«L'université est devenue le réceptacle de toutes les anomalies»

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Louisa Dris Aït Hamadouche, politologue : «L’université est devenue le réceptacle de toutes les anomalies»

La clochardisation de l’université algérienne et la violence multiforme qui ont élu domicile dans ce «haut lieu du savoir» ne peuvent plus être acceptés, tolérés et classés dans la catégorie ‘’faits divers’’. Les signes de cette érosion morale et scientifique nous parviennent chaque jour des quatre coins du pays. Il y a véritablement péril en la demeure. «L’université est devenue le réceptacle de toutes les anomalies qui désormais façonnent l’Algérie. Pire, l’université produit l’anomie», regrette la politologue Louisa Dris Ait Hamadouche. Dans cet entretien, elle pousse un véritable coup de gueule mais également s’offusque du laxisme des responsables.

 
Le Temps d’Algérie : L’université algérienne vit ces derniers mois au rythme d’une violence inouïe, tant morale que physique. Comment en tant qu’enseignante vivez-vous cette situation ?
Louisa Ait Hamadouche : Il m’est difficile de décrire la façon dont je vis cette détérioration calamiteuse de l’environnement universitaire. Un étudiant qui agresse un enseignant est pour moi le summum de l’inacceptable. Pour donner une image que tout le monde comprendra, c’est pour moi comparable à un enfant qui lève la main sur un de ses parents. C’est du ressort de l’inimaginable, de l’intolérable, de l’impardonnable.
Comment en est-on arrivé là ? A quoi est due, selon vous, toute cette violence ?
Elle ne doit rien au hasard, ni à la fatalité. L’université algérienne a totalement basculé, surtout depuis deux décennies. Le comble du paradoxe est qu’elle est plongée dans une violence qui était totalement absente dans les années 90, au moment où le pays était à feu et à sang. A cette époque (en tant qu’étudiants), nous avions peur à l’extérieur de l’université et nous nous sentions en sécurité à l’intérieur. Aujourd’hui, la violence est dedans et dehors. L’université n’est plus le lieu de production de normes structurantes, constructives, éducatives. Elle n’est plus le lieu de sélection et de production de l’élite. Elle n’est plus la locomotive de la société et du pays. L’université algérienne est le réceptacle de toutes les anomalies qui désormais façonnent l’Algérie. Pire, l’université produit l’anomie. L’un des exemples les plus terribles de cette anomie est l’incapacité des enseignants à se solidariser avec un collègue agressé sur son lieu de travail par un étudiant.
Peut-on parler, aujourd’hui, d’un phénomène qui touche toute l’université algérienne ?
La violence à l’université n’est pas un épiphénomène mais une réalité structurante. Pourquoi ? On rencontre dans l’université algérienne d’aujourd’hui toutes les formes de violences. La violence physique bien sûr à l’université d’Alger, de Msila et autres. Mais la violence à l’université, c’est aussi une violence contre le mérite avec la banalisation de la tricherie ; contre l’honnêteté avec la propagation des détournements ; contre le mérite avec la marginalisation des chercheurs intègres et productifs ; contre l’engagement social avec des organisations estudiantines transformées en mafias ; contre l’éthique avec une corporation désolidarisée, morcelée ; contre la justice avec le règne de l’impunité ; et finalement contre l’intelligence avec la clientélisation des garants de la protection de l’université. La violence à l’université, c’est finalement une violence morale d’une extrême gravité, car un encadrement qui ne forme pas le présent, c’est un encadrement qui déforme l’avenir.
Où se situent, d’après vous, les responsabilités? Comment faire face à cet état de chose ?
Pour faire court, les responsables sont responsables. Plus vous montez dans la hiérarchie, plus la responsabilité est grande. En définitive, l’étudiant agresseur est le dernier maillon de la chaîne. Il n’est pas né violent, mais il l’est devenu. Au mieux, on ne l’a pas empêché de le devenir, au pire, on l’a encouragé. La clé pour faire face à cette situation est de le vouloir. On a voulu faire de l’université ce qu’elle est aujourd’hui ; on l’a transformée en moyen de maintenir les jeunes gens sous contrôle ; on a abaissé les niveaux d’exigence pour y entrer et on a généralisé la distribution des diplômes à la sortie. Il suffit de vouloir remettre l’université sur pied. Ce sera long, douloureux pour les intérêts mal acquis, mais c’est possible. La question est : le veut-on ?
K. B.

11 Commentaires

  1. Vous avez résumé la situation situation de l’université sans complaisance et avec rigueur et courage et c’est malheureusement celle de tout le pays.

  2. Terrible et lucide constat. Le retour à la normale, si réellement on veut l’engager, prendra des années et s’effectuera dans la douleur. Et si on commençait par des choses simples: 1/ Relever et/ou permuter les recteurs dont certains occupent le même poste depuis près de 20 ans. 2/ idem pour les doyens qui devraient avoir un mandat limité dans le temps. 3/ Abolir les oukases et les faits du princes. 4/Réactiver les conseils de discipline et engager les poursuites judiciaires contre la délinquance en milieu estudiantin. 5/ Abolir le redoublement sauf pour les cas exceptionnels: les cas médicaux. 6/ Relever le niveau requis d’accès aux filières scientifiques et technologiques par le concours systématique (notes terminale+ notes bac et cas échéant épreuve écrite). 7/Instaurer les classes préparatoires aux grandes écoles. 8/ Recadrer les organisations estudiantines et les conseils pédagogiques. 9/ Relancer la formation technique intermédiaire, l’université ayant vocation de former l’élite dans le savoir et le savoir faire.

  3. bonjour, merci pour cet article. Vous écrivez Mme Dris Ait Hamadouche, à juste titre : « Mais la violence à l’université, c’est aussi une violence contre le mérite avec la banalisation de la tricherie ; contre l’honnêteté avec la propagation des détournements ; contre le mérite avec la marginalisation des chercheurs intègres et productifs ; contre l’engagement social avec des organisations estudiantines transformées en mafias ; contre l’éthique avec une corporation désolidarisée, morcelée ; contre la justice avec le règne de l’impunité ; et finalement contre l’intelligence avec la clientélisation des garants de la protection de l’université. La violence à l’université, c’est finalement une violence morale d’une extrême gravité, car un encadrement qui ne forme pas le présent, c’est un encadrement qui déforme l’avenir ».
    j’ajouterai : « et c’est, précisément, cette violence-là qui engendre l’autre, à savoir celle, dont vous décrivez l’horreur, de l’enfant qui lève la main sur sa mère »….

  4. Depuis 1984 l’Université algérienne est devenu une gigantesque « imprimerie’..dixit Dr TALEB IBRAHIMI au congres extraordinaire du FLN de décembre 1989 ..qui écoute qui dans ce pays ??

  5. Merci, chère Madame, pour cette dissection chirurgicale de la dramatique situation de notre Université. La violence que nous observons dans les campus universitaires et qui tend à se généraliser et à se banaliser n’est que le prolongement de la violence du régime illégitime et dont il en a fait un moyen de gestion politique.
    Cette déliquescence de l’Université a été en réalité programmée depuis fort longtemps par la voyoucratie. Ce qu’ils ont appelé pompeusement à la fin des années 70, la « démocratisation de l’enseignement » n’était en réalité qu’une clochardisation déguisée et rampante de l’enseignement.
    Le parachutage de « recteurs » et de « doyens » (les guillemets ne sont pas de trop) par les srabess avec comme seuls critères de « recrutement » l’allégeance et le larbinage est un des maux de l’université. Ces mêmes fonctionnaires de service et des…. »services » s’entourent à leur tour d’une « hachiya » (حاشية) d’enseignants médiocres et larbins, entraînant ainsi une marginalisation des enseignants compétents qui refusent ce clanisme insane.N’est-il pas scandaleux que d’entendre un « recteur » menacer des enseignants en leur faisant entendre qu’il a l’appui de tel ou tel général ?!! Et un « doyen » de menacer de ramener la « sécurité présidentielle » (الامن الرئاسي) !!!
    A côté ce cela, le régime a encouragé les syndicats-maisons tant des enseignants que des étudiants, le plus souvent alliés de cette administration et loin des intérêts moraux et professionnels de ceux qu’ils sont sensés défendre.
    La prolifération de syndicats estudiantins fantoches est plus qu’inquiétant. Affiliés à des partis boulitiques nés eux-mêmes des officines des srabess et nullement représentatifs des étudiants, ils font pratiquement la loi au sein de l’université, exerçant du chantage sur l’administration qui les instrumentalise et des pressions sur les enseignants lors des examens. Ils constituent de véritables bandes de baltaguias, semant la terreur dans les campus, sous les yeux effarés des étudiants honnêtes et studieux qui ne comprennent rien à ce manège. Les incidents de Ben Aknoun, Kharouba, Dely Ibrahim, Batna et M’sila illustrent parfaitement ce banditisme universitaire.
    Une situation inextricable qui demande une mobilisation des volontés sincères, probes et compétentes, tant du côté des enseignants que des étudiants pour mettre un terme à ces dérives qui hypothèquent l’avenir de nos enfants.
    Merci encore une fois pour votre pertinente contribution qui j’espère suscitera un débat franc et serein.

  6. Merci beaucoup madame, vous avez tout dit, vous avez fait un diagnostic sans complaisance de notre université ou pour être plus précise de ce qu’elle est malheureusement devenue. Il n’y a rien à rajouter tellement c’est clair net et précis. Le constat est donc là et le jugement est sans appel. Monsieur Salah Eddine Sidhoum a pour sa part et comme à son accoutumé montré les causes profondes et réelles de cette décadence programmée et a désigné les vrais responsables qui sont derrière ce complot, car il s’agit bien d’un vrai complot contre le pays. Cela dit, vous terminez sur une note d’espoir en disant qu’il est possible de remettre l’université sur pied. La question est, dites-vous : Le veut-on ? Eh bien, je crois que nous avons touché le fond et que nous ne pouvons que remonter et je rejoins en cela monsieur Addi Houari dans sa théorie de la régression féconde. Ce n’est pas par dépit que je dis cela, je suis certaine que les choses vont bouger incessamment, tous les gens que je connais ou que je rencontre sont conscients de la gravité de la situation, il y a une fin à tout même pour la médiocrité. Les solutions normalement c’est simple, il suffit de mettre les personnes honnêtes et compétentes aux postes qu’il faut et tous les niveaux.

  7. In policier est mieux considered qu’un enseignant d’universite et avec tout le respect aux forces de l’ordre.LA mediocrite a pris le dessus .L’arme a feu est plus considered que LA plume du savoir.Le religieux clochardise a trouve in terrain propice.Le paraitre et non l’etre qui me cesse de dominer.On est contre LA communication , le dialogue et LA transparence.Un peuple sans civisme et ou le mediocre prime ,s’invite a etre domine pour me pas dire colonise.

  8. On devient grand penseur, les derniers jours de sa vie, quand on est de trop. L’homme dans sa généralité n’a jamais été sage.
    Quand on est jeune, on croie tout faire, victime de l’orgueil de la pensée.
    Quand on est vieux, on jete l’éponge, rien devant , impossible de remonter la quatrième dimension.
    Les jeunes sont à coté, les vieux sont de trop. Il faut faire appel au nouveaux nés

  9. A M. ou Mme : pensée
    18 juin 2017 at 0 h 17 min –
    bonjour cher compatriote, oui il faut faire appel aux nouveaux nés, mais lorsque ce sont des enfants légitimes et reconnaissants vis à vis de ceux-là qui les ont formés!
    Or, la plupart des « nouveaux nés », profitant cupidement et lâchement d’une administration laxiste, voire complice, avides d’enterrer vifs leurs maîtres, afin de « paraître ». Résultat des courses : ils échouent et il n’y a pas de relève.
    Cependant, pas question de baisser les bras, car rien ne sera effacé dans l’histoire, vérité universelle et indélébile.

  10. Lorsque notre société, si j’ose dire «de survivances » est devenue l’ultime refuge où nichaient toutes les formes de médiocrité dues à cette matérialisation socio-électronique qui génère une consommation abusée et saillante .Le sens éthique de la vraie culture touche à sa fin puisque nous n’arrivions même pas à distinguer entre le respect et l’audace, la valeur et l’objet.
    Le seul moyen c’était de combler les lacunes avec les lacunes car notre emboîtement social est devenu complexe est hétéroclite.
    Du populaire à la populace, « ELCHAABAOUIA » : Une mare de mascarades qui est explicitement ou implicitement entraine de remédier à cette frustration sociale pour la simple raison aussi de dévoiler sa personnalité arriviste.

  11. Merci pour ces éléments d’analyse pertinemment évoqués. Il faudrait dans cette perspective ajouter le fait que l’économie trabendiste et souterraine n’a pas besoin d’université. Par ailleurs les maîtres à bord forment leurs enfants dans de « vraies » universités, ailleurs, bien entendu. Là est la clé du problème. Ce n’est que lorsque la crise économique poussera nos maîtres à bord à se tourner vers le marché national de la main d’oeuvre qualifiée que le besoin d’une « vraie » université s’imposera à tous. Il me semble que nous n’en sommes pas très loin. Et c’est pourquoi les langues commencent à se délier. Tant mieux.
    Pour moi, il faudrait pousser tout ce beau monde qui occupe le devant de la scène universitaire (enseignants, dirigeants, syndicats), non pas à faire leur auto-critique (n’en rêvez pas), mais à se recycler ailleurs. Il nous faudra du sang neuf soutenu par les marges de l’université algérienne des années 70 et 80 (ceux encore en vie). Il faut reprendre tout cela au début du processus, pas en cours!
    Pas une mince affaire, c’est vrai. Mais commençons par un blog SOS UNIV et édifions ce qu’il est encore possible d’imaginer.
    Professeur Abed

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