Phénomène coranique et fait religieux

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Il est de bon ton depuis de nombreuses années de parler de fait religieux plutôt que de religion. Cette tendance a surtout vu le jour en France pour des raisons historiques liées d’abord à la Révolution française qui fut non seulement antimonarchique mais aussi violemment antichrétienne. Ce mouvement s’est poursuivi avec la féroce lutte entre cléricaux et anticléricaux à partir de la Troisième République pour aboutir au compromis de la loi de 1905 sur la séparation de l’Etat et des Eglises.
Sur le plan intellectuel ce compromis a eu pour base la philosophie positiviste d’Auguste Comte (1798-1857) et la sociologie d’Emile Durkheim (1858-1917) pour qui le fait religieux est un phénomène se situant à l’intérieur d’une société et non en dehors.
Nous verrons plus loin comment Bennabi situera le phénomène coranique devant cette approche du fait religieux défini par le sociologue français.
Comment alors appréhender une religion dans une société qui en a largement perdu les repères ? Comment surtout expliquer l’histoire de cette société qui baignait pour le meilleur comme pour le pire dans cette religion ?
Dans la loi de 1905, faussement appelée loi sur la laïcité, le maître mot en est neutralité. Même si cette neutralité affichée est très hypocrite, les tenants du fait religieux se sentent obligés de faire avec elle. Le fait religieux devient ainsi un regard extérieur qui se veut neutre sur la religion, sa pratique, ses textes ou les croyances qu’elle induit.
Cependant dans la pratique, nous voyons une dévalorisation du regard intérieur, celui qui vient de la religion. Ce regard intérieur est déclaré ipso facto, par un oukase intellectuel, non scientifique, dogmatique dans son essence voir mythologique pour certains. On ne s’embarrasse plus de démonstrations intellectuelles et on se contente de le déclamer. Nous sommes ainsi loin des critères scientifiques et universitaires mais en plein dans « les bavardages et les bricolages idéologiques», où le terme idéologie a ici une acception de préjugés, de présupposés.
En outre par le passe-passe du faux concept de sécularisation, la déchristianisation des sociétés occidentales prend valeur de paradigme et est étendue aux autres « religions » encore vivaces dans le monde actuellement.
Les intellectuels de ces sociétés occidentales donnent encore le tempo des réflexions intellectuelles, pour ne pas dire du prêt-à-penser, aux autres sociétés. C’est ainsi que de nombreux intellectuels et intellectomanes maghrébins, tant arabisants que francisants, tant au Maghreb qu’en France, tètent encore la mamelle française y compris et surtout dans les « affaires musulmanes ».
C’est dans cette situation que le Phénomène coranique de Bennabi garde toute sa fraîcheur, toute son actualité soixante dix ans après sa publication en mars 1947. Il ouvre des perspectives immenses à la compréhension de l’islam et à son rôle incontournable dans la crise  du monde moderne qui n’en finit pas de se compliquer. Cet approfondissement de la crise morale est l’œuvre du Système formé par la haute finance, les multinationales, les médias et les classes politique des pays occidentaux, ayant achevé depuis trois ou quatre décennies leur intégration idéologique par un enchevêtrement poussé de leurs relations respectives. Idéologie a ici une acception de vision commune et monolithique du monde. Dans le cas présent, elle est à l’origine de l’état délétère du monde par une volonté de puissance débridée prônant antagonisme et violence sans retenue.
Le mot phénomène a généralement deux définitions opposées. La première, la plus courante, est qu’il est un fait observé, répétitif et susceptible d’étude scientifique. La seconde est qu’il est « une personne ou une chose qui se fait remarquer par son caractère extraordinaire, singulier, exceptionnel».
Cela ne veut pas dire que le phénomène qui obéit à la seconde définition n’est pas objet d’étude scientifique mais qu’elle est différente de celle qui ressort de la première définition. Celui-ci permet de comprendre les phénomènes identiques qui peuvent survenir alors que celui-là, étant unique, son étude ne peut-être qu’intrinsèque.
Ce n’est pas fortuitement que Bennabi à choisi pour son enquête sur le Coran le titre le Phénomène coranique. Il va en démontrer l’exceptionnalité en recourant aux sciences humaines et surtout à la psychologie.
Il faut aussi souligner que cette singularité a bénéficié de deux conditions objectives : l’instauration fulgurante d’une Etat universel et une langue arabe dont la richesse potentielle n’attendait que le moment de passer d’une haute tenue poétique à la lingua franca universelle pour décrire tous les domaines de la vie sociale. Ces deux conditions qu’il est le seul à en avoir joui ont permis à l’Islam d’inaugurer le monde moderne dont la caractéristique principale est une vision globale, totale mais non totalitaire puisque les espaces de liberté étaient protégés, dans la construction de la société et de son Etat.
Pourquoi la Révélation s’est faite en langue arabe ? Et où le Coran parle de langue arabe claire mais dans la structure permet des compréhensions en fonction du degré de savoir de ses lecteurs. Dans la langue arabe, le verbe dont le mot arabe est le substantif exprime la concision et le défaut d’ambigüité et Ibn Khaldoun est loin d’être le seul à le souligner.
Voyons ce que nous dit Bennabi sur la vocation de la langue arabe :
« Chaque nation est douée d’une vocation vers laquelle ses talents et énergies sont dirigés en fonction de son génie et de son tempérament. Les Pharaons d’Egypte, par exemple étaient inclinés pour l’architecture et la mathématique (…) D’autre part, le peuple grec était voué à la beauté qu’il s’efforçait de représenter, comme l’avait fait Phidias dans sa sculpture créatrice. De même, les Grecs étaient voués à la logique et à la philosophie, comme l’était Socrate. En ce qui concerne les Arabes de l’ère djâhilienne, leur vocation était pour leur langue. Contrairement aux autres peuples, ils ne se contentèrent pas de l’utiliser simplement pour satisfaire leur besoin ordinaire de communication. En fait l’Arabe était tellement aimant de sa langue qu’il s’appliquait de toute sa créativité pour façonner des mots de cette langue des portraits pittoresques non moins merveilleux que la sculpture de Phidias ou les tableaux de Léonard de Vinci qui décorent les musées du monde. »
          C’est grâce à  l’intimité entretenue avec leur langue que les Arabes de l’ère djâhilienne ont pu mesurer l’inimitabilité, l’incomparabilité littéraire et stylistique du Coran qui fut un des critères de l’origine divine du Coran. Cette notion est rendue en arabe par le mot i’jaz qui dans son acception première indique l’impossibilité d’une action, mettre son auteur en état d’impuissance, et dans ce cas précis l’impossibilité à tout humain de produire ne fut-ce qu’un seul verset comparable à celui du Coran.
          Ainsi motivée par une conviction sans faille, les Arabes devenus alors musulmans, formèrent le fer de lance dont avait besoin à ses débuts, l’Islam pour construire les bases de la brillante civilisation arabo-islamique.
          Cependant Bennabi note aussi que les Arabes actuels ont perdu cette intimité avec leur langue. Prenant acte de ce constat, il établit un portait psychologique précis du Prophète, le Moi mohammedien  où il démontre l’impossibilité que le rédacteur du Coran soit le Prophète.
Si cette démonstration forme la trame de son ouvrage, d’autres perspectives nous sont offertes par l’auteur.
Le Professeur Mohamed El-Tahir El-Mesawi de l’Université islamique internationale de Kuala Lumpur pose le cadre de l’ouvrage de Bennabi dans sa remarquable contextualisation : « Ce qui préoccupe le plus Bennabi, c’est la conception de la raison et de la science en tant que compléments antithétiques à la religion et à la Révélation. Son argument dans le Phénomène coranique ainsi que dans d’autres ouvrages est sans doute guidé par une forte conscience de ce qui peut-être appelé la négation de soi de la modernité, qui englobait presque tous ces principaux « ismes » comme le rationalisme, l’humanisme et le scientisme. »
En effet Bennabi explicite schématiquement l’existence de « deux systèmes philosophique : celui qui regarde le sens religieux de l’homme comme une donnée originelle de sa nature –donnée reconnue comme un facteur essentiel de toute civilisation- et celui qui regarde la religion comme un simple accident historique de la culture humaine. »
L’œuvre psychologique de Carl Gustav Jung (1875-1961) peut-être considérée comme une des bases donnant raison au premier système alors que le second ne reste qu’une hypothèse purement spéculative.
Une des questions importantes abordées par Bennabi est le lien entretenu entre le Coran et la science ou plutôt les questions scientifiques. Si Maurice Bucaille (1920-1998) a montré que la véritable approche est de montrer la non incompatibilité des versets coraniques et des faits scientifiques, Bennabi réserve sa réflexion sur ce que peut rapporter la méditation du Coran à la compréhension du monde.
« Mais si le Coran ne doit pas être regardé comme un manuel de science, on peut cependant y remarquer des versets qui ont le double intérêt de toucher à un fait scientifique et d’apporter par cela même plus de clarté sur le rapport Moi mohammedien/phénomène coranique. »
Bennabi mêle dans une même réflexion le fait scientifique et l’explication psychologique, en un mot il nous invite à méditer en quoi le Coran peut nous faire comprendre le monde. D’ailleurs celui-ci, dans de multiples versets, souligne que c’est par la connaissance du monde physique, de la société et de l’introspection du Moi que nous pouvons découvrir les secrets et les lois régissant le monde d’ici-bas.
Prenons l’exemple du verset coranique, ou plutôt d’une de ses parties, que Bennabi a mis en exergue de son chapitre le phénomène cyclique de son ouvrage Vocation de l’islam :
« …et tels sont les jours : Nous les donnons aux hommes tour à tour… » (III, 140)
Que de personnes et parmi les plus savants exégètes et ceux qui ont médité le Coran ont lu cette partie du verset sans que ne leur vienne, à l’instar de Bennabi, l’idée de la relier au phénomène de la civilisation et en particulier du passage du flambeau civilisationnel d’un peuple ou d’un groupe de peuples à un autre.
Il existe une sorte de dialectique entre le savoir d’un homme  et le contenu du Coran. Seul un homme de grand savoir peut recevoir la sagesse coranique et par-là même mieux approfondir son savoir et en retour approcher un peu plus les secrets du Coran.
C’est en étudiant le monde que nous comprenons mieux le Coran qui, en retour, nous permet de mieux en saisir les lois, les sunnans Allah.
Revenons, maintenant, à la notion du fait religieux tel que défini par Emile Durkheim. Dans son étude sur le Coran, Bennabi va s’inscrire en faux, tout en moins en ce qui concerne l’islam, contre cette définition. Au surplus, il ne suffit que d’un seul exemple montrant qu’une des assertions du Coran ne se situe pas à l’intérieur de la société arabe de l’ère djâhilienne mais en dehors. Bennabi citera des informations historiques, des considérations métaphysiques ou de simples phénomènes naturels qui ne peuvent appartenir au savoir de cette société.
Très tôt, à l’âge de 27 ans, Bennabi interrogeait un conférencier sur l’islam : « …ne croyez-vous pas que la décadence musulmane soit due, entre autres causes probablement, à une exégèse coranique bourrée de mythologie grecque et de sophistique israélite ? »
Le pli de sa pensée était déjà formé très tôt comme le prouve cette interrogation et malgré la pointe de regret exprimé à la fin de son livre :
« …nous livrons notre exécution comme une simple indication pour des travaux à venir et en vue desquels il faudra faire appel à des moyens techniques et à des documents que nous n’avons pu, hélas, rassembler pour cette étude. C’est une tâche que nous ne pouvions entreprendre malgré notre plus vif désir. »
Je pense que Dieu a réservé à Bennabi une mission, ô combien plus importante au vu de la crise du monde moderne, rendre à l’Islam toute son efficacité après en avoir prouvé, urbi et orbi, l’authenticité de sa base scripturale. Il n’est pas fortuit que le phénomène coranique soit son premier ouvrage.
 
 
Abderrahman Benamara
Alger, le 30 juillet 2017
 
 
 
 
 
 

3 Commentaires

  1. Monsieur Abderrahman Benamara, je partage quelques points de votre contribution, cependant je crois que vous avez commis un grand blasphème, vous qui m’avez tout l’air d’être un adpete ou un militant des Frères Musulmans(c’est votre droit le plus absolu) en écrivant :  » je pense que Dieu a réservé à Bennabi une mission, ô combien plus importante au vu de la crise du monde moderne, rendre à l’Islam toute son efficacité ». Ya sahbi, les seuls hommes à qui Dieu à confier des « missions » ce sont les prophètes, et dans notre religion c’est Mohamed (QLSSL). Ok, vous êtes subjugué par Bennabi, comme d’autres le sont pour d’autres intellectuels et c’est légitime, mais on n’a pas idée, chez un intellectuel musulman comme vous, de faire une une bévue, une impiété de ce genre !
    Mes respects d’internaute !

  2. Ces frères croient que nous sommes toujours au temps de la jahilia, même si je ne crois pas à toutes les ignominies qu’ils imputent à cette période préislamique tel que le fait que ces gens enterraient leurs filles vivantes, en vérité ce n’est que des mensonges destinés à discréditer ces pauvres gens qui par ailleurs ont enfantés les meilleurs poètes et écrivains arabes.
    Hélas, il y a encore beaucoup de charlatans à travers le monde arabe qui tentent de nous vendre l’idée selon laquelle le Coran est complet, il contient toutes les réponses à toutes les questions, que celles-ci relèvent du domaine spirituel ou du domaine scientifique, ils ajoutent sans réfléchir qu’il est valable en tout temps et en tous lieux. Durant plusieurs années des pseudos savants de l’Islam tels que Ezendani et consort n’ont pas hésité à nous dire toute honte bue que les découvertes scientifiques faites par d’éminents chercheurs au prix de longues années d’études et expérimentations, existent déjà dans le Coran et ce depuis 14 siècles. Il y a maintenant un certain Zaghloul El NEJJAR qui s’est spécialisé dans « les miracles scientifique du Coran », il attend que les kouffars fassent des découvertes pour leur dire que celles-ci existent déjà dans le Coran. Ce filou, ses semblables et ceux qui l’écoutent tombent sans le savoir dans une grave erreur, ils semblent ignorer que les vérités scientifiques d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui et que celles d’aujourd’hui, elles vont certainement devenir obsolètes demain. N’avons-nous pas été subjugués par les travaux du très grand physicien Newton avant qu’Einstein ne vienne remettre en cause des énoncés reconnus comme une vérité scientifique. Combien de théories dites scientifiques ont été « balayées » par de nouvelles aussi scientifiques que les précédentes. C’est un peu comme les records dans les compétitions sportives ; ils sont faits pour être battus. Ce qui est très grave selon moi c’est que lorsque qu’une théorie scientifique devient caduque on dira que son auteur s’est trompé et on passe à autres chose, mais lorsque selon Zaghloul El NEJJAR c’est Dieu qui l’a énoncée dans le coran, dira-t-on que Dieu s’est trompé ?
    P.S. : Ce monsieur a prescrit l’urine du chameau comme traitement de plusieurs maladies c’est vous dire

  3. Essalam allik’m : voila ce qui est dit une fois par notre Cheikh Bouzouzou dans une Khotbate el Joumouâ rahimahou allah et je l’ai bien retenu dans la tête car j’étais par les fidèles présent! il a dit ceci : si les musulmans ont continuer leurs avancés comme ce fut le cas il y a 10 siècle notre Monde Aujourd’hui sera meilleur beaucoup plus avancé….le monde musulman dispose et disposait des grand savants juste un rappel des physiciens et scientifique comme ibn el haithem et ibn sinna travaillaient 19h sur les 24h des gens qui n’avaient pas de temps de faire de la politique, bonne soirée.

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