HOCINE AÏT-AHMED : L'EXEMPLE DU COMBAT CONTRE LE POLITICIDE.

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Aït3Imezwura iban-asen
Ineggura iban-asen
Aḥlil ay ilemmasen
(Cheikh Mohand Ou l’Hocine)
« Le vieux monde se meurt,
le nouveau monde tarde à apparaître,
et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »
Antonio Gramsci
Il est des moments où l’histoire interpelle l’intelligence du cœur, interroge la mémoire, ramène l’être individuel jusqu’aux racines les plus profondes de l’être collectif, offre le souvenir à l’imaginaire pour que revivent les rêves oubliés et fleurissent d’autres rêves.
Il y a donc un an, Dda l’Hocine, notre seul Président légitime, tu nous as quittés pour continuer à vivre en nos cœurs. Que le temps passe vite !
Rassure-toi, Dda l’Hocine, il n’est nullement dans nos intentions de livrer tout ce que tu représentes pour nous à la tristesse d’un souvenir au gout d’inachevé.
LE POLITICIDE :
Pour nous, Dda l’Hocine, tu es une conscience vivante, un espoir tenace, un printemps humain de tous les temps, des convictions faites homme, un être libre dont l’honneur est le sens du combat de toute une vie, un militant dont la souveraineté est aussi noble que sont mesquines les manœuvres de la clanocratie du crime et de l’argent sale visant à banaliser le liberticide et le socialicide, à rendre insignifiants la vie et la mort, pour raccourcir le temps d’arriver à « la solution finale » : Le politicide !
Ce procédé génocidaire a connu sa mise en application, au sens des massacres perpétrés à des fins de domination politique absolue, avancé par les chercheurs américains Ted Robert Gurr et Barbara Harff, durant les années de « La sale guerre » menée contre les civiles.
Sur ce plan, des sanguinaires comme Pol Pot, ont été largement dépassés !
La stratégie du chaos local appliquée en Kabylie en 2001 a permis l’instrumentalisation du « monstre du Loch Ness » pour détruire toute entité politique de lutte pour la restauration de la légitimité populaire.
Ses auteurs parmi la police politique ont, ainsi, fait échos à la description que donnait le sociologue israélien, Baruch Kimmerling de « La guerre de Sharon contre les Palestiniens ».
Il est vrai que pour une entreprise aussi destructrice, l’israélisme est tout indiqué !
A l’époque, Dda l’Hocine, tu nous mettais en garde contre  » cette opération de grande envergure » qui  » avait pour souci fondamental de combiner tous les moyens pour désorganiser, démoraliser et normaliser la Kabylie. ».
Tu nous as également, expliqué comment les généraux, » instruits de leur méconnaissance totale des réalités du terrain et non encore remis des échecs de leurs tentatives de déstabilisation précédentes… ont fini par comprendre que la destruction des forces stratégiques de la région constitue le préalable incontournable à la réalisation de leur dessein totalitaire ».
Depuis, l’après « Arouche-monstre du Loch Ness » instauré et maintenu par la police politique offre aux barons de la clanocratie les moyens de détruire jusqu’aux mécanismes de médiation et de solidarité au sein de la société, jusqu’à ses capacités à renouveler les liens qui la constituent et les codes qui la régissent, jusqu’à l’idée même de l’existence de cette société en dehors d’un système clanocratique, illégitime par définition, jusqu’à notre capacité de rêver, de penser et d’agir en citoyens algériens, nord-africains et méditerranéens profondément engagés dans la construction d’une Cité terrestre où l’humain est remis au cœur de « la terre-patrie » !
Dda l’Hocine, aujourd’hui, la police politique de la clanocratie du crime et de l’argent sale est passée maîtresse dans la planification et l’exécution du crime parfait !
Le crime sans criminel et sans cadavre !!
Elle tue ce que nous sommes, ce qui fait notre histoire, ce que recèlent nos mémoires. Elle tue notre joie de vivre.
Elle jette des journalistes, des blogueurs, des syndicalistes, des militants politiques, des défenseurs des Droits de la personne humaine et de simples citoyens en prison où ils sont humiliés et torturés quand ils ne sont victimes d’assassinats déguisés.
Elle jette jusqu’à nos enfants à la mère, désespérés qu’ils sont de vivre heureux dans leur pays.
Elle tue tout ce qui se rapporte à la légitimité et au Droit du peuple algérien d’avoir des droits.
Elle tue jusqu’à la moindre conception d’un destin national indissociable du destin humain.
Pour elle, le peuple que nous sommes n’est qu’un ensemble de « peuplades », incapables de se prendre en charge.
Pour mieux nous asservir, elle pervertit tout ce qui donne sens au débat libre, au libre choix. Illégitime qu’elle est, elle s’attaque à tous les territoires de la légitimité et de la souveraineté.
Implacable est donc la guerre sans nom que mène cette clanocratie contre la légitimité militante et la souveraineté partisane. Sur ce plan, les sirènes de la mangeoire sont déployées pour attirer les frustrés de tout bord dans l’eau trouble du carriérisme parlementaire. A l’opposé, les victimes de leurs désillusions carriéristes sont invités à occuper l’espace d’une opposition organique faite sur mesure.
Seulement, Dda l’Hocine, elle ne peut pas tuer le souffle qui nous habite. Ce souffle, nous rappelle tout ce pourquoi tes compagnons de lutte, tes frères d’armes, tes camarades de combat et toi-même vous avez combattu.
Vous nous avez appris à vivre pleinement notre culture, notre algérianité dans sa diversité et sa pluralité. Vous nous avez appris à être fidèles à ce que nous avons de meilleur de nos traditions, à reprendre le flambeau du combat pour l’accession à la citoyenneté politique en Afrique du Nord, à accueillir les mémoires collectives des différents peuples de la méditerranée, à nous ouvrir sur le monde et à nous inscrire pleinement dans le combat pour une humanité citoyenne, heureuse d’exercer sa souveraineté et de faire de la terre la patrie de tous, sans aucune exclusion.
Vous nous avez, également, appris que les « Imusnawen de chez-nous » sont la conscience de nos ancêtres en chacun de nous,
Comme le retour de Mouloud Mammeri dans sa « Colline retrouvée », ton choix, Dda l’Hocine, de reposer auprès de ton illustre aïeul, Cheikh Mohand Ou L’Hocine, est un retour à tes racines profondes.
Enfant du peuple, tu as choisi l’honneur d’être porté par les milliers d’algériennes et d’algériens à ta dernières demeure, sur « le tuf ancestral » des Ath-Ahmed, comme pour nous rappeler l’importance de ce pôle populaire de notre culture, aux honneurs de funérailles officiels. Car, pour toi, l’homme d’honneur ne vit pas pour que son combat soit livré à la tartuferie des honneurs, à la mystification.
Aujourd’hui que nous commémorons la première année de ton départ vers un monde meilleur, il est important de rappeler que toute ritualisation folklorique d’un rendez-vous aussi important avec l’histoire de notre pays ne peut qu’être aliénante et stérilisante.
Pour éviter ce piège, nous nous sommes fait le devoir, comme tu nous l’as appris Dda l’Hocine, de proposer aux algériennes et aux algériens un débat sur quelques notions qui, tout en nous ramenons aux profondeurs de nos traditions, nous inscrivent dans une universalité salvatrice, en ces temps d’une globalisation galopante où les raisons sécuritaires d’Etat se nourrissent de visions néocolonialistes et nourrissent une géopolitique de conflit de plus en plus monstrueuse.
DE L’ART DE LA MÉDIATION :
La médiation est un art que maîtrisaient « les Imunsawen de chez-nous  » comme tu aimais nous la rappeler.
Ces détenteurs des mémoires collectives de la société traditionnelle faisaient vivre la culture populaire. La puissance subversive de leur verbe leur permettait de puiser dans les profondeurs de l’être collectif les enseignements qui leur offraient les moyens de transgresser les codes quand s’imposait l’impératif de maintenir l’équilibre social. Ils le faisaient avec l’art consommé de la parole et la manière raffinée du geste.
Chez « les Imusnawen de chez-nous », la médiation est une école. On y apprend à écouter les détenteurs de la sagesse, à construire sa propre réflexion, à ciseler les paraboles qui donnent sa puissance au verbe, à libérer la parole et à mettre son pouvoir au service de la société. C’est ainsi que Tamusni se transmettait d’un Asmusnaw affirmé à un Amusnaw en devenir.
Cette source intarissable de nos richesses populaires conférait aux Imusnawen l’autorité à même de veiller à la préservation de la mémoire de chaque groupe social, du fonctionnement de la société et à maintenir vivante notre culture ancestrale. Le tout se faisait dans le strict respect de l’éthique et de la morale.
Sur ce plan, les vers suivants de « l’Amusnaw traditionnel » Lḥaǧ Lmexttaṛ At Sɛid (Hadj Mokhtar Ait Said) fournissent l’un des exemples les plus emblématiques :
Fehmet a ssamɛin
A kra da yettḥessisen
Nettawi-d lmaɛnat
L-lefḥul iǧǧalasen
Nettabaɛ ccirat
D-eǧǧan ssyad iwufqen
Nsell i ssurat
N wawal ṛ-Ṛebbi ɛzizen
Nferru lweḥlat
Ger ḍḍalem d w ittḍelmen
Abrid n tifrat
Ittawit-id lmumen
Nessen ṣṣwab neqqar-it
Fiḥel medden ad-aɣ-mlen
Comprenez-moi vous
Qui êtes ici à m’écouter
J’use des paraboles
Des experts qui ont beaucoup appris
Je suis les leçons
Des maîtres qui suivaient la Voie
Je suis attentif aux sourates
De la parole du Dieu bien-aimé
Je résous les litiges
Entre qui a tort et qui a raison
Car les solutions
L’Homme aux intentions droites les trouve
Je sais la Voie je la dis
Sans besoin qu’on me le montre.
(Traduction de Mouloud Mammeri,
Poèmes Kabyles anciens)
Porté vers les cimes du savoir populaire par notre culture orale, cet art de la médiation connait, aujourd’hui, une autre gloire au sein de la culture savante. Il s’agit de son évolution en « Médiologie », une discipline scientifique fondée par le « médiologue » français, Régis Debray.
Récente, cette discipline s’articule autour de « l’incarnation, la médiation, la transmission ».
Ces trois éléments, nous leur trouvons échos dans la façon de faire des Imusnawen de notre société traditionnelle. Sans verser dans des raccourcis mystificateurs, il nous paraît important de rappeler que les Imsnawen incarnaient la culture populaire vivante. Aussi, ils privilégiaient la médiation à l’exclusion et la solution collective à la punition. Par ailleurs, ils veillaient à la transmission de Tamusni de génération en génération, en donnant à la parole la force de l’événement.
Or, selon Régis Debray :  » La transmission c’est la transformation d’une parole en événement, d’une doctrine en école, d’une école de pensée en partie ». Ce que la culture orale n’a pus théoriser, la culture savante en a brillamment fait une discipline intellectuelle !
Cette transmission de culture en culture, Dda l’Hocine, tu voulais nous la rendre possible en nous offrant le cadre politique d’une mise en pratique actualisée de la médiation.
Qu’avons-nous fait de cette perspective intellectuellement féconde et politiquement porteuse d’espoir ?
LA SOLIDARITÉ CITOYENNE POUR REDONNER SENS A LA CHOSE ET A LA VIE PUBLIQUES.
Sans la chose publique, il n’y a point de république. Cet enseignement, nous le tenons de toi, Dda l’Hocine. Il est en nous. Nos consciences vivent de sa lucidité comme il vit de nos convictions.
Aujourd’hui, la corruption érigée en phénomène social tend à détruire les liens sociaux pour faire de l’entité de notre peuple une chimère.
Sous ses coups de boutoir, des pans entiers de l’humanité de notre être collectif sont entrain de s’écrouler.
La paupérisation programmée du peuple algérien aiguise l’appétit du cannibalisme clanocratique. Les tentacules de la corruption ont atteint jusqu’aux instruments populaires de lutte pour le droit du peuple algérien d’exercer sa souveraineté, tant sur le plan politique d’économique. Le démocratisme des appareils est favorisé au détriment de la légitimité militante.
A la pensée est substituée ce que le Pr Arkoun qualifiait de  » dictature des émotions », A l’effort de construction d’une alternative démocratique est préférée la course facile aux privilèges de la mangeoire,
De nos jours, l’ascèse politique qui a caractérisé ton éthique et celle de tes semblables tend à relever d’un héroïsme que moquent ceux qui n’ont de l’humain que la perversion.
Est-ce pour autant qu’il faut baisser les bras ?
A cette question, Dda l’Hocine, la réponse, nous la trouvons dans ton combat.
Aujourd’hui, nous devons apprendre à renouveler les liens de solidarité citoyenne entre nous pour qu’émerge une dissidence populaire pacifique en ouvrant de nouveaux espaces de libération des initiatives et de mobilisation des richesses populaires.
Nous devons réunir les conditions d’une insurrection des consciences pour rendre irréversible la restauration de la légitimité populaire par l’élection d’une Assemblée Nationale Constituante !
Nous devons manifester notre refus à toutes les mascarades d' » élections à la Naegelen » et traduire se refus en une dynamique citoyenne rendant à la politique ses titres de noblesse.
Nous devons apprendre à réinvestir nos lieux de mémoires et à nous réapproprier les dates majeures de notre histoire pour redonner sens au projet de la République Algérienne Démocratique et Sociale.
Nous devons construire un nouveau rêve national à même redonner vie à la chose publique.
Un jour, Dda L’Hocine, nous, algériennes et algériens, nous rendrons sur ta tombe pour t’annoncer la bonne nouvelle de la réalisation de ton rêve.
Ce jour-là, nous te dirons avec fierté :  » Dda l’Hocine, comme tu nous l’as appris, nous avons fait de l’éthique l’âme de notre combat politique. Aujourd’hui, ce combat a donné naissance à La République Algérienne Démocratique et Sociale pour laquelle tes compagnons de lutte, tes frères d’armes, tes camarades et toi-même avez combattu ».
En attendant, ce rêve, le tien, celui d’Ali Mécili, celui d’Abane Ramdane, celui de Larbi Ben M’hidi, celui de tous les martyrs de l’Algérie, le nôtre, nous nous battons pour lui offrir un nouveau printemps. Un printemps qui donnera d’autres rêves, plus vigoureux, plus beaux…
Ar tufat a Dda l’Hocine.
Ali Ait Djoudi, Essaid Aknine, Tahar Si Serir, Hacene Loucif

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