L'ANP dans la transition manquée de 1990-1991 analysée par Sadek Hadjerès

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Publié par Saoudi Abdelazizhttp://www.algerieinfos-saoudi.com/
Nous publions un extrait de l’étude de l’ancien Premier secrétaire du PAGS, intitulée « L’Armée, la démocratie politique et la société. Est-il trop tard ? », parue le 30 juillet 2008 dans Le Soir d’Algérie. Dix ans plus tard, l’évolution semble confirmer l’actualité d’un débat inachevé…
(…) J’ai entendu souvent à propos de l’ANP et des « militaires » deux arguments qui me paraissent approximatifs et fallacieux. Le premier, se présentant comme favorable à l’ANP, est souvent utilisé pour justifier des rôles que l’ANP n’aurait joués qu’à contre cœur et à son corps défendant.
C’est en Algérie, disent certains, la seule structure organisée en mesure de faire face aux périls d’envergure déjà affrontés ou à venir. Ne se rend-on pas compte en pensant ainsi, qu’au-delà de la fierté pour l’Algérie d’avoir un tel appareil, cette affirmation masque une très grave faiblesse ? Celle précisément pour l’ANP d’être, après 40 ans d’indépendance, la SEULE structure aussi organisée et influente au service de la nation.
A quoi ont servi les armées parmi les plus puissantes du monde dans le système socialiste, à partir du moment où, pour différentes raisons, les liens se sont relâchés entre la société et les organismes politiques dirigeants qui contrôlaient étroitement ces armées?
Une armée ne peut-elle être forte et accomplir sa mission que si elle produit un désert politique autour d’elle ou si elle se paye une scène politique à ses bottes, débilisée par les gestions autoritaires ? Grave contre-vérité, que la nation et l’armée elle-même finissent toujours par payer cher. Civils et militaires ont un intérêt commun à un paysage politique, à des institutions et organisations autonomes, fortes, solidaires autour d’objectifs bénéfiques mutuellement reconnus. Un second argument se veut quant à lui hostile aux « militaires ». Ils sont rendus responsables des déboires de l’Algérie, du fait du pouvoir qu’ils exercent par instances interposées sur une société civile réduite à l’impuissance.
Cette dichotomie entre les catégories de « civils » et « militaires » me paraît superficielle et plutôt stérile, en ce sens qu’au-delà d’aspects formels réels mais trompeurs, elle masque les mécanismes et les racines du déficit démocratique flagrant dont souffre l’Algérie.
D’abord elle tend à déresponsabiliser les civils et les éloigner de la nécessaire mobilisation démocratique, en considérant l’oppression et les injustices subies comme une fatalité qui aurait pu être évitée si l’armée n’existait pas. Comme si toute armée était génétiquement porteuse d’oppression, fermée a priori au soutien des missions démocratiques, de justice sociale et d‘intérêt national. Cela est démenti par maints exemples sur tous les continents.
Plus sérieux encore, cette approche ne laisse souvent comme seule issue et seul espoir de salut que des entreprises aventureuses de renversement et de remplacement des hiérarchies en négligeant les luttes autrement plus profondes pour transformer le soubassement national sur lequel s’appuient les systèmes autocratiques.
Ensuite, la distinction formelle « civils-militaires » masque la responsabilité des courants et forces « civiles » aussi bien dans l’instauration que dans l’entretien des méfaits imputés à tort ou à raison aux militaires et à leurs instances.
A propos de cette faille préjudiciable aux intérêts communs des Algériens et attribuée unilatéralement aux militaires, il m’est arrivé de souligner dans mes écrits, comme ceux consacrés aux racines et conséquences de la crise du PPA-MTLD de 1949, crise de déficit démocratique : « Messieurs les civils, vous avez tiré les premiers (contre la démocratie) ! » Je faisais allusion à la façon dont des secteurs et personnalités politiques (devenus plus tard centralistes ou messalistes) ont légitimé la violence contre leurs frères de lutte en désaccord avec eux, ont délibérément remplacé le débat constructif par le dénigrement, l’exclusion, la répression brutale et la création d’un climat qui a poussé à des tentatives d’assassinats qui se sont malheureusement concrétisées lors de la guerre de Libération.
Loin de contribuer à l’effort de saine politisation et d’éducation des cadres, nombre d’entre eux ont abondé dans la surenchère et l’activisme antipolitique des plus violents, avec l’espoir de se frayer une place dans le cortège des intrigues, putsch et coups d’Etat.
Après ces considérations d’ensemble, je voudrais revenir sur mon propos initial. Il concerne, à propos de la transition manquée de 1990-1991, qualifiée de « grand dérapage » par un ouvrage de Abed Charef, la corrélation qui s’est établie entre l’activité de certains services liés formellement à l’ANP et des éléments de l’exécutif du PAGS, quand ce parti se trouvait encore au milieu du gué entre la clandestinité et une légalisation à peine amorcée, sans qu’ait pu être fait encore le bilan réel des enseignements des 25 années de lutte précédentes.
Le bilan des enseignements politiques et organiques avait même été délibérément sacrifié au soi-disant profit d’une situation d’urgence, alors que ces enseignements auraient au contraire mieux éclairé l’analyse des dangers nationaux et internationaux apparus.
L’épisode est doublement instructif. D’une part, quant aux mécanismes pervers qu’a permis la confusion entre services de renseignement et l’ensemble de l’institution militaire, et surtout les pratiques, abusives dans un Etat de droit, de services qui au-delà du renseignement nécessaire à toute instance étatique, s’arrogent des prérogatives incontrôlées d’intervention politique ainsi que de répression policière directe et indirecte. D’autre part, l’épisode est terriblement révélateur des dégâts qui surviennent quand les faiblesses politico- idéologiques, latentes puis exacerbées par la conjoncture, font jonction avec les manipulations qui les exploitent au nom de situations d’urgence, donnant prétexte à la perte d’autonomie de jugement et d’initiative des organisations et mouvements.
Le PAGS en a payé le premier les frais, parce que, comme le PCA, interdit dès novembre 1962, il fut jugé à bon escient comme un obstacle potentiel de taille aux orientations prédatrices et de liquidation de l’ensemble des acquis algériens précédents.
Dans les deux cas, la politique avouée de maintien du mouvement social « dans un cocon de chrysalide » n’avait pas frappé qu’un segment de ce mouvement mais tout ce qui était prometteur, progressiste et unitaire dans la nation. Les années suivantes l’ont confirmé, y compris à ceux qui avaient cru que la « neutralisation » du PAGS allait leur ouvrir un meilleur espace partisan. L’enseignement valait et continue à valoir pour toute la « classe politique » algérienne, pour tout notre peuple, ses organisations et ses instances étatiques en quête d’avenir.
Texte intégral : socialgerie.net

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