Instance vérité et dignité (IVD) en Tunisie : Témoignage d’un torturé

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avocat-AyadiA Tunis, l’audition bouleversante d’une victime de la torture sous Ben Ali

Sami Braham, ancien prisonnier politique dans les années 1990, a levé le voile, devant l’Instance vérité et dignité, sur l’« enfer » des prisons de l’ex-dictateur tunisien.

Le 17 novembre 2016, pendant les témoignages de victimes des tortures sous le regime de Ben Ali devant l’Instance vérité et dignité.

Ces mots-là, ces faits-là, cette émotion-là, n’avaient jamais eu droit à une telle résonance médiatique en Tunisie. La révolution de 2011 a bien eu lieu, la page de la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali a bel et bien été tournée. Mais la fracture de la société tunisienne autour de l’islamisme, béante en 2013, puis les déceptions sociales et économiques de la révolution ont insidieusement nourri le désintérêt, l’oubli, voire le déni de ce que fut l’horreur carcérale de la dictature passée.

Un homme, Sami Braham, a peut-être changé le regard que la Tunisie portera désormais sur ces années de plomb et de chaînes. Jeudi 17 novembre, il a livré son témoignage d’ancien prisonnier politique lors d’une audition publique organisée à Sidi Dhrif (nord de Tunis) par l’Instance vérité et dignité (IVD), l’institution phare de la justice transitionnelle en Tunisie. Comme les six autres témoignages de la soirée, dont ceux de mères de jeunes protestataires tués par les forces de sécurité durant les troubles révolutionnaires qui ont précédé le départ forcé de Ben Ali le 14 janvier 2011, l’audition de Sami Braham a été retransmise en direct par plusieurs chaînes de télévision tunisiennes (Al-Wataniya 1, Al-Hiwar Ettounsi, Hannibal TV, Attessia TV). Une grande première en Tunisie.

« Torture pragmatique »

C’est dans l’ancienne résidence luxueuse de l’épouse de Ben Ali, Leïla Trabelsi, le Club Elyssa, que l’auditoire a recueilli le témoignage de Sami Braham : « Je suis prêt à pardonner à condition qu’ils viennent admettre les faits et s’expliquent. » Représentants de partis politiques et syndicaux, un membre du gouvernement, Mehdi Ben Gharbia, le ministre des relations avec les instances constitutionnelles, associations de victimes de la répression, militants de la société civile et invités étrangers ont écouté le sobre récit.

« Ils », ce sont les tortionnaires qui ont meurtri la chair et l’âme de Sami durant les huit ans qu’il a passés dans « quatorze prisons » au fil des années 1990. Sami Braham avait été arrêté à une époque où, jeune étudiant, il avait manifesté des « penchants islamistes ». Vingt ans plus tard, il est apparemment un homme rétabli, reconstruit, à la notoriété bien assise dans le petit milieu de la recherche en sciences sociales. L’intellectuel affilié au Centre d’études et de recherches économiques et sociales, un cercle de réflexion qui a pignon sur rue à Tunis, est régulièrement consulté pour son expertise sur la question du salafisme. A ses interlocuteurs, il explique que la dimension sociale n’est pas centrale dans la dérive djihadiste d’une frange de la jeunesse tunisienne. « Il n’y a pas de relation mécanique entre pauvreté et terrorisme », insiste-t-il. A ses yeux, le djihadisme est un « phénomène identitaire » puisant dans une « interprétation rétrograde de l’islam », ce qu’il appelle « un ordre référentiel », formule qu’il affectionne.

Son secret, il le gardait pour lui. S’il admettait aux visiteurs qu’il avait « passé des années en prison sous Ben Ali », c’était pour s’« excuser » de son français hésitant, pas pour s’épancher sur le détail de l’horreur qu’il avait subie. Jeudi soir, à Sidi Dhrif, il a tout dit, ou presque. Il a dévoilé son martyre passé, sans haine et avec pudeur. Il a raconté l’« enfer ». Il a dépeint l’« énorme machine d’humiliation » centrée autour de la torture, généralisée et systématique. L’intellectuel, familier des catégories, établit une différence entre la « torture pragmatique » en vigueur au ministère de l’intérieur et la « torture chaotique » pratiquée dans la prison relevant des services de renseignement. Il a avoué qu’il « préférait » la première à la seconde, car les tortionnaires « pragmatiques » savaient au moins s’arrêter une fois l’aveu extorqué.

Le pardon pour « cicatriser »

Sami Braham a raconté comment on lui plongeait la tête dans les toilettes. Comment on mélangeait les prisonniers politiques avec des détenus atteints de maladies mentales. Il a narré l’humiliation d’être dénudé, soumis à des violences sexuelles. A l’infirmerie, il entend une voix s’écrier : « Il est toujours vivant, ce chien ? » Là, on lui a versé de l’éther sur les parties génitales dans le but de le « rendre stérile ». « Il y avait une stratégie de castrer les prisonniers », révèle-t-il. L’homme qui supervise ces violences est un psychologue, officiellement chargé d’un programme de déradicalisation. « Ils disaient que leur but était d’enlever l’extrémisme de nos têtes », sourit presque aujourd’hui Sami Braham. « Beaucoup de prisonniers finissaient fous », ajoute-t-il. « A l’époque, je me demandais : pourquoi font-ils cela ? Leur motivation était-elle idéologique ? Ou cherchaient-ils juste une promotion ? »

Près de six ans après la révolution, qui est censée avoir tiré un trait définitif sur ces années d’arbitraire, une idée taraude Sami Brahem : « Eviter que ça recommence. » « Or je ne suis pas sûr à 100 % que de telles horreurs ne puissent pas se reproduire. » D’où l’importance à ses yeux de ce processus de justice transitionnelle incarné par l’IVD qui devrait permettre « à nos enfants de ne plus revivre cela ». Il demande juste aux bourreaux de l’époque de venir demander « pardon », qu’il sera le premier à accorder. « Nous avons besoin de cette thérapie pour cicatriser nos plaies, a-t-il lancé en guise de conclusion. Alors seulement nous pourrons avancer. »

 Tunis, correspondant

5 Commentaires

  1. « EVITER QUE CA RECOMMENCE » un slogan, un voeux plutot un ideal pour lequel le pays de la revolution des jasmins milite pour MONTRER LA FACE HIDEUSE DES SYSTEMES GOUVERNES PAR LA DICTATURE OU CE QU ON APPELLE LES PERES PROVIDENTIELS, CES PERES IRREMPLACABLES ET ETERNELS….ON MONTRANT LES MONSTRUOSITES DE CETTE ABOMINABLE CULTURE, SES AUTEURS ET SES VICTIMES, en les jugeant en public et SURTOUT EN LES CONDAMNANT FORMELLEMENT POUR « EVITER « QUE CA RECOMMENCE » POUR CRIMINALISER CETTE CULTURE , ON ARRIVERA SANS AUCUN DOUTE A FAIRE SON DEUIL ON SERA A D’ACCORD A L UNANIMITE QUE C EST UN COMPORTEMENT CRIMINEL ANTI-SOCIAL ET CONDAMNABLE….ET AINSI DESORMAIS LES TUNISIENS DEVALORISERONS DANS LES EGOUTS NAUSEABONDS DE L HISTOIRE TOUTES LES TENTATIVES DE PENSEE A LA REAPROPRIATION DE CES METHODES QUI DEMEURENT HELAS EN COURS DANS DE NOMBREUSES CONTREES ARABES…SINON TOUTES…….

  2. Je remercie l’auteur de cet article qui m’a soufflé l’idée de donner mon avis sur un sujet tabou qui est soigneusement entouré du secret absolu malgré les souffrances inhumaines endurées et subies par les victimes de la torture. Je me suis contenté de lire le titre pour sauter sur mon clavier parce que j’ai hâte de donner mon humble avis sur une horreur abominable utilisée par les dictateurs pour faire régner la terreur sur leurs peuples qui osent refuser de se la soumettre à leurs seigneurs. Je salue les peuples insoumis pour qui la servilité quelle que soit sa forme est synonyme d’INJUSTICE et de déshonneur.
    Une certitude qui me console lorsque je constate que tous les régimes se ressemblent dans leur conception de l’autorité, ils ont tous un penchant totalitaire, comme ils sont friands de la torture dont ils s’en servent comme moyen de pression et d’intimidation contre toute personne qui ose se mettre en travers de leur chemin ou qui ose menacer ou seulement critiquer leur mode de gouvernance.
    Dans ce lot que je mets volontiers dans le même panier, on comptera les pays arabes, sans exception, tous les pays dits musulmans, les pays totalitaires comme la Russie, la Turquie, la Corée du Nord, l’Iran, la majorité des pays africains pour ne pas dire la totalité, certains pays anciens colonisateurs comme la France et les USA qui étaient passés maîtres dans l’art de la torture qu’ils pratiquaient à outrance et sans modération sur les peuples qu’ils veulent retenir sous leurs bottes.
    N’en déplaise à tous les thuriféraires qui risquent de me lyncher, dans ce domaine précisément, notre pays doit être ; j’allais écrire peut être classé parmi ceux qui en firent – (de la torture)- une véritable ARME de destruction massive. Son maniement était réservé à des tortionnaires spécialistes qui en détenaient les secrets les plus diaboliques. D’ailleurs, dans ce domaine restreint, les maitres de l’art étaient souvent spécialement formés et entrainés dans des pays comme l’ancienne URSS ou la RDA ou dans les écoles françaises qui avaient beaucoup d’émules, de puissants disciples dans le domaine précisément.
    Avec le temps, certains pays précurseurs de ce genre de sévices moraux et physiques qui laissent souvent de profondes traces indélébiles qui resteront à jamais les témoins d’une ère noire où la loi de la jungle était le seul mot d’ordre pour asseoir son autorité sur tout un peuple qui n’avait même pas le droit de se plaindre de cette injustice omniprésente, ces pays ont reconnu leurs crimes et fait leur mea-culpa tout en demandant publiquement pardon d’avoir porté atteinte à l’intégrité physique ou morale de leurs souffre-douleur.
    C’est le cas aujourd’hui de la Tunisie qui n’a pas peur d’affronter le monde pour lever un voile sur son passé et essayer de réconcilier les victimes avec leurs bourreaux comme ce fut le cas en Argentine ou en Afrique du Sud, mais qu’en est-il pour notre pays qui persiste à se murer dans son silence tout en refusant de regarder la terrible réalité en face. Je suis sûr et certain que, si jamais les coupables faisaient leur mea-culpa, les victimes leur pardonneraient parce que nous sommes adeptes d’une Religion et d’une Oumma qui sait pardonner.
    Pour rappel, l’Égypte est cet autre pays arabe où la torture est et a toujours été pratiquée par les régimes pour asservir leur peuple. Quant aux régimes syrien ou irakien, mieux vaut ne pas en parler parce qu’il faudrait des années pour dénoncer les CRIMES innommables de ces régimes sanguinaires. L’histoire retiendra que beaucoup d’innocents furent injustement torturés jusqu’à la mort, souvent à la suite de soupçons souvent infondés ou suite à la délation calomnieuse et aux doutes infondés, mais le comble c’est qu’aucun dirigeant arabe n’a été jugé soi par la Justice de son pays soi par la Justice internationale et les rares tyrans – (Tous pays confondus !)- qui ont été rattrapés par leur passé, ils se comptent sur les doigts d’une seule main.
    Heureusement qu’il y a une Justice divine et qu’elle est indubitable et irréfutable. Ma consolation en tant qu’être humain respectueux de la nature humaine et de la Justice et de la paix qui doivent régner entre eux, je suis sûr et certain que la malédiction de toutes les victimes innocentes qui ont souffert ou qui ont été sacrifiées sur l’autel de folie des gouvernants, cette damnation finira absolument par rattraper ceux qui les ont injustement et souvent bestialement et sadiquement brutalisés souvent sous de fallacieuses accusations ou pour des raisons que la raison désapprouve et condamne.
    Heureusement qu’aujourd’hui, les peuples ont fini par transcender leur peur pour se soulever contre les régimes dictatoriaux qui sont souvent obligés de se soumettre à leur volonté de demander des comptes à ceux qui les avaient injustement gouvernés. Sur ce j’arrête mes récriminations tout en m’excusant pour le caractère décousu de mon commentaire et je remercie tous ceux et toutes celles qui acceptent de me lire. Maudits soient tous les tortionnaires et ceux qui les emploient pour accomplir leurs basses œuvres criminelles. L’éternel révolté contre les forces du mal qui vous salue fraternellement. Bonne journée. Votre compatriote Belkacem.

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