Le jeu pervers de la campagne autour du passé colonial

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https://blogs.mediapart.fr/edition/les-mots-en-campagne
Suite à la «petite phrase» d’Emmanuel Macron qualifiant la colonisation de crime contre l’humanité, l’historienne Laurence de Cock décrypte l’usage politicien du passé colonial dans la campagne électorale. «On devrait l’applaudir pour cela mais quelque chose nous retient. Ce quelque-chose relève justement du volontaire bannissement des historien.ne.s de ce pervers échiquier politicien, et de la transformation d’un objet d’histoire en Supermarket du passé où le candidat circule de rayon en rayon selon sa liste de courses et sa recette du jour.»
Volte-face stratégique, parole en l’air ou prise de conscience historique ? La petite phrase d’Emmanuel Macron en visite en Algérie qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité » n’a sans doute rien d’improvisé. La campagne électorale a déjà été lancée sur un tempo néo-colonial dans la Sarthe d’où François Fillon avait vanté, toute honte bue, la colonisation comme un « partage de cultures ».  On imagine donc assez mal que les professionnels de la communication dont s’entourent les candidats n’aient pas réfléchi mille fois aux effets du petit signal historique qu’ils s’apprêtaient à lancer. 
Certes, Emmanuel Macron s’était montré nettement moins radical il y a quelques semaines, quand, restant dans le registre de l’équilibre de la balance des paiements historiques, il avait insisté sur les aspects positifs et sombres de la colonisation. Mais, temporalité de campagne exige, le contexte est aujourd’hui différent : nouveau lieu, nouvelle séquence. Nouveau lieu d’abord : il n’est pas du tout innocent que cette petite phrase ait été prononcée lors d’un déplacement en Algérie. Celle-ci réclame depuis longtemps à la France la reconnaissance explicite des crimes coloniaux. En 2006, il fut même question de « génocide de l’identité algérienne » perpétré par les Français. L’Algérie demanda les excuses de l’Etat français. Ce fut l’un des thèmes de campagne présidentielle du candidat Bouteflika. A l’époque, le parlement français venait de voter, en catimini, une loi reconnaissant le « rôle positif de la présence française Outre-Mer ». C’est dire si l’Algérie, en pleine négociation du traité euro-méditerranéen avait assez mal accepté l’ironie de l’histoire. Cette loi du 23 février 2005, mise au jour par Valérie Morin, une doctorante du regretté historien Claude Liauzu, a provoqué un tollé tant chez les historiens que dans le monde militant (majoritairement à gauche) horrifié à la fois par son caractère mensonger, partisan (la loi est le fruit de puissants groupes de pression de la « nostalgérie ») et a-historique car, de fait, l’historien.ne n’est pas là pour distribuer des brevets de « positif » ou « négatif » aux évènements historiques. En Algérie, Bouteflika avait même conditionné la poursuite des négociations euro-méditerranéenne à la suppression de cette loi, véritable incident diplomatique. Les relations se sont certes assouplies depuis, François Hollande en septembre 2012 est venu reconnaître devant le Parlement algérien les exactions coloniales, mais tout de même, reprendre ce vocable de « crime contre l’humanité » lors d’un déplacement en Algérie peut s’interpréter comme une garantie d’amitié (économique) franco-algérienne lancée par le très libéral Emmanuel Macron.
Elément séquentiel maintenant. Début 2017, un policier peut trouver tout à fait « convenable » le surnom raciste d’origine coloniale « Bamboula », et les quartiers populaires s’embrasent à la suite d’une énième très grave affaire de violences policières. Les résurgences de la mort de deux jeunes garçons à Clichy, Zyed et Bouna électrocutés en bout de leur course pour échapper au contrôle policier sont criantes. La mort des deux garçons avait provoqué les plus importantes révoltes de ces dernières années dans les quartiers populaires. C’était en 2005, encore, l’année de la loi du 23 février.  Cette année-là fut saturée de débats autour du passé colonial de la France, tant dans sa dimension algérienne que dans celle, plus lointaine de la traite transatlantique. Si les « descendants d’esclaves » (je reprends la terminologie revendiquée par les acteurs de l’époque) ont obtenu la reconnaissance, via la loi Taubira en 2001 de la traite comme un « crime contre l’humanité », la mémoire de la guerre d’Algérie, reste l’objet de tensions très fortes tant elle est corrélée aux enjeux à la fois de patriotisme et fierté nationale (la mission civilisatrice !), de l’immigration coloniale et postcoloniale, du racisme et de l’intégration républicaine. C’est pourquoi, dans un sens comme dans l’autre, selon que l’on nie les exactions coloniales ou qu’on les brandisse comme unique matrice explicative de la gestion contemporaine de la diversité culturelle, la mobilisation du passé colonial reste une question très sensible. Lorsque les politiciens s’en saisissent, elle procède alors d’une logique de signaux adressés à l’encontre de tel ou tel groupe et agit comme un marqueur explicite. 
On le mesure d’ailleurs au tollé que génèrent systématiquement les usages politiques des thématiques coloniales, avec une outrance et une violence rarement atteintes par d’autres références historiques. La réponse à Emmanuel Macron ne s’est pas fait attendre en face, chez une droite décomplexée toujours prompte à rappeler à la moindre occasion la fameuse trilogie des « routes, écoles, et hôpitaux » comme preuve de la bienveillance des colonisateurs. Le débat devient généralement irrationnel et les apports des historiens n’y changent rien depuis plus de dix ans. Le passé fonctionne ici comme un vulgaire appât, nourrissant un débat de théologiens (repentance versus anti-repentance) preuve que la vérité historique est secondaire dans cette affaire.
Macron a donc prononcé une phrase minutieusement calculée qui reconnaît les crimes de masse coloniaux; crimes ignobles, quantifiés pour beaucoup par les historien.ne.s spécialistes, mais crimes encore occultés ou niés par une fraction sourde et aveugle de la société. On devrait l’applaudir pour cela mais quelque chose nous retient. Ce quelque-chose relève justement du volontaire bannissement des historien.ne.s de ce pervers échiquier politicien, et de la transformation d’un objet d’histoire en Supermarket du passé où le candidat circule de rayon en rayon selon sa liste de courses et sa recette du jour.
On devrait s’en désintéresser nous direz-vous. Mais il reste cette inconfortable impression qu’en sus de jongler avec le passé et les mémoires douloureuses, nos candidats jouent un jeu très dangereux. Car la séquence est inquiétante. En 2005, Jacques Chirac avait instauré un couvre-feu pour calmer les émeutiers. Il avait remobilisé pour cela une loi coloniale, la loi du 3 avril 1955, loi d’état d’urgence adoptée pendant la guerre d’Algérie, celle qu’avaient bravée les manifestants du 17 octobre 1961 jetés dans la Seine par la police de Papon. On sait bien que l’histoire ne se répète jamais vraiment mais tout de même, ses effluves sont malodorants. Un vent mauvais souffle dans la campagne.

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Laurence De Cock, historienne et enseignante, a-co dirigé « La fabrique scolaire de l’histoire », Agone, 2009. À paraître en mars 2017, avec Régis Meyran (dir), « Paniques identitaires, l’identité au prisme des Sciences sociales », Le Croquant. 

2 Commentaires

  1. Tiens,tiens il parait que parmi les « bienfaits de la colonisation » il y a,maintenant,ce nouveau concept de « Partages de Cultures »dixit François Fillon.
    ===== »Partages de Cultures »:
    -En Coupant les Têtes des Colonisés?
    -En Brûlant leurs Mechtas et leurs Bêtes?
    -Et,en Accaparant leurs Terres Fertiles?
    ========La CULTURE!!! Ou est-elle??
    -Au fond d’une « tête coupée »?
    -Au sein d’une dèchra détruite?
    -Ou au fond d’un puits nauséabond rempli de cadavres?
    Entendre ça de la part de leaders politiques,de l’autre bord nord de la méditerranée,c’est complètement débile,inculte,amnésique et raciste..
    ***Maintenant dire de cette fameuse trilogie des »routes,écoles,et hôpitaux » comme preuve de la bienveillance des colonisateurs,c’est:
    -si comme vous nous dites de quelqu’un qui Entre chez-vous par Effraction alors que vous êtes pauvres et démunis,il se permet de meubler votre pièce d’une grande salle à manger,et se met avec ses chiens autour de la table et quand vous rouspétez,il vous crache à la figure: eh!bien figurez-vous que je suis chez-vous!Pour vous « Éduquer »,vous « Civilisez »..
    =========Esprit de Néo-Colonialistes quand tu nous tiens!!!

  2. bonne article ….
    si chercheurs il y a …
    serait il possible d’en savoir plus sur les véritables origines du Dey Hussein car il serait descendant de famille donmeh cad juif faussement convertit à l’islam pour mieux comprendre je vous invite à découvrir les origines de ce courant satanique https://www.youtube.com/watch?v=nERbQQe2_kQ
    Au jour d’aujourd’hui nous ne pouvons avoir accès sur les échange par courrier entre le califat ottoman et Charles X et louis XVIII, là on pourrait mieux comprendre pourquoi sans aucune crainte de retour du bâton, vengeance, de revanche de tentative reprise de la régence de la part du califat ottoman,
    Avec autant d’assurance les français se sont permis le pire sur notre peuple ????????
    POURQUOI ???????????????
    des chercheurs Docteurs en histoires d’origines algériennes ont systématiquement des refus d’accès aux archives ottoman ou française correspondant à ces sujets

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