Le Conseil constitutionnel sait-il compter jusqu'à 88 ?

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« Staline est mort, qui va aller le lui dire ? » est une vieille plaisanterie russe. En Algérie, elle prend toute sa dimension si l’on s’en tient à l’état grabataire du Président devant qui personne n’ose faire état de l’article 88 de la constitution. A moins que nos médecins algériens aient un protocole de diagnostic de l’état de discernement mental et d’aptitude physique différent de celui de la médecine internationale ?

            « Le roi est nu » criait le petit enfant dans le célèbre conte d’Andersen, à l’attention des adultes qui n’avaient manifestement pas, ni par courage ni par intérêt, l’intention de s’en convaincre. Le petit garçon voit l’évidence, dit la réalité exposée et aucun filtre ne peut le détourner de son interprétation brute. Seul un innocent pouvait le signifier à la foule car il n’a pas encore la conscience du danger à dire la vérité, encore pétri de la grâce des anges comme le disent les croyants.

            Quels que soient les griefs graves à l’encontre d’un dictateur, et c’est un euphémisme quant au Président à vie en place depuis 1962, un humaniste ne souhaite jamais le pire à un être humain, bien au contraire. D’autre part, un vrai démocrate ne fait jamais référence aux écrits de la constitution d’un régime militaire. Elle est pour lui, nulle et sans valeur, à moins qu’il essaie de contribuer à sa refondation, ce qui fut tenté une fois au sein d’un parti d’opposition, une erreur lourde de naïveté face à des monstres.

            Mais il lui est absolument nécessaire de rappeler à ceux qui sont gratifiés d’honneurs républicains et de postes rémunérateurs, certaines dispositions constitutionnelles qui semblent avoir échappé à leur lecture. Ils ne doivent pas savoir compter jusqu’à 88 puisqu’à cet instant du texte constitutionnel apparaît la disposition concernant l’empêchement du Président de la république.

            Essayons de la relire ensemble car il n’y a aucune diffamation, aucune haine ni parole de délation à lire la constitution. Ou alors est-elle si honteuse qu’il nous est impossible de la rappeler ?

Que dit la constitution ?

            L’article 88 stipule : Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement.

            La cause qui déclenche l’article 88 est donc la maladie. Et c’est là toute la difficulté car qui va attester de la maladie ? Évitons de penser au Conseil constitutionnel algérien sous peine d’apoplexie de fou-rire. Laissons également de côté les députés car l’humour a ses limites. Alors, un docteur suicidaire qui veut mettre fin à sa carrière ? En attendant le courage et la probité, relevons la seconde partie de la proposition qui est la conséquence juridique de la maladie constatée.

            L’article 88 suppose qu’il y ait une impossibilité à exercer les fonctions. Inutile d’être un grand professeur émérite en médecine, l’état du Président de la république est incompatible avec toute activité qui ne relève pas du repos médical et de l’assistance permanente.

            Et si nos adversaires (qui sont nos censeurs) ont une dernière carte juridique à faire valoir, elle concernerait les deux adjectifs, « durable » et « totale ». Pour ce qui est du durable, le peuple algérien ne compte même plus les années où il s’est habitué à l’image d’un fauteuil sur lequel on transporte un homme absent et déconnecté de son environnement. Il ne fait également guère plus attention aux déplacements à l’étranger pour cause médicale, d’ailleurs sans aucune transparence quant à l’information. A peine ose-t-il avoir une pensée intime et interdite qui le questionne à propos de l’intérêt d’avoir accumulé trente années de rente pétrolière pour être finalement dans l’obligation de soigner le Président à l’étranger comme un pays du tiers-monde des années soixante.

            Pour ce qui de l’adjectif « totale », que peut-il signifier pour un Président de la république ? La mission est si grave et si lourde qu’une bien plus petite indisposition permanente suffirait à la rendre impossible. Même si l’incapacité était « partielle » nous pourrions encore légitimement prétendre que ce niveau d’état de santé est absolument incompatible avec la fonction. Pour n’importe quel observateur censé, l’impotence actuelle est clairement à un stade des plus avancés. Elle est certainement un empêchement absolu au titre de l’article 88 de leur constitution.

            Verrait-on un chirurgien souffrant de la maladie de Parkinson continuer à opérer ? Imagine-t-on un soldat atteint d’une paralysie être envoyé au front ? Autoriserait-on un alcoolique avéré à conduire un bus scolaire ? A l’évidence, certaines situations ne nous traverseraient pas l’esprit une seule seconde à moins d’être atteint soi-même d’une forte démence.

            On pourra toujours nous rétorquer que le boulot d’un Président algérien consiste à apparaître devant la foule qui applaudit, de rencontrer des chefs d’États dont on se demande s’ils l’entendent  marmonner, puis de signer machinalement des décret présidentiels face aux caméras, la main tremblante comme une feuille au vent. Cela, il suffit de nos yeux pour nous en convaincre et notre inquiétude repose surtout sur les personnes qui pensent les textes, les rédigent et prennent la main pour l’aider à se diriger au point de signature.

            L’homme est à bout de souffle, son regard est hagard, lointain, fixant un vide profond, celui que seules les personnes détachées du monde atteignent. Le tremblement de la voix raisonne comme une indécence à l’égard de tous ceux qui laissent se perpétuer un tel spectacle. C’est une image désolante pour un pays qui part à la dérive et qui n’ose même plus, par la bouche de ses cadres dont l’aptitude intellectuelle n’est pas à remettre en cause, exprimer une réalité qui nous fait affronter la risée mondiale.

            Il n’est moral dans aucune religion ni aucune civilisation de donner en spectacle un homme impotent, visiblement incapable d’assumer la moindre tâche professionnelle et encore moins l’écrasante charge de chef d’État. Ce n’est pas seulement une disposition constitutionnelle qui est bafouée en son article 88, c’est une lourde faute morale, indigne des principes premiers de l’humanisme.

            Alors, pourquoi cet acharnement à ne pas activer l’article 88 de la constitution ? Les réponses sont évidentes et connues de tous les algériens. Il est toujours bon de les rappeler car si nous sommes tenus par la censure et la crainte de la répression, nous ne sommes pas idiots.

Lâcheté ou intérêts ? Les deux !

            Nous savons parfaitement pourquoi l’homme est exhibé dans une souffrance gestuelle inexpressive et insupportable à nos regards. Tant qu’il est à son poste, le pouvoir n’échappe pas aux autres, famille et proches politiquement. Et plus il tient, plus le temps est gagné dans une course folle d’une dernière bataille de gavage financier avant l’écroulement de l’Empire.

            Il faut rapidement amasser les derniers milliards car les lendemains ne sont pas garantis sans un énorme matelas offshore de protection, surtout pour fuir la justice. Certains s’empressent dans une tentative désespérée à atteindre le seuil de non retour de la fortune pendant que d’autres galèrent désespérément pour accéder au Club avant que les inscriptions ne soient closes pour cause de fermeture.

            Et plus le président tient, plus Rome en décadence entasse ses dernières fortunes dans une frénésie désespérée. Les malheureux qui ont passé leur vie à applaudir l’homme, puis un fauteuil, seront happés par le vent de la réalité qui va s’abattre sur eux. En tout cas, le craindront-il dans l’esprit seulement car le rédacteur de cet article est optimiste et voit en la mort du pétrole une chance inestimable.

            Dans ce monde qui s’annonce, c’est la beauté et l’intelligence de la jeunesse qui prendra le relais. Elle n’aura certainement pas la même relation au pouvoir autoritaire et népotique que notre génération. Entre cet homme sorti des entrailles d’un ancien monde sous-terrain et leur nouvelle vie, il y aura autant de distance que celle qui sépare l’ère des cavernes et le siècle des lumières.

            En conclusion, nous pourrions dire à tous les bien-pensants qui nous noient de citations religieuses à longueur de journée, que l’exhibition d’un homme dans un état presque végétatif, pour les intérêts de ceux qui l’exhibent, est tout simplement contraire à la religion dans ses principes de base.

            Qu’on laisse ce vieillard terminer sa vie en toute sérénité, dans la dignité et l’affection des siens. Quant au jugement de son action, elle appartient désormais à l’histoire pour les uns, à l’au-delà pour les autres. Mais dans les deux cas, il est une certitude, je ne souhaite pour rien au monde être à sa place. Et encore moins à celle de la fratrie !

SID LAKHDAR Boumédiene

Enseignant
 
 
 
 

8 Commentaires

  1. Tiens, tiens, il parait que nous avions un Conseil Constitutionnel et des Institutions dignes de ce nom et des magistrats qui veillent au respect des Lois et qui les appliquent dans le but de garantir l’Etat de droit ! Moi personnellement, je ne le savais pas ! Inutile de me gronder parce que j’aurais failli dans mes obligations citoyennes en tant qu’individu lambda vivant dans cette république couscoussière où rien n’est, hélas, pareil à ce qui doit exister dans les Nations dignes de ce nom.
    Conseil Constitutionnel et article 88 de la Constitution, dites-vous ? Avons-nous une Constitution à l’instar des pays civilisées ? Que non ! Nous avions un ensemble ou une compilation de textes de LOIS qui faisaient office de Constitution, mais que des potentats ont, à plusieurs reprises, transgressé, foulé du pied et manipulé pour la rendre plus « conforme » à leurs désidératas diaboliques et plus maniable pour leur permettre de réaliser leurs projets douteux.
    D’après mes modestes connaissances en matière d’éducation civique, dans les pays qui se respectent et où chaque citoyen se sent EGAL à ses compatriotes et où NUL n’a le droit de se sentir au dessus des Lois, dans ces pays-là, la CONSTITUTION est et doit revêtir un caractère SACREE et inviolable parce qu’elle est, non seulement la Genèse toutes les Lois, mais que personne n’a le pouvoir d’y toucher sauf après concertation avec le peuple qui reste SOUVERAIN quant à son amendement toujours pour des raisons valables et non pour ses propres intérêts.
    Bizarrement, lorsqu’on se permet de modifier à sa guise ce TEXTE SACRE, comme c’est le cas de la Constitution de 1996 qui avait été révisée à TROIS reprises – (En 2002, 2008 et 2016)-, on peut facilement en déduire que quelque chose ne tourne pas rond, là-haut, au sommet de l’Etat ! Je vous avoue qu’il m’a été impossible de connaitre le nombre exact de Constitutions que mon pays a connus depuis 1963, date de la toute première ; et pourtant, les dates et les données sont clairement rapportées par le site Internet Wikipedia comme on peut le constater ci-dessous.
    Sur ce, je vous quitte en vous remerciant de m’avoir lu. Votre frère et ami Belkacem alias Elbordji qui vous salue fraternellement. Bonne journée à tout le monde.
    P.S. : Pour rappel à l’intention de mes amis internautes qui ne l’ignorent certainement pas, depuis l’indépendance, l’Algérie a déjà connu plusieurs constitutions à commencer par la toute première qui avait été élaborée en 1963, elle avait été suspendue en 1965. Puis vint la constitution de 1976 qui a été révisée à trois reprises, en 1979, en 1980 et en 1988. Elle sera suivie par la constitution de 1989 ; puis enfin la constitution de 1996 qui sera révisée en 2002, en 2008 et en 2016, toujours pour de bonnes causes, bien sur !!! (Source Wikipedia)

  2. Bonjour Belkacem,
    Je vous remercie pour ce commentaire. Mais il me semble que vous n’avez pas perçu le ton de dérision qui était le mien.
    Je parle au second dégré car la Contitutiin algérienne ne vaut même pas le papier sur lequel sont rédigées ses dispositions.
    Je voulais juste dire aux juges constitutionnels que ce sont des pantins et des lâches.
    Cordialement

  3. Bonjour à tous,
    Bark? on n’a pas de constitution? mais qu’avons à côté? de quoi pourrions nous nous vanter chez les autres? Rien…le néant…zéro…le Vide absolu. Nous sommes les derniers de la classe partout dans tous les secteurs, nous ne produisons rien, que néni, aucune richesse. Nous sommes des consommateurs avérés, on ne fait que bouffer au sens propre et au sens figuré. Nous sommes les spécialistes de la chkara (terme intelligemment inventé et qu’on devrait mettre dans le Larousse). Nous sommes les plus perturbateurs de tous les systèmes en équilibre et nous sommes les plus gros fouteurs de bouse dans le monde malgré que nous disposons d’une certaine intelligencia noyé dans un univers de la traîtrise, dans un environnement mafieux, dans un milieu clientéliste, dans une jungle en folie sur laquelle est tissée une toile solide qui fait office de salle de commande. A partir de là on peut extrapoler sans problèmes sur l’avenir et faire toutes les prévisions possibles qui ne sont guère reluisantes pour notre pays. Bonne journée à tous.

  4. Cet article 88 est devenu 102 dans la constitution de 2016.Un juriste l a analyse dans la presse et en a déduit ce qui suit:
    – la constitution et cet article n ont pas déterminé l instance qui a la prérogative de saisir les médecins a l effet de statuer sur l état de sante du président car ce pouvoir au vu de l article 102 ne revient pas au conseil constitutionnel.Celui ci ne fait qu attendre le fameux rapport médical.Il n agira qu après.Devant ce vide personne ne bouge et tout le monde en haut estime qu il a bonne conscience devant ce cas.
    En fait nous savons tous que ce vide aurait du être comble lors de la dernière révision constitutionnelle et c est deliberément que cela n a pas été fait.Ce statu quo est voulu en haut car il arrange des intérêts étroits.Par exemple la famille du Président aurait pu réclamer que ce vide soit comble car le frère ne peut plus assumer la tache.

    • Bonjour,
      Merci pour ce rectificatif. En effet, la version qué j’ai consultée est un vieux PDF.
      Mais l’idée est la même car le numèro importe peu.
      Oui, ils attendent la mort pour constater l’incapacité d’exercice. Là, au moins, ils en seront sûrs.
      Merci et à la prochaine révision de ce texte burlesque d’un régime népotique !

  5. Non,non,non Sid Lakhdar,nous avons une constitution,bonne ou mauvaise, peu importe; mais le problème réside surtout en les hommes du système qui ne croient jamais en l’état de droit, ni en la souveraineté du peuple, mais qui cherchent à se maintenir au pouvoir même au péril du destin de notre peuple.La preuve vous venez de le confirmer que le président mérite de prendre sa retraite,sinon être écarté par la force de la loi(l’article 88 de la constitution) mais qui est toujours là, complètement déconnecté de la réalité et qui n’arrive même pas à s’adresser à la nation, au moins une fois par an, mais imposé tout de même comme président. Notre pouvoir est l’unique dans l’histoire des nations à user abusivement du mensonge,de la force,de la ruse et de soutien de sa clientèle.Et notre peuple lui aussi,ne doit pas se plaindre de son sort car il n’a que ce qu’il mérite de même que nos pseudo-partis d’opposition.Mon souhait,pour que ce problème de gouvernance soit réglé définitivement,c’est la chute du prix du pétrole et la cherté de la vie qui poussera le peuple à se réveiller.

  6. Il y a une vieille blague du temps de l’Union soviétique qui dit:Staline est mort.Qui va lui annoncé sa mort ?
    La démocratie est avant tout une question de culture démocratique.On peut copier la constitution suédoise ou américaine sans pour autant accéder à la démocratie.L’Algérie est vaccinée contre la démocratie pour reprendre la formule d’un grand écrivain algérien.

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