Maghreb : "Maudit Printemps !"

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CHRONIQUE. Alors que la Tunisie fête le 6e anniversaire de sa révolution démocratique, le Printemps arabe souffre d’un déficit de popularité.
PAR NOTRE CORRESPONDANT À TUNIS,
Publié le | Le Point Afrique
Sur les épaules d'un de ses compatriotes, un Tunisien fête le 5e anniversaire de la révolution le 14 janvier 2016 sur l'avenue Bourguiba, à Tunis.
Sur les épaules d’un de ses compatriotes, un Tunisien fête le 5e anniversaire de la révolution le 14 janvier 2016 sur l’avenue Bourguiba, à Tunis. © Yassine Gaidi / Yassine Gaidi / ANADOLU AGENCY /

Pour connaître l’opinion de certains dirigeants arabes au sujet du Printemps arabe, il suffisait d’écouter récemment le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal. Celui-ci réagissait aux émeutes qui ont secoué Béjaïa (Kabylie) début janvier. Les habitants protestaient contre la loi de finances 2017 et sa fiscalité brutale. Sellal a délivré une analyse qui relève du coup de poignard : « Ils pensaient pouvoir refaire le coup du Printemps arabe. Mais, nous, nous ne sommes pas concernés par ce Printemps arabe ; nous ne le connaissons pas et il ne nous connaît pas. » Dès 2011, Béji Caïd Essebsi (alors chef du gouvernement tunisien) expliquait aux membres du G7 réunis à Deauville qu’il n’y avait pas « de Printemps arabe ». Au mieux, selon ses dires, « un Printemps tunisien »…

Le verre à moitié plein

Janvier 2017. Le froid s’est emparé du climat tunisien. Pluie, température faiblarde, économie enrhumée. Manteaux et cache-nez emmitouflent les corps et les esprits. Tous les ingrédients qui ont provoqué la révolution de 2011 (problèmes sociaux, injustices régionales, corruption) perdurent. Pour autant, six ans après la fuite du despote Ben Ali, les acquis sont nombreux. Après des décennies d’autoritarisme et de dictature, la jeune Tunisie s’est dotée d’une nouvelle Constitution, procède à des élections libres, jouit d’une liberté de parole et d’écrit, commence à autopsier publiquement son passé à travers les auditions publiques des victimes des crimes d’État, se dote petit à petit d’instances indépendantes, autant de progrès qui font de ce pays une exception dans la région. Sur le papier, c’est irréprochable. La boîte à outils démocratiques a mis en place les institutions nécessaires au bon fonctionnement de la liberté. Dans la pratique, c’est plus complexe, plus humain. Et on vous dira qu’une « nouvelle Constitution, ça ne remplit pas le couffin ».

Le verre à moitié vide

La mauvaise image du Printemps arabe, terme générique du mouvement qui a embrasé Tunis, Le Caire, puis Tripoli au début 2011, provient du désastre libyen, d’une Syrie ensanglantée, d’une Égypte cadenassée par le régime du maréchal Sissi. Si les statues de Ben Ali, de Moubarak et de Kadhafi avaient été joyeusement déboulonnées, celles qui les ont remplacées ne sont pas souvent source d’espoir. L’enthousiasme dans lequel baignait le Maghreb en 2011 s’est pris la porte dans la figure. Après quarante ans de Kadhafi, la Libye offre le spectacle d’une nation fracturée, divisée. Le dictateur mort, les intérêts particuliers ont primé le reste. Au Caire, les Frères musulmans ont gagné les élections, avant de rejoindre les geôles cairotes à la suite du putsch de 2013. La situation économique et celle des droits de l’homme relèvent du film d’horreur. Dans les ruines du Printemps arabe, il n’y a que la Tunisie qui s’en est pour l’heure sortie. Ainsi qu’un autre pays.

Le discret Printemps marocain

Dans le royaume, le Printemps arabe s’est manifesté en février 2011, contraignant le roi à lâcher du lest. Depuis, le pays avance à son rythme. Si sa situation économique présente n’est guère reluisante, les jalons du progrès sont posés un à un, sans fanfare ni sons et lumières. Diplomatie économique menée à train d’enfer dans une bonne partie de l’Afrique – le véritable réservoir de croissance –, tapis rouge pour les entreprises et les investisseurs étrangers, le Maroc se dote d’un futur. Un cap a été fixé. Là aussi, « cela ne remplit pas le couffin », mais cela permet d’espérer, ce cap étant justement ce qui a manqué aux pays enivrés par le Printemps arabe. Le 14 janvier, la Tunisie célébrera sans excès sa révolution. Sans révolution économique, l’humeur demeurera maussade.

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