Pardon

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1950
Al HaqOuas Ziani

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De leur vivant, les algériens déportés en nouvelle Calédonie n’ont pas pensé s’acquitter de leurs fautes et demander pardon aux civilisateurs pour s’être opposés au projet modernisateur. Ça fait plus d’un siècle et demi maintenant que les héritiers des civilisateurs attendent que les descendants des déportés s’excusent pour tout le mal que leurs parents ont causé aux généraux qui s’efforçaient de les civiliser. Régulièrement, ils leur rappellent qu’ils leur ont appris à défricher et à labourer des terres, à bâtir des fermes, à construire des villes et des villages avec des églises, des mairies, des marchés et des tribunaux au centre, à planter et entretenir des arbres de chaque côté des rues. Ils ont dépensé un temps fou à leur apprendre que la justice est aveugle pour les uns et borgne pour les autres. Dans les villages, ils leur ont montré comment forer des puits, construire des fontaines et à quoi servent le gendarme et le garde-champêtre. Et dans les écoles, ils leur ont appris à compter les coups qui leur ont beaucoup servi plus tard.

De même, les déportés dans les camps du sud et les internés dans les bagnes du nord de la fin du siècle dernier, eux non plus, n’ont pas pensé à réparer leurs méfaits et demander l’absolution pour avoir donné tant de mal aux généraux qui s’efforçaient de les moderniser. Les colonels devenus généraux leur ont appris qu’à part la justice rendue par les borgnes, recevoir et compter les coups, tout ce qu’ils ont appris d’autre ne servait à rien et qu’il faut tout reprendre à zéro. Il n’y a aucune raison pour que les descendants des déportés algéro-algériens le fassent puisque l’idée n’a même pas effleuré l’esprit des algéro-calédoniens.

Pourquoi cette obstination à refuser de payer ses dettes ? Peut-être que si les déportés et les estropiés se faisaient agréer, les autorités accepteraient la repentance des entêtés fauteurs de troubles de l’ordre public. Au préalable, les autorités n’auront qu’à exiger de ces déviants de décrire à haute voix et dans les moindres détails les sévices physiques et les tortures psychologiques qu’ils ont fait subir à leurs tortionnaires en désignant nommément leurs bourreaux. Bien sûr, les bourreaux devront à leur tour témoigner en public des souffrances qu’ils ont endurées des mains de leurs victimes. Après cela, les tortionnaires pardonneront les graves fautes qu’ils leur ont fait commettre. Après tout, le bourreau n’est qu’un effet, il ne serait pas devenu sadique si sa victime, un masochiste, n’était pas la cause du traumatisme. Enfin, nous n’aurons plus qu’à tourner la page rouge-noire et ouvrir une page toute blanche où les générations des bourreaux qui montent pourront écrire soit en rouge soit en noir les tourments qui les attendent. Comme tout ce qui est algérien, ce serait une justice transitionnelle spécifiquement algérienne.
Si ma mémoire ne me joue pas des tours (ça remonte à très loin), dans le brouillon dit « projet de la charte nationale », il était écrit que le justiciable doit dans tous les cas plaider coupable et demander pardon (y compris donc pour les fautes qu’il n’a pas commises mais qu’il doit endosser) puisque s’il est déféré devant la justice, c’est qu’il a nécessairement fauté, les agents du pouvoir révolutionnaire ne peuvent pas se tromper. Penser qu’un, juste un, pas trois, représentant du pouvoir révolutionnaire puisse abuser ou se méprendre était un crime. Dans le texte définitif, ce passage a disparu de la prose de Mohamed Bedjaoui mais pas des têtes des bourreaux auxquels il faut dès maintenant demander pardon pour les fautes que nous aurons à commettre les années à venir.

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