Lynchages : Entre la stratégie du fou et l’adieu aux larmes

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Rat et dinar

Par Salima Ghezali

Photo D.R.

Photo D.R.          

Il y a peu de mots dont la liste des significations possibles est aussi riche que celle du mot aliéné l’inimitable wikipédia nous dit même que l’usage s’en est raréfié précisément à cause de cette profusion de sens. Il est vrai que la richesse de nos jours se suffit souvent d’être matérielle. L’indigence pourvoit à tout le reste. Ainsi donc il ya un eu lynchage à Akbou et cela déchaîne la toile, les cafés et même d’insipides réunions professionnelles ou familiales où d’habitude chacun pianote sur son smart-phone en faisant juste semblant d’être là.  Et cela émeut les uns, met dans la gêne les autres et fait courir un frisson jubilatoire le long d’innombrables échines, lasses d’être courbées depuis trop longtemps devant l’arrogance de la petite criminalité dont l’impunité est assurée par le système institué et protégé par sa grande sœur.

Que l’on se sente déchainé, ému, gêné ou jubilant devant cette affaire n’a presque aucune importance, du moment que ces « déchainement, émotion, gêne ou jubilation » vont vite se reporter sur un autre « OMTVFI »objet médiatique trop vite faussement identifié dirait un cousin de Bérurier que les lecteurs de San Antonio reconnaîtront.

A force d’appeler à « briser les tabous » à tort et à travers dans une société, qui n’est même  plus tout à fait post- coloniale depuis qu’elle a été passée au hachoir du « sauvetage républicain » puis de la « réconciliation inter-milices », on finit par briser tout ce qui reste.

Enfin… Ya qu’à faire un tour du côté de n’importe quel marché de gros ou de quartier vraiment populaire (c’est-à-dire un lieu où la plupart des gens savent que c’est eux « Les Gens » dont les autres parlent) pour constater qu’il y a longtemps que certains emplacements discrets sont réservés par les riverains pour donner « trihat lekleb » à tous les délinquants qui abusent de la permissivité institutionnelle qui règne depuis qu’il est « interdit d’interdire », et surtout depuis que les prestations tarifées de nombreux juges sont cotées par des barons de la drogue parrainant une armée de désoeuvrés prêts à tout ,  pour se répandre en grossièretés, harceler violemment  femmes et enfants et dépouiller le passant. Bien sur, les mêmes emplacements servent à ces mêmes criminels à commettre leurs plus horribles exactions  une fois que la foule s’est dispersée. Mais s’hab essoug ne sont plus responsables de rien une fois que  t’frag essoug. C’est là la limite de ce qui reste de la tradition de coercition  plébéienne, quand il n’ya par ailleurs de modernité qu’off-shore, se résumant à la protection conditionnée du pouvoir, réservée aux privilégiés, ou se suffisant du « protectorat personnalisé » qu’offre une deuxième nationalité.

Le seul scoop avec l’incident d’Akbou c’est que l’action a été filmée. C’est l’un des deux  aspects de l’affaire qui justifieraient un commentaire. Le premier portant sur l’arnaque à la classification qui  suit chaque expression singulière du dérèglement général. Les diverses manifestations de la crise étant soigneusement isolées du contexte général qui leur donne naissance et gérées de manière à être affectées à une catégorie particulière de citoyens dont la « raison sociale » est de dénoncer un type précis de violences.

  • Pour la femme brûlée de Kh’roub, classer l’affaire « fémicide » et confier sa gestion aux féministes, les médias et le département d’Etat américain, entre autres, sauront donner suite.
  • Pour les femmes lynchées de Hassi messaoud, classer l’affaire « intégrisme islamiste » en confier le suivi aux associations de femmes et aux « intégristes laïcs »  les médias et les diverses solidarités euro-atlantistes avec les femmes en terre d’Islam suivront comme d’hab.
  • Pour les prostituées brutalisées et chassées de Bédjaïa… faire profil bas.
  • Pour les prostituées brutalisées et chassées de M’sila activer le dispositif prévu au chapitre «  intégrisme islamiste »
  • Pour le jeune homme torturé dans la résidence d’Etat du club des pins et jeté à Bouchaoui, classer dans le dossier Melzi, ne ressortir qu’à la demande expresse d’un des dieux de l’Olympe.
  • Pour le journaliste lynché à Tébessa, laisser courir en moderato-cantabile puis ensevelir sous une forte mobilisation des journalistes en faveur de la privatisation de la presse privée…
  • Pour le jeune-homme assassiné dans un hangar à boissons alcoolisées à La madrague, actionner le double dispositif de mobilisation parallèle des pro-bars et des prohibitionnistes, le reste suivra.
  • Pour les affaires de pédophilie utiliser l’émotion populaire pour en faire une revendication de la peine de mort, actionner les islamistes habituels qui se démèneront  pour fournir l’alibi juridique au nom de la charia -sait-on jamais- ce sera utile pour un intermède Sissi ou Erdogan, c’est pareil… Ils veulent de la peine de mort ? Ils vont en avoir de la peine de mort. Ils ont de fortes chances d’en être les premiers clients.
  • Pour les affaires des défuntes mères infanticides de Constantine et Hadjout…laisser bavarder les psys.

Etc.etc. Alors à Akbou ma tahetch laq’li3a ! Juste un peu moins de Haybet eddoula déjà à l’état résiduel.

La question qui reste troublante est : Pourquoi ça a été filmé ? Dérapage incontrôlé ? Peut-être mais peu probable. Par ce que dans nos souks, même un aryoul ayant échappé aux bouchers de l’informel  sait  que ces choses là ne se filment pas. Si ça a été filmé c’est peut-être que des gens, sachant parfaitement tout ce qu’il faut savoir, ont voulu faire passer la réponse du berger à la bergère après tous les beaux discours de ces dernières semaines. Un message du genre :

« Vous vous contentez de gérer l’image du régime ? Vous vous fichez royalement de ce que nous endurons ? Vos copains vous disent que ce qui compte c’est la com’ ?  Et ben en voici de l’image ! En voici de la com’ ! »

….Et si ce n’est pas sûr c’est quand même peut-être.

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1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour à tous,

    Cachez ce que nous ne voulons voir. La vision par l’esprit est plus apte à décrire le déroulement et « le dénouement » des choses chez nous. On nous dit que le président va se remettre à marcher, on l’imagine bien sur comme indiqué en caricature sur le hic du journal El watan. En fait, le citoyen lambda sait tout ce qui se passe. Il le vit au quotidien mais il ne polémique pas la dessus sauf lorsque c’est rapporté en infos. Mais il reste le plus dure, celui de gérer les images…l’info qui affecte le citoyen lambda. Bonne journée à tous.

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