Abdelhamid Mehri: un immense politique

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vendredi 27 janvier 2017

 

Abdelhamid Mehri aurait pris avec philosophie et sans se départir de son petit sourire ironique les hommages que lui rendent aujourd’hui certains de ceux qui n’ont pas hésité à lui faire un procès en trahison et en kofr après la rencontre de l’opposition algérienne à Rome.
 Dans ces journées délirantes de 1994 où les médias publics se sont déchaînés contre l’homme et où le régime avec tous ses compartiments s’est mis en ordre serré pour une campagne de haine sans précédent, Abdelhamid Mehri, ne s’est pas départi de son calme.
 Il a demandé un droit de réponse à la télévision algérienne et « ceux qui décident » ont estimé qu’ils  avaient une opportunité de le «confondre » devant l’opinion et qu’il suffisait de bien préparer l’émission. L’émission a eue lieu. En quelques phrases, le secrétaire général du FLN a ruiné toutes les manipulations et des semaines de propagande éhontée du régime. Il a dévoilé, une fois de plus, qu’il était sans arguments. 

 

Après ce droit de réponse, la télévision qui était déjà fermée est devenue nord-coréenne. Abdelhamid Mehri qui en a vu au cours de son combat politique au long cours était d’une humilité et d’une disponibilité sans égale. Mais il ne pouvait s’empêcher d’exprimer, dans des cercles amis, son effarement et son mépris pour l’aplomb des médiocres serviteurs d’un régime qui peuvent énoncer les pires mensonges sans sourciller et décerner les pires accusations avec une légèreté inégalable.
Cela donnait lors des rencontres, fréquentes qu’il a eues avec les journalistes de La Nation, à des moments de déconstructions hilarants de ces affirmations des médiocres du régime. Juste pour rire. Car, et c’est la grande force de M. Abdelhamid Mehri, pour lui ces personnels mis en avant sont chargés d’organiser les diversions et de mener vers des discussions où les mots et les concepts sont continuellement pervertis. L’ancien ministre du GPRA, l’homme de Tanger, l’ex-Secrétaire général du FLN, l’homme du Contrat National savait les mettre de coté par une simple remarque caustique et terriblement expressive.
Un formidable travail de dévoilement
Ces personnels qui peuplent la devanture comme des marionnettes détraquées, il ne les attaquait même pas. Ce n’était que de l’écume. Pas plus qu’il n’a jamais accepté d’entrer dans les chemins des personnalisations des débats. Et s’il s’adressait à un président, c’était en tant qu’adresse officielle d’un régime qui n’a même pas l’alibi d’une quelconque efficacité dans n’importe quel domaine. La haine du régime contre Abdelhamid Mehri – et contre les réformateurs – tient au fait qu’il menait, sans faire dans le tapage, ni dans les accusations ad-hominem, un formidable travail de dévoilement.
Dans ce pays où la manipulation est constante, où la peur sert pour une partie des élites de grille d’analyse, défendre la démocratie, les libertés et la reddition des comptes des responsables, c’est faire œuvre sacrilège.   Et quand on défend ces valeurs par conviction et sans aucune naïveté, on devient l’ennemi.
Abdelhamid Mehri dans un débat télévisé avec Abassi Madani qui se gonflait d’importance en jouant la pression de la rue, le mettait en garde sur le fait qu’il était le jouet d’une entreprise destinée à entraver le processus démocratique. Le message était clair, il avait bien été entendu par Abassi Madani et il n’en a pas tenu compte. Par arrogance. Et parce qu’Abassi Madani était dans les mêmes logiques des tenants du système.
 Le chef du FIS devant la force de l’argumentaire s’en était tiré par un piteux : « M. Abdelhamid Mehri est un fils de bonne famille, que faisait-il dans ce régime ». En réalité, Mehri était déjà totalement hors d’un système qu’il estimait irrémédiablement condamné après les évènements d’octobre 1988 alors qu’Abassi Madani, sous des dehors de révolutionnaires islamistes, était complètement dedans.
Ce n’est donc pas un hasard que le « fils de bonne famille » a continué, sans faille et sans arrêt, son combat pour la démocratie sans que ses actions ne servent d’alibi à une régression orchestrée par le système. Contrairement à Abassi Madani dont la naïveté politique et le mimétisme profond à l’égard des pratiques du pouvoir ont servi d’aubaine pour le régime.
La grande leçon est qu’on n’est pas révolutionnaire parce qu’on est bruyant. On l’est par la clarté des idées, la juste perception du rapport de forces et une conviction profonde qu’on doit contribuer à éclairer la société et non à la chauffer. Et éclaireur, Abdelhamid Mehri, il l’a été. Constamment.
Un homme politique face à la machine
 
L’écouter, c’est d’abord sortir de la naïveté, cesser d’être malléable – cela n’est pas donné à tous le monde d’être capable d’aider les gens à avancer – et entrer dans l’âge de la politique. Du politique.
Car précisons-le, Abdelhamid Mehri a été un homme politique, il n’a jamais été un politicien. Il ne s’agit pas d’une nuance.
Dans le régime algérien « spécifique », être un homme politique est inacceptable. Une hérésie. La seule chose qui est acceptée est d’être un serviteur, un bureaucrate de la politique où un cabotin qui, par exemple, fait mine d’avoir organisé un complot scientifique.
 On les a vus, en live, à l’hôtel Al Djazaïr, en 1996, rouler des mécaniques pendant que les organisateurs du complot planqués dans une suite géraient au corps à corps les membres du comité central. Défait, Abdelhamid Mehri ? En réalité, il avait constaté, sans être vraiment surpris, que le régime pouvait aller jusqu’à menacer des membres du comité central d’un blocage de leur pension de retraite s’ils « votaient mal ».
Certains sont venus discrètement le lui dire et s’en excuser. On n’était plus dans une bataille politique. Mais dans des menaces d’une tout autre nature. Le FLN entrait dans la « maison de l’obéissance ». Il n’en est pas sorti depuis. La « complot scientifique » ce ne sont pas les cabotins de la politique, les médiocres qui servent de faire-valoir, qui l’ont mené, c’est une machine. Et c’est Mehri qui explique lui-même ce traitement et cette « intrusion brutale du pouvoir » dans les affaires du FLN.
« Le traitement a consisté en une ordonnance grasse de la part de certains services de l’Etat qui croyaient, et sans doute le croient-ils encore, que les missions qui leur ont été confiées leur donnent le droit de gérer d’une manière ou d’une autre le fonctionnement des organisations sociales, des partis et des associations ; de promouvoir certains de leurs dirigeants, de sélectionner leur candidats aux assemblées élues, de rectifier leurs lignes politiques en cas de nécessité dans le sens qui sied à l’ordre établi (…) Cette forme de complot scientifique est en fait un composé organique du système de pouvoir et un instrument de gestion de la démocratie de façade ».
Jusqu’au bout pour la démocratie et le Maghreb
Aujourd’hui, le concert des louanges qui viennent, y compris de ceux qui l’ont vilipendé et trainé dans la boue et accusé d’être un traitre à sa patrie, ne doit pas faire illusion. Abdelhamid Mehri a combattu ce régime, il a défendu avec abnégation et sans relâche la démocratie et le Maghreb.
Il était scandalisé par la persistance, sans raison valable, de la fermeture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Il a continué à apporter sa contribution par tous les moyens possibles. Et il était sans illusion sur les pseudos-réformes que le régime a annoncé récemment en notant que le pouvoir se refusait à un préalable élémentaire de permettre un débat sur l’état des lieux et sur ce qui doit changer. Mais Abdelhamid Mehri n’a jamais prêté flanc à la désespérance.
C’était un militant et il l’est resté. Et à tous les jeunes qui venaient lui exprimer leur désarroi, il leur rappelait qu’avant le 1er novembre, la scène algérienne était marquée par le marasme, le désarroi et l’absence de visibilité. Mehri était convaincu que les algériens ont les moyens de trouver, en eux-mêmes, les moyens de sortir de l’impasse. Il constatait que pour la plupart des algériens, le régime est totalement discrédité. Et que la seule question qui se posait à eux était de savoir comment le dépasser et le changer sans que cela ne soit trop couteux pour le pays.
 Et il ne doutait pas qu’ils finiront par trouver la voie pour dépasser un système qui entrave la marche inscrite dans l’histoire des algériens vers la démocratie et l’union des peuples maghrébins.
Abdelhamid Mehri a été, pour nous, pour beaucoup, l’incarnation d’une Algérie rêvée : démocratique, ouverte, progressiste et ancrée dans ses cultures et ses valeurs. Et ce n’est pas une erreur de découvrir que cette Algérie-là, c’est bien celle qui a été énoncée dans la proclamation de novembre. Nous honorerons Abdelhamid Mehri si nous tous, jeunes et moins jeunes, continuons à nous battre et à ne pas renoncer à cette Algérie-là.
 Ahmed Selmane,La Nation, 31 Janvier 2012

3 Commentaires

  1. Dommage nous n’avons pas écouté MEHRI ,il a combattu le régime tout seul en défendant la démocratie .L’Algérie et sa jeunesse ont perdu un Grand Homme

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