivre l’exemple. La blessure est loin d’être refermée. Le 17 octobre 1961, plus de 30000 algériens, « souvent en famille » descendent dans les rues de Paris pour manifester pacifiquement contre le couvre-feu les visant, décrété par le tristement célébré préfet de police, Maurice Papon. La mobilisation du FLN est massive. La répression de la police des plus sanglantes. Certaines sources estiment jusqu’à 300 morts. Sur ce point également, la loi du silence continue de peser de tout son poids. Hommes, femmes, de  » sept à 77 ans », les algériens avaient répondu massivement à l’appel du FLN du peuple qui n’a rien à voir avec son avatar du régime du reniement. Ils portaient à bras le corps le combat de tout un peuple pour son droit à l’autodétermination. Un combat qui a fait l’admiration de toutes les lumières humaines de par le monde. Pour l’histoire, ce jour-là, le célèbre écrivain Gabriel Garcia Marquèz était à Paris. Son teint basané lui fit subir une  » ratonnade » de la police de Papon. Ce jour-là, l’auteur de « Cent ans de solitude » était devenu algérien. Aujourd’hui, 55 ans après, que reste-il de cette histoire ? La résolution votée par le Sénat en 2012 pour la création d’un lieu de mémoire voué à ce triste événement est restée lettre morte. De l’autre rive de la méditerranée, le régime illégitime semble s’accommoder de ce silence. Il n’en demande pas plus, lui qui n’a de passé, pendant la Révolution et après l’indépendance, que la conspiration contre le projet d’une République algérienne démocratique et sociale. A la mémoire réelle du peuple de Novembre et du « peuple de la Commune » les deux raisons d’Etat œuvrent à substituer une mémoire artificielle, celle qui empêche nos deux pays, l’Algérie et la France, de s’approprier la mémoire de leur histoire commune. En attendant des jours meilleurs, cette histoire continue de se noyer dans le fleuve de l’oubli programmé.

Hacene Essaid

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