TEBBOUNE CONTRE HADDAD-SIDI SAÏD : AMORCE DE CRISE POLITIQUE

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Libre Algérie

Par RAMDANE MOHAND ACHOUR
Le bras de fer opposant le Premier ministre Abdelmadjid Tebboune au tandem Ali Haddad (président du FCE)/Abdelmadjid Sidi Saïd (Secrétaire général de l’UGTA) constitue sans aucun doute le premier acte d’une crise politique qui pourrait réserver bien des surprises, au vu de l’identité et du poids des protagonistes.
Il convient bien évidemment de rester prudent et mesuré dans l’appréciation des tenants et aboutissants de cette crise et, surtout de son ampleur et ce, pour deux raisons au moins. La première découle du fait que le pouvoir, dont les origines remontent à la fondation de l’Organisation spéciale (OS) en 1947, n’est jamais totalement sorti de la clandestinité après 1962. L’opacité structurelle dans laquelle il évolue rend difficilement lisibles certaines mesures prises.
N’aimant pas que les affaires de famille soient exposées à la lumière, il pourrait à tout moment décider d’étouffer l’affaire en trouvant un compromis ouvrant une voie de sortie honorable à ceux à qui il s’attaque. Mais un compromis est-il encore possible maintenant que l’affaire est portée sur la place publique et qu’elle pourrait se terminer devant les tribunaux ?
La seconde raison renvoie au caractère non-démocratique du régime qui fait que les mêmes responsables, les mêmes partis, les mêmes organisations syndicales ouvrières ou patronales et les mêmes associations peuvent défendre tour à tour une chose et son contraire. 
Le  socialisme hier et le libéralisme aujourd’hui, l’accord d’association avec l’UE à un moment et le patriotisme économique à un autre, la loi Khelil lors d’un vote à l’APN puis sa version amendée lors d’un nouveau vote une année plus tard, le souverainisme économique un jour et le plan d’ajustement structurel (PAS) du FMI le lendemain…
Dans un régime démocratique, ces options contraires sont généralement défendues par des hommes, des partis, des associations, des syndicats distincts et opposés les uns aux autres. Lorsque tel ou tel parti ou tel ou tel élu accèdent aux affaires, on connaît le sens de la politique qu’ils vont appliquer. Certes, même dans les « pays démocratiques », on a assisté ces dernières décennies au brouillage du discours et de la ligne de certains partis, de gauche en particulier, qui ont fini par adhérer au consensus néolibéral en dénonçant la Finance lors de campagnes électorales pour mieux la servir une fois élus…
Mais ces politiques et leurs partis ont fini par être sanctionnés par les électeurs qui leur ont fait chèrement payer la trahison de leurs propres engagements et le double-jeu auxquels ils se livraient. Chez nous en revanche, la faiblesse de la clarification politique, idéologique et sociale ainsi que l’absence d’élections « propres et honnêtes » brouillent en toutes circonstances les lignes.
Mais qu’allait-il faire dans cette galère !
L’alliance de Sidi Saïd et de Haddad n’est pas née à l’occasion du récent incident survenu à l’Ecole supérieure de la sécurité sociale. Elle date, à tout le moins, de la campagne présidentielle de 2014 au cours de laquelle le secrétaire général de l’UGTA et le futur président du FCE amenèrent leurs organisations respectives à soutenir la candidature du président sortant à sa propre succession. Haddad jouera un rôle de tout premier rang pour organiser, parmi les adhérents du FCE, la levée de fonds au profit d’Abdelaziz Bouteflika.
Depuis, les deux responsables ne se sont plus quittés et ont navigué ensemble au gré des tripartites. Si le président du FCE a naturellement défendu les intérêts du patronat, le secrétaire général de l’UGTA a, pour sa part, davantage soutenu les intérêts conjoints du gouvernement et du patronat que ceux des travailleurs dont il se proclame pourtant le représentant. C’est avec une dextérité peu commune qu’il a avalé toutes les couleuvres dirigées contre les salariés : lois de Finances, lois sur les retraites…
L’alliance Sidi Saïd/Haddad s’avère ainsi vieille de plusieurs années. Mais pourquoi ces deux soutiens inconditionnels du Président Bouteflika, et une partie du patronat avec eux – les sept organisations signataires du communiqué moins deux, en attendant de nouvelles défections –, font-ils cause commune contre le tout nouveau Premier ministre désigné par le Président lui-même ?
Un Premier ministre chargé de mettre en œuvre le programme de Bouteflika que Sidi Saïd et Haddad soutiennent ? Qu’est-ce qu’un représentant des travailleurs allait faire dans la galère du patronat se demandent beaucoup d’observateurs et de citoyens ? La cause de ce combat commun contre Tebboune est à rechercher dans les attaques dont ils sont tous les deux l’objet de la part du gouvernement.
On a constaté dernièrement que Sidi Saïd a, une fois n’est pas coutume, apporté son soutien à une mobilisation syndicale. Il s’agit du rassemblement de la Fédération nationale UGTA de la Poste et des technologies de l’information et de la communication (PTIC) tenu à la Maison du peuple le 12 juillet dernier.
Un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) a mis en cause la gestion des œuvres sociales des deux entreprises du secteur par le président de cette Fédération depuis 2003. Il aurait révélé, selon une correspondance de la ministre des Télécoms, « des irrégularités et des anomalies graves, dont certaines sont passibles de qualifications pénales ». Or, Mohamed Tchoulak, est un proche du secrétaire général de l’UGTA.
Le groupe ETRHB appartenant au président du FCE a de son côté été destinataire de quatre mises en demeure publiques émanant du ministère des Travaux publics et des Transports pour un montant de 420 milliards de dinars (4,2 milliards de dollars). Ces mises en demeure concernent des retards dans la réalisation de projets dont une partie des budgets aurait, selon la presse, été allouée avant le début des travaux.
Dans les deux cas (UGTA et ETRHB), il est question d’accusation, sous des formes différentes, de corruption. Se considérant comme les représentants de la base sociale et politique du régime (les travailleurs et les patrons), Sidi Saïd et Haddad se croyaient intouchables. Il n’en fallait pas davantage pour que les deux responsables ripostent ensemble à Tebboune. C’est qu’ils ont gros à perdre.
De la corruption
Mais pourquoi le gouvernement s’attaque-t-il aujourd’hui publiquement à deux représentants d’importantes forces sociales qui l’ont jusqu’à présent soutenu ? La raison principale ne peut relever d’une soudaine et irrépressible volonté de combattre la corruption. On sait que les lois et, surtout leur application, font défaut pour s’attaquer sérieusement à ce fléau.
On sait surtout que la « lutte contre la corruption » représente la bannière sous laquelle les puissants du moment règlent leurs comptes politiques avec leurs adversaires. Les affaires Khalifa, Khelil et de l’autoroute Est-Ouest, pour ne citer que les plus spectaculaires, ont avorté ou n’ont pas débouché sur la condamnation de tous les corrompus et corrupteurs.
Il convient surtout de ne jamais oublier que dans l’Algérie des quatre dernières décennies, la corruption a représenté une nécessité historique impérieuse devant laquelle les lamentations morales s’avèrent impuissantes quand ce n’est pas hypocrite. La corruption, comme la colonisation avant elle, l’esclavage, le commerce inéquitable, la rapine… constituent des formes typiques de l’accumulation primitive du capital privé.
A l’encontre du mythe entretenu par ceux qui récusent le qualificatif de bourgeoisie à nos corrompus, sous prétexte que le capitalisme serait moral, compétent et se reproduirait par des moyens strictement économiques, il convient de rappeler que l’accumulation initiale représente partout et toujours une dépossession de biens qui appartenaient auparavant à la collectivité.
 Grâce au capital acquis, les corrompus et autres voleurs acquièrent par la suite – eux ou leur progéniture qui fréquente les meilleures écoles internationales – respectabilité, compétence et capacité de reproduction du capital. A l’échelle de l’histoire, cette métamorphose fait oublier le crime originel. Qui s’intéresse encore aux origines coloniales des grandes fortunes françaises dont les représentants aujourd’hui sont béatement affublés du titre pompeux de « capitaines d’industrie » ?
Or nous avons la chance et la malchance d’observer directement, comme dans un laboratoire de sciences expérimentales, les deux phases de l’émergence de cette bourgeoisie algérienne privée. Sa phase primitive délinquante et le début de sa transformation en classe respectable. On ne peut arbitrairement opposer ces deux phases car les deux aspects délinquance/respectabilité sont par définition consubstantiels.
On peut même aller plus loin en relevant le fait que la phase de respectabilité ne signifie pas toujours ni forcément la fin de l’aspect délinquance. Il n’y a qu’à regarder les affaires de corruption qui éclatent chaque jour sur les Vieux et Nouveau continents et même au respectable Pays du soleil levant, sans rien dire du modèle saoudien…
La conclusion à tirer est que le pouvoir, qui mène une politique libérale depuis quarante années, ne peut en aucun cas combattre sérieusement la corruption. Le faire reviendrait tout simplement à renoncer à cette longue transition à l’économie de marché…
La méthode Béji Caïd Essebsi ?
Si la volonté de mettre fin à la corruption ne constitue pas le mobile réel de la bataille déclenchée contre le tandem Sidi Saïd/Ali Haddad, à quoi cette dernière obéit-elle ? Il pourrait être intéressant de se tourner vers la Tunisie pour formuler une hypothèse. On se souvient qu’après avoir annoncé leur intention d’amnistier les corrompus de l’ère Ben Ali, le Président tunisien et son Premier ministre Youssef Chahed furent contraints de reculer devant l’indignation et la mobilisation générales qu’une telle décision avait suscitées dans le pays.
Changeant totalement leur fusil d’épaule dans le but de regagner une confiance populaire bien érodée au moment où ils s’apprêtaient à imposer aux classes populaires et moyennes de nouvelles mesures d’austérité fortement recommandées par le FMI, Essebsi et Chahed choisirent de jeter en pâture à l’opinion publique quelques personnalités accusées de corruption.
Un coup à droite et deux à gauche. Le gouvernement fait mine de combattre la corruption – un fléau organiquement lié au néolibéralisme, pour ne pas dire au capitalisme – pour mieux faire admettre le douloureux choix d’un nouvel endettement et de nouvelles attaques contre les acquis sociaux des catégories les plus fragiles qui souffrent déjà fortement de la crise : chômage, misère…
Il est donc possible que la méthode Béji Caïd Essebsi ait inspiré notre Exécutif. A moins qu’il ne s’agisse du FMI… Tout indique en effet que le gouvernement entend s’attaquer aux transferts sociaux, à la gratuité des soins de santé et, un peu plus tard, au Code du travail… De même que de nouvelles hausses des prix de l’énergie et d’autres produits de base sont prévues dans la loi de Finances 2018. Il cherche, dans cette perspective, à construire un pseudo consensus avec l’opposition afin de faire avaler la pilule aux classes populaires.
Dans le but d’y arriver, il pourrait avoir décidé de sacrifier Ali Haddad et Abdelmadjid Sidi Saïd ainsi que les amis de l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal et de son ministre de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb qui avaient bénéficié indûment d’affectation de réserves agricoles, de foncier industriel ou du titre de constructeurs automobiles ?
Tebboune et son gouvernement pourraient également avoir décidé, dans ce cadre, de redonner quelques couleurs au secteur industriel public (El Hadjar, SNVI…) et de réduire les importations qui ont grevé le budget de l’Etat du temps de la corne d’abondance. Il s’agit bien évidemment d’hypothèses et non de certitudes. L’été qui s’annonce chaud pourrait bien apporter des réponses à ces interrogations.

1 COMMENTAIRE

  1. une bonne analyse sauf que je crois qu’il ya un positionnement par rapport aux élections à venir et notamment en 2019; c’est une guerre de succession et aussi primitif que cela peut paraître, les représentants de 2 régions s’affrontent pour la tête de l’Etat, autre chose, on enlève les concessions agricoles à certains pour les donner à d’autres chacun privilégiant ses courtisans et pour se donner une nouvelle virginité, on sacrifie les têtes impopulaires, n’oubliez pas que le parlement est illégitime faute d’électeurs, l’abstention fait peur et quoi de plus efficace que de faire croire qu’on va zigouiller les corrompus, ceux qui sont les plus visibles comme haddad pour entuber le peuple qui apparemment fait le mouton en ce moment en pensant bêtement que tebboune est zorro, son sauveur!

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