L’anniversaire du 19 mars 1962 et le rôle de Saâd Dahlab dans les accords d’Evian

1
3066

L’anniversaire du 19 mars 1962 et le rôle de Saâd Dahlab dans les accords d’Evian
par Benyoucef BENKHEDDA
(Extraits)
Les négociations entre le GPRA et le gouvernement français
En 1961, les négociations entre le GPRA et le gouvernement français sont ouvertes officiellement. Dahlab va en être l’élément moteur. En août de la même année il est ministre des Affaires étrangères du GPRA, ce qui lui donne plus de poids aux pourparlers avec le partenaire français. L’appel aux armes du Premier novembre 1954 n’a jamais fermé la porte aux négociations, bien au contraire. Les premiers contacts entre le FLN et le gouvernement français eurent lieu à plusieurs reprises de façon secrète et officieuse courant 1956. C’est seulement en février 1961 que débuteront officiellement les vraies négociations avec la France. Elles se poursuivront pendant plus d’an, jusqu’au cessez-le-feu du 19 mars 1962. C’est qu’entre temps de Gaulle était revenu au pouvoir, et son discours du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination allait imprimer une nouvelle tournure au conflit algérien.
Divergences algéro-françaises
Le lutte héroïque de notre peuple conjuguée à la pression internationale avait mis de Gaulle dans l’obligation de proposer des mesures concrètes pour résoudre le conflit algérien qui coûtait de plus en plus cher à la France et la menaçait jusque dans son unité nationale. Sous quelle forme ? Par l’autodétermination, c’est-à-dire l’organisation d’un référendum portant sur trois options : l’indépendance, l’association, la francisation. De Gaulle, tout en rejetant l’indépendance et la francisation, choisit l’association « le gouvernement des Algériens par les Algériens en union étroite avec elle (la France) pour l’économie, l’enseignement, la défense, les relations internationales ». C’est l’autonomie interne, c’est-à-dire la souveraineté limitée. Comme si cette limitation ne suffisait pas, de Gaulle fractionne la nation. Il conçoit des régions autonomes sur la base de communautés ethniques organisées suivant un régime de type fédéral « afin, dit-il, que les communautés diverses, française, arabe, kabyle, mozabite etc., qui cohabitent dans le pays, y trouvent des garanties quant à leur vie propre et un cadre pour leur coopération ». Nous sommes ainsi en présence d’un système fédéral qui, plus est, se trouve arbitrairement fondé sur une visée discriminatoire, à la fois ethnique et régionaliste, aboutissant en fait au morcellement géographique de l’Algérie et à la fragmentation de son peuple. A ce concept diviseur, le GPRA oppose celui de la nation algérienne formée d’un même peuple, façonnée depuis des siècles par une histoire et une culture arabo-islamique communes qui ont donné à l’Algérie son vrai visage et sa personnalité renforcée dans la lutte anticolonialiste. Aux côtés de ce peuple, une communauté dominante : la minorité européenne qui tient à la pérennisation de ses privilèges colossaux, et dont le statut futur doit être réglé, au gré du GPRA, dans le cadre d’un Etat algérien unitaire et souverain. De Gaulle agite en outre la menace de la partition au cas où les Algériens se prononceraient pour l’indépendance.
Le Sahara resterait alors sous domination française à cause de ses richesses en pétrole, ce pétrole qui sera la cause d’une prolongation de la guerre de trois ans. Pour l’autodétermination et son organisation ce sont « toutes les tendances politiques » qui seraient représentées. C’est l’idée de « table ronde » qui est reprise et non le principe d’un FLN « représentant unique de la Résistance » . Le désaccord est profond entre la conception gaulliste de l’autodétermination et celle du GPRA.
Pour ce dernier, il y a des conditions politiques et militaires à remplir avant d’arriver à l’autodétermination. Il faut qu’il y ait cessez-le-feu d’abord, et le cessez-le-feu ne peut se concevoir sans l’accord préalable sur ses conditions. Les premiers contacts entre délégués français et délégués du GPRA se solderont par l’échec de Melun (25/29 juin 1960) où de Gaulle demande ni plus ni moins la capitulation de l’ALN, rejetée ipso facto par le GPRA.
Ce sont les manifestations populaires d’Alger et des grandes villes sous le drapeau du FLN, en décembre 1960, qui pousseront les Français à s’asseoir de nouveau autour d’une table pour les discussions avec le FLN. Commencées à Lucerne en Suisse le 20 février 1961, deux mois après ces événements historiques, elles feront apparaître des divergences fondamentales entre les deux délégations dont voici l’essentiel: L’ordre public demeure toujours assuré par les forces françaises, « Le Sahara ? Pas question, réplique Pompidou, le représentant de de Gaulle, aux délégués du GPRA ; il ajoute : « Le Sahara, c’est une mer, elle a ses riverains ; l’Algérie, c’est un de ses riverains et la France se doit de les consulter tous ». Le problème de l’armée française est laissé à part ; Mers-El-Kébir est revendiqué comme propriété française, à l’image de Gibraltar, enclave britannique en territoire espagnol. De Gaulle ne veut pas entendre parler de « guerre », pas plus que de « cessez-le-feu », mais de « trêve ». Une fois la trêve négociée, dit-il, il y aurait une déclaration du gouvernement suivie de celle du GPRA condamnant le « terrorisme » « ou tout acte de violence ». Les « cinq » ministres emprisonnés seraient libérés alors et participeraient aux négociations.
Le GPRA refuse de discuter séparément du cessez-le-feu et des garanties d’application de l’autodétermination. Il ne veut pas réitérer Melun. Il rejette la « trêve » qui est la cessation des actions militaires entre deux parties, tandis que le cessez-le-feu règle au préalable les problèmes politiques et militaires, et n’est que l’aboutissement de discussions plus ou moins longues.
Il repousse l’idée des «tendances» qui est un moyen de division afin d’isoler le FLN et rejette naturellement la partition du territoire. A Lucerne, donc, les points de vue entre le GPRA et de Gaulle sont aux antipodes les uns des autres tant sur les solutions préconisées que sur la démarche envisagée pour y parvenir. De telles divergences, profondes, quasi-irréductibles, peuvent être résumées ainsi :
De Gaulle GPRA Autonomie interne Pleine souveraineté. Algérie amputée du Sahara Intégrité du territoire, Sahara compris.
Morcellement de l’Algérie en ethnies Unité de la nation algérienne : il n’y a pas deux peuples mais un seul de culture arabo-islamique, et une minorité européenne étrangère. Table ronde Le FLN, interlocuteur unique. Trêve Cessez-le-feu. Ainsi apparaît la conception gaulliste de « l’association » : une Algérie amputée de son Sahara, avec une présence militaire française garante des privilèges économiques de la France et de la minorité européenne fixée en Algérie .
Cela explique pourquoi de Gaulle réclamait au profit de cette minorité la double nationalité, algérienne et française, que, d’emblée le GPRA rejeta. On a prétendu que les accords d’Evian contenaient un certain nombre de dispositions secrètes. J’affirme qu’il n’y a jamais eu de clauses secrètes passées entre le GPRA et le gouvernement français. Ces accords sont tels qu’ils ont paru intégralement et publiquement le 19 mars 1962. Si après l’indépendance, le gouvernement algérien a pu signer un quelconque accord sur les armes chimiques ou bactériologiques c’est à lui qu’il incombe de répondre et de fournir toutes explications utiles à cet égard. En fin de compte, ne cessons jamais de le rappeler : les négociations algéro-françaises se sont terminées par une immense victoire de l’Algérie : son indépendance totale dans l’intégrité absolue de son territoire. Une victoire considérable.
La victoire du peuple algérien, on ne le répétera jamais assez, s’est terminée par le retrait d’une armée d’occupation de 500 000 hommes appuyés par 200 000 supplétifs ( soit environ un soldat pour huit Algériens). Elle a acculé un million d’Européens enracinés dans le pays depuis plus d’un siècle à un départ massif vers la France. Surtout, elle a contraint la France à reconnaître solennellement à l’Algérie sa souveraineté nationale, pleine et entière, sans amputation d’aucune partie de son territoire, notamment celle du Sahara que les Français voulaient nous ravir. Le peuple algérien a triomphé par la grâce de Dieu, et par l’engagement, l’abnégation et le savoir-faire de militants de la trempe de Dahlab. Membre de la délégation FLN aux négociations d’Evian, Dahlab a su donner la mesure de ses talents qui étaient aussi immenses que divers. Fin diplomate, l’intelligence constamment en éveil, il avait l’art d’user de son humour irrésistible pour débloquer les situations les plus ardues. Plein d’allant et de ténacité sous des dehors d’homme affable et réputé pour sa convivialité et la vivacité de son esprit, il fut sans conteste, parmi les artisans de la victoire de notre cause à Evian, celui qui avait le plus im-pressionné les Français par la pertinence de ses analyses, de son sens aigu des enjeux, l’habileté de ses interventions, et son pragmatisme plein de bon sens.
 Quelques traits de caractère de Saâd Dahlab
Saâd Dahlab était sans complexe ; il défendait avec assurance la cause algérienne parce qu’il la considérait comme la cause juste par excellence. Il estimait de son devoir d’expliquer la légitimité du combat mené par le peuple algérien au nom de son idéal d’indépendance et de ses valeurs arabo-islamiques. Il se dépensait à cette tâche avec une fougue et un brio qui pouvait ébranler les plus réticents de ses interlocuteurs. Que ce soit devant des personnalités internationales comme Matteï, magnat italien du pétrole et président du groupe l’ENI, ou devant Louis Joxe, chef de la délégation française aux pourparlers d’Evian, il savait à la fois séduire et jouer serré sans jamais perdre de vue que les dissensions entre responsables de la Révolution ne devaient en aucun cas nuire aux objectifs primordiaux de la négociation.
Matteï
C’était au cours du voyage en Chine de la délégation du FLN en 1958. De retour de Pékin celle-ci devait se rendre à Moscou. Se trouvant en transit à Omsk, en Sibérie, en attente de l’avion qu’elle comptait emprunter pour rallier la capitale russe, elle fut, à cause du mauvais temps, obligée de prolonger de trois jours son séjour forcé dans cette ville. Comme les autres voyageurs, les membres de notre délégation descendaient souvent dans la salle commune de l’hôtel afin de savoir quand enfin ils reprendraient l’avion. Dahlab avait, entre temps, lié connaissance avec Matteï.
Un matin, il l’aperçut de loin. Ils se reconnurent et se dirigèrent l’un vers l’autre comme si ils se connaissaient depuis longtemps ; et Dahlab de s’écrier : « Hein, Mr Matteï ! Qui l’eût dit : Matteï, le capitaliste, et le FLN, révolutionnaire, tous deux vers un seul but : Moscou. »
Et Matteï d’éclater de rire. A partir de ce jour, Matteï devenait un allié du FLN; il arriva à Rome où il téléphona à Tayeb Boulahrouf, notre représentant en Italie. Il lui fut d’une aide précieuse dans les milieux politiques italiens.
L’art de la métaphore
Saâd Dahlab avait l’art de présenter la situation la plus désespérée sous une forme métaphorique et gaie, qui mettait tout le monde à l’aise. En 1954, la crise qui oppose le Comité central à Messali au sommet du PPA-MTLD avait atteint des proportions insoupçonnées; la scission se propageait à grande vitesse. A Ksar Chellala la kasma du MTLD avait basculé entièrement dans le camp messaliste. D’Alger, nous téléphonons à Dahlab :
« Allo, Si Saâd ! Comment ça va chez vous ? Quelle est la situation ? – Et bien, voilà, répond-il, en fait de cen-tralistes, il n’y en a que deux : votre humble serviteur, et son épouse. »
Le diplomate Saäd Dahlab n’avait pas 40 ans de diplomatie derrière lui comme Louis Joxe, son partenaire français. Il ne sortait pas d’une université prestigieuse, mais il ne se laissait pas impressionner pour autant par les titres de ses interlocuteurs. C’était le militant formé à l’école du PPA pour qui seul comptait l’intérêt de l’Algérie et de son peuple ; il était sans complexe et agissait avec un bon sens remarquable.
Le Sahara « français »
Au cours d’une des nombreuses séances de négociations, les deux délégations, algérienne et française, sont réunies, la première présidée par Krim, la seconde par Joxe. La discussion piétinait car elle concernait un « gros morceau » : le Sahara. Les Français soutenaient mordicus que le Sahara n’est pas algérien, mais «français » en apportant à l’appui de leur thèse force lois, décrets, règlements et un tas d’autres considérations sociologiques. Un membre de la délégation algérienne, avocat de profession, se met à leur répliquer en faisant appel aux arguments d’ordre juridique, terrain où les Français sont imbattables. Dahlab intervint alors pour déjouer le piège : « Messieurs, dit-il en s’adressant à ses vis-à-vis, depuis plusieurs séances vous essayez de nous faire croire que le Sahara est français. En vertu de quelle loi ? La loi française ? Mais bon sang ! Nous ne reconnaissons pas cette loi ! Pourquoi croyez-vous que nous avons pris les armes ? C’est pour nous dresser contre cette loi, et les autres, tout aussi injustes. D’ailleurs vous nous appelez les « hors-la-loi », n’est-ce pas ? Oui ! Nous sommes des «hors-la-loi ». Mais contre la loi française qui régit notre pays. Donc si vous êtes sérieux laissez cette loi de côté. Discutons de la paix en Algérie. (Et là Dahlab fait diversion sur la rencontre entre Khrouchev le numéro 1 soviétique et son partenaire américain Kennedy réunis à Vienne sur le thème de la Paix dans le monde).
Après l’intervention de Dahlab, les délégués français se regardèrent mutuellement et se turent. Ils n’insistèrent pas.
Dahlab et la tactique du harcèlement
Il faut dire que pour Joxe la tâche n’était pas facile. Il était soumis par Dahlab à la tactique du harcèlement sur les questions secondaires où il mettait les nerfs de son partenaire à dure épreuve tout en demeurant ferme sur les positions-clefs du FLN : Sahara, souveraineté nationale, refus de la double citoyenneté à la minorité européenne. A ce propos Dahlab relate dans son livre « Mission accomplie » : « Un jour Mr Joxe exténué, arracha d’un geste vif de la main gauche, ses lunettes et les déposa devant lui, en jetant de la main droite son stylo au bout de la table : c’est un geste qui nous devenait familier chaque fois qu’il était en colère ou feignait de l’être. « Depuis quarante ans grommela-t-il, je noue et je dénoue des ficelles cassées, je n’ai jamais vu une négociation pareille » ! Je lui répliquai doucement de la manière la plus détendue possible « mais, monsieur le Président, c’est la première fois que vous négociez avec des Algériens ! » Il esquissa un imperceptible sourire en s’armant de nouveau de ses lunettes et de son stylo. »
Le 19 mars 2002
Benyoucef Ben Khedda

1 COMMENTAIRE

  1. tout cela pour aujourd’hui en arrivé à ça !!!!!!!!!! ………………
    quel gâchis !!!!
    NON foutons leurs la paix !!!!!!
    EUX ils ont fait leurs boulots avec tout ce que cela comporter comme SACRIFICES; peut importe les concession ou je ne sais quoi ILS L’ONT FAIT ET ILS L’ONT
    OBTENU !!!!!!!!!
    RESPECT A CES GRANDS HOMMES A QUI NOUS DEVONS ENORMEMENT !!!!!!!!!!!!!!!!!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici