Point de vue : Universités d’Algérie : entrave à l’exercice du droit syndical et voie de fait

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1978

El Watan le 15.03.17

Les événements dramatiques, qui ont eu pour théâtre la Faculté des sciences politiques et des relations internationales de l’université d’Alger 3, montrent une fois de plus les difficultés que rencontrent les citoyens (travailleurs salariés ou agents de l’Etat) pour le libre exercice du droit syndical, au sein de toute organisation syndicale autre que l’UGTA. On peut déplorer, en particulier, que l’exercice d’un droit citoyen à valeur constitutionnelle soit entravé dans le secteur de l’administration publique ; soit un secteur où le comportement des représentants des pouvoirs publics, à tous les niveaux, devrait avoir valeur d’exemple lorsqu’il s’agit du respect des lois de la République, nécessaire à la réalisation de l’Etat de droit.
Les événements en question ont soulevé deux questions de droit, d’inégale importance, en rapport avec l’exercice du droit syndical. L’administration de l’université «explique» ces événements par le fait que les enseignants, membres de l’organisation syndicale CNES, ont tenu au sein de leur faculté une réunion «non autorisée». Celle-ci avait pour objet de désigner des délégués syndicaux. En réalité, ce qui est à l’origine du désordre qui s’en est suivi, c’est l’intervention d’agents de l’université pour entraver l’exercice d’une prérogative syndicale, soit par ignorance de la loi, soit pour des raisons obscures.
En effet, à s’en tenir strictement à la loi (loi n° 90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical), il peut être relevé que :
1- les prescriptions des articles 40 et 41 (modifiés) autorisent toute organisation syndicale représentative à créer une structure syndicale dans tout lieu de travail pour assurer la représentation des intérêts matériels et moraux de ses membres. Cette structure syndicale désigne, en son sein, les délégués syndicaux chargés de la représenter auprès de l’employeur.
L’ensemble de ces dispositions légales s’appliquent conformément aux statuts de l’organisation syndicale. Aucune autorisation de quelque autorité administrative ou employeur n’est requise pour l’application de ce que la loi a clairement prescrit et autorisé. Ainsi, le motif évoqué par l’administration-employeur pour justifier son opposition à cette réunion syndicale n’a aucun fondement légal;
2- en toute circonstance, selon les termes de l’article 38 (complété), une organisation syndicale représentative a comme prérogative de réunir ses membres sur les lieux de travail sans autorisation préalable (sauf si cette réunion doit avoir lieu pendant les heures de travail).
Dans ces conditions, les manœuvres, pressions et actions menées pour empêcher les membres d’une organisation syndicale représentative, régulièrement déclarée et enregistrée depuis 1992 auprès des services du ministère chargé du travail, sont manifestement des entraves au libre exercice du droit syndical.
Ces entraves constituent une infraction susceptible de sanctions pénales, selon les prescriptions des articles 58 et suivants de la loi précitée. De plus, les auteurs de ces manœuvres ont été à l’origine d’un trouble manifeste à l’ordre public. Le fait le plus troublant dans cette affaire n’est cependant pas celui de la tentative d’empêcher, par tout moyen, la réalisation de ce que la loi autorise et garantit, mais bien celui de l’intervention d’une décision par laquelle le ministère chargé de l’enseignement supérieur prétend «geler» les activités de l’organisation syndicale CNES.
Cette décision aurait pour motif un conflit portant sur la direction de cette organisation. On ne peut, en effet, que s’étonner que le ministère prenne l’initiative de violer aussi délibérément à la fois le droit national et supranational. Sur le plan de la forme, ladite décision n’a pas un statut juridique établi constitutionnellement ou légalement qui lui donne autorité et lui permet de produire des effets de droit.
Par ailleurs, le terme «geler» (…) n’appartient pas à la terminologie juridique retenue par le législateur; il n’a donc pas de sens en droit (du travail) et ne saurait donc produire des effets de droit. L’Administration (en particulier celle de l’enseignement supérieur) devrait être attentive à la différence entre le langage courant et celui contenu dans des prescriptions juridiques. Ces observations, à elles seules, suffiraient à disqualifier cette décision.
Sur le fonds, nous ne sommes pas sans savoir, en dépit de la maladresse du rédacteur de cette décision, qu’il s’agit plutôt d’une «suspension» (…). C’est ce terme seul qui est utilisé par la loi n° 90-14 précitée. Si «geler» doit être compris comme signifiant «suspendre», on ne pourra alors qu’observer que le ministère a pris une décision (sans la forme et la terminologie requise) pour laquelle non seulement, la loi ne lui donne pas compétence, mais écarte expressément sa compétence.
En effet, aucun ministre dans aucun secteur, fusse-t-il le ministre chargé du travail lui-même, ne peut décider de suspendre une organisation syndicale, pour quelque motif que ce soit, y compris pour le motif évoqué dans ladite décision. Selon les prescriptions de l’article 27 de la loi n° 90-14 précitée, la compétence légale de l’autorité publique (ici le ministère de l’Enseignement supérieur) se limite à saisir les juridictions compétentes, seules habilitées par la loi à prononcer, le cas échéant, la suspension de toute activité syndicale qui contrevient aux lois en vigueur ou ne se conforme pas aux activités prévues dans ses statuts.
Le recours au juge pour obtenir que soit prononcée, si les conditions sont réunies, la suspension de l’activité d’une organisation syndicale, est un élément essentiel du dispositif légal de protection de la liberté syndicale. Un dispositif qui a pour fondement la Convention n° 087 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, ratifiée par l’Algérie. Les prescriptions de son article 4, auxquelles se conforme la loi algérienne, énoncent que «les organisations de travailleurs et d’employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative».
Ainsi, sans contestation aucune, la décision qui prétend «geler» (suspendre) l’activité du syndicat CNES, n’est légalement fondée ni au regard des procédures auxquelles la loi algérienne oblige à se conformer en vue d’obtenir la suspension de l’activité syndicale, ni au regard du motif unique (activité syndicale contrevenant aux lois et aux statuts de l’organisation syndicale) pour lequel cette suspension pourrait être requise. Il y a donc bien dans ce cas, voie de fait par manque de droit, dès lors que l’Administration a pris une décision ne se rattachant pas à un pouvoir que la loi lui attribue.
Mahammed Nasr-Eddine Koriche

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