Ferhat Abbas, un homme, un visionnaire

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El Watan le 28.08.17 

 

 Par Bouhali Mohamed Cherif

Journaliste

Ferhat Abbas, de son vrai nom Ferhat Abbas El Meki, est né le 24 août 1899 au douar Hadjar El Misse, au douar de Bouaâfroune, relevant de la commune de Oudjana, dans la wilaya de Jijel. Ferhat Abbas évoqua son enfance dans cette région montagneuse située au fin fond des monts de Béni Affer.
Là-bas, dans un douar lointain, dans une chaumière de bois, près d’un kanoun enfumé, sommeille ma grande-mère, son chapelet à la main. Cent ans de souvenirs, de labeur et de misère pèsent sur ce corps usé, ratatiné et flétri. Des marmots barbouillés de terre l’accablent de leur tendresse ; plus loin dans d’autres chaumières, les hommes rentrent pieds nus, pouilleux et misérables. Un lien irréductible m’unissait à ces êtres simples qui m’aiment et que j’aime : leur sang est mon sang. Ce tableau reflète réellement la triste réalité du vécu quotidien de larges pans de la population locale.
Cependant, le fils d’un caïd, dont l’ascension sociale se produit dans le sillage colonial, vit-il ainsi ? Contrairement à la majorité des Algériens, notamment ceux des régions rurales, qui affichaient une certaine réticence vis-à-vis de la scolarité de leur progéniture dans les écoles françaises, Saïd Ben Ahmed Abbas estimait que les études sont le moyen le plus sûr pour que la famille se protège et tienne un rang social. Il disait à ses fils : «Le seul héritage que je veux vous léguer et que personne ne pourra vous enlever, c’est l’instruction.» Le meilleur ami de l’homme est le livre. Pour preuve, tous les fils de Saïd Ben Ahmed Abbas ont réussi leur parcours scolaire : Ammar a remplacé son père comme caïd dans le aârch de Beni Affer, Ahmed fut administrateur communal, Hamid était un étudiant en droit à Paris, Mohamed Salah a fait des études en agronomie et s’établit à Taher.
Ferhat Abbas n’a pas tari d’éloges à l’égard des études qui lui ont permis d’avoir une certaine clairvoyance : «Nos livres représentent la France comme le symbole de la liberté. A l’école, on oubliait les blessures de la rue et la misère des douars pour chevaucher avec les révolutionnaires français… les grandes routes de l’histoire. Cependant, loin de cette image idyllique de la révolution française, symbole du triomphe de la liberté et du progrès, le quotidien des Algériens était des plus difficiles sous le régime colonial.» Son passage dans la ville de Constantine lui a laissé des traces. Animé d’une grande curiosité intellectuelle pour l’Orient et l’Occident, il lisait le géographe Felix Gautier, Anatole France, Balzac, Chateaubriand et tous les classiques français. En dépit de son appartenance sociale aisée, il demeure sensible à l’injustice. Il a écrit au milieu des années 1940 : «L’un des souvenirs de mon enfance a été la rentrée de la collecte des impôts.
A l’époque où j’allais à l’école coranique, sans chaussures, une chemise et une gandoura sur le dos, semblable à tous les enfants du douar, l’une de mes grandes joies était de voir venir tous les ans, à la mi-septembre, le khasnadji escorté des cavaliers de la commune mixte pour ramasser les impôts… Ils demeuraient chez nous une dizaine de jours, et c’était une distinction de voir ces Français et tout ce monde, mais il y avait aussi un autre spectacle, de douleur celui-là, sur lequel mes yeux d’enfant se sont ouverts : les pauvres paysans qui ne pouvaient pas s’acquitter de leur contribution étaient quelquefois exposés au soleil, la tête nue et les bras derrière le dos… Il m’est arrivé de voler de l’argent à ma mère pour libérer ces prisonniers qui ne manquaient parfois que de deux ou trois francs. Cela m’attristait et me rendait malheureux.» Reçu au bac, il accomplit son service militaire sous le drapeau français de 1921 à 1923. Il est employé en tant que secrétaire de gestionnaire de l’hôpital de Constantine, puis de Jijel.
Il poursuivit ensuite des études en pharmacie, à l’université d’Alger. En marge de son cursus universitaire, il fréquenta les milieux intellectuels français. Il suivit les cours de Felix Gautier à la faculté des lettres. A 20 ans, le fils du aârch de Beni Amrane deviendra le représentant du courant assimilationniste, dont la principale revendication est l’égalité entre les Français et les indigènes. Le prestige qu’il acquit lui permit de contribuer dans plusieurs journaux et revues sous le pseudonyme de Kamel Abencerge, du nom de Kemal Atatürk.Apré sa démobilisation du service militaire, il s’est installé à Sétif où il a ouvert une officine de pharmacie qui devient un forum des idées politique toutes tendances confondues.
Quelques années plus tard, il fonda un journal, L’entente, dans lequel il publia le controversé article «La France c’est moi» en disant : «Je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas… J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les cimetières, personne ne m’en a parlé. On ne bâtit pas sur du vent, nous avons une fois pour toutes écarté les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir avec celui de l’œuvre de ce pays… Personne d’ailleurs ne croit à notre émancipation politique. Dans l’émancipation des indigènes, il n’y a pas d’Algérie française durable.» Un article violemment critiqué par ses adversaires politiques qui omettent délibérément de citer la dernière phrase. Lors du débarquement des alliés en Algérie en 1942, Ferhat Abbas a pris langue avec Robert Murphy, le représentant du président américain Roosevelt, pour exposer la question coloniale. Quelques années plus tard, soit le 10 février 1943, il rédigea, en compagnie de Me Boumendjel, le fameux Manifeste du peuple algérien qui, de par la tonalité de son discours, constitue, de l’avis de nombreux observateurs de l’époque, un tournant politique décisif dans les positions politiques du fils de Beni Amrane.
Il convient de signaler que ce manifeste osé lui a coûté une résidence surveillée dans le Sud algérien. Lors des événements du 8 Mai 1945, il a été encore une fois arrêté par l’administration coloniale qui l’accuse d’être l’un des instigateurs de ce mouvement d’insurrection. Fidèle à ses principes de légaliste, il a été élu député du département de Sétif. Il a fait son entrée à l’Assemblée nationale pour mener un combat pacifique contre le système colonial d’essence négationniste. Il a magistralement réussi à poser avec courage et lucidité la problématique de l’émancipation d’une République algérienne : «Il y a cent seize ans, messieurs, que nous attendons cette heure… Nous autres, primitifs, avons eu la patience de vous écouter, n’auriez-vous pas la générosité de nous entendre ?» Malheureusement, ce combat pacifique légaliste n’a pas tenu la route face à un système colonial systématiquement négationniste basé sur l’exclusion de l’autre et qui a du mal à admettre une éventuelle réforme. Après le refus à deux reprises de son projet sur le statut de l’Algérie, il démissionne de l’Assemblée nationale en 1947, se démarquant ainsi de la voie légaliste qui a montré ses limites face à la surdité du régime colonial. Il durcit alors ses positions, l’hebdomadaire L’Egalité devient, en février 1948, Egalité, République algérienne, puis République algérienne.
Il rejoint secrètement le FLN en mai 1955, après des rencontres avec Abane Ramdane et Amar Ouamrane chez lui à Sétif, puis annonce publiquement son ralliement au FLN lors d’une conférence de presse tenue dans la capitale égyptienne le 25 avril 1956. Dès le 20 août 1956, à l’issue du Congrès de la Soummam, M. Abbas devient membre titulaire du Conseil national de la Révolution algérienne, puis entre en CCE en 1957. Ferhat devient premier président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) lors de sa création le 19 septembre 1958. Certains historiens estiment que cette prévisible désignation vu son poids politique et son charisme se voulait un signe en direction de la France en vue d’éventuelles négociations. Lors de la crise de 1962 et la rivalité fratricide opposant le GPRA à l’état-major, et contre toute attente, l’auteur de La nuit coloniale rejoint le groupe de Tlemcen sous la coupe de Ben Bella, et dans une déclaration au journal Le Monde, il justifie son surprenant ralliement à la logique des putschistes : «La destitution de l’état-major est inopportune. Elle a rendu public un conflit interne au moment où nous avons besoin de clarifier toutes les situations pour rentrer unis au pays. La presse colonialiste et rétrograde parle d’une menace de putsch militaire. Cette interprétation est trop facile pour être exacte. Nous n’avons pas de militaires mais seulement des militants en uniforme qui demain formeront les meilleurs cadres politiques du FLN et les meilleurs artisans de la construction et le plus fort instrument de notre réunion.»
C’est pour camoufler les difficultés internes qu’une partie du GPRA a pris cette décision : «Pourquoi Ferhat Abbas, le légaliste, a pris le camp des putschistes qui ont installé la dictature en Algérie ? A-t-il réglé ses comptes avec ses rivaux au sein du GPRA, notamment Benkheda, qui l’avait ‘‘écarté’’ de la tête du Gouvernement provisoire ?» La question demeure posée concernant les mobiles de ce ralliement controversé, surtout qu’il est l’œuvre d’une figure emblématique de sa trempe. Il fut le premier président de l’Assemblée nationale de l’Algérie indépendante. Il quitte ses fonctions le 15 septembre 1963, suite à son profond désaccord avec la politique volontariste prônée par le président Ahmed Ben Bella. Il a dénoncé son «aventurisme et son gauchisme effrénés» qui l’excluront du FLN et le feront emprisonner à Adrar dans le Sahara la même année.
Le fils de Beni Amrane fut libéré en mai 1965, à la veille du 19 Juin 1965 par Houari Boumediène. Retiré de la vie politique, mais en fervent démocrate engagé contre le despotisme et l’autoritarisme d’alors, Ferhat Abbas rédige avec Benyoucef Benkheda, Hocine Lahouel, Mohamed Kheireddine, en mars 1976, un appel au peuple réclamant des mesures urgentes de démocratisation et dénonçant «le pouvoir personnel» et la Charte nationale élaborée par Boumediène. Il fut encore une fois assigné à résidence surveillée jusqu’au 13 juin 1978.
Il a été libéré sous le pouvoir de Chadli au début des année 80’. Il est décoré au nom du président Chadli Benjedid de la Médaille du résistant le 30 octobre 1984. Ferhat Abbas est mort à Alger le 24 décembre 1985. Il est enterré au Carré des martyrs du cimetière El Alia d’Alger.

De son vivant, à côté des ouvrages, le pharmacien de Sétif a rédigé une série d’articles qui ont été publiés par son fils Halim en 2010 dans un ouvrage sous le titre Demain se lèvera le jour, qui se veut une feuille de route pour un pays qui a raté beaucoup d’occasions.
B. M. C.
La liste des ouvrages de Ferhat Abbas :
• Le jeune Algérien, Paris la Jeune Parque 1931 (réédition Garnier 1981).
• La nuit coloniale
• Autopsie d’une guerre. Garnier Paris 1984.
• L’indépendance confisquée. Flammarion Paris 1984.
• Demain se lèvera le jour. Alger livres éditions, Alger 2010

12 Commentaires

  1. L’Homme noble et brave, qui nous a donné tant d’ espoirs, que les politiques nous ont fait perdre comme ils ont fait perdre tout espoir à ce peuple Algérien qui avait connu tant de souffrances durant le colonialisme et qui combattait pour la Démocratie …

  2. les mythes de l’algérie française et de l’algérie algérienne commencent à disparatraire, mais au profit de qui? L’UMA n’a jamais vraiment vu le jour alors que la seule tendance « viable » est l’espace géographique (UE, Contadora…)avec la libre circulation des personnes, des objets (commerce et économie) et des idées. Soit nous négocions notre appartenance à de grands ensembles en attendant la « mondialisation » qui n’est pas pour demain (capitalisme?Communisme?ou voies hybrides: Tiers-mondisme? ou la théorie de la convergence (qui avance que les 02 systèmes vont converger et c’est ce qui semble se décider avec la « mondialisation »: un « capitalisme » qui reconnait qu’il faut plus de « social » à côté du tout « économique » et un « communisme » qui reconnait que l' »état social » n’est pas viable s’il n’est pas accompagné d’une « réalité économique » . Sinon, nous n’aurons pas d’autres options que d’adhérer à des ensembles élaborés en dehors de nous et auxquels nous seront forcés de joindre contraints et forcés (comme le disait Mitterand lors du référendum su l’adhésion ou non de la France au traité de Maastricht).
    Tonton Amar

  3. Pour que l’Algérie
    ——————
    Pour que l’Algérie, dans un Maghreb renaissant, se développe comme une partie radieuse où tous les Algériens, sans distinction d’opinion, seront heureux de vivre.
    Pour que la famille demeure la cellule sociale, source d’énergie, d’esprit et de solidarité nationale.
    Pour que l’Islam, foi de nos pères et de nos chouhada, reste la pierre angulaire sur laquelle s’édifieront le renouveau et la grandeur de notre pays.
    Pour que nous soyons fiers de notre race et de notre civilisation, sans tomber dans le racisme et sans mépriser aucune autre civilisation.
    Pour que la Maghreb devienne une grande communauté unie par le sang et par la foi de nos ancêtres et s’impose comme telle, au monde extérieur.
    Pour que la culture et la science assurent une promotion sans pour autant couper les racines qui nous rattachent au peuple rural et à notre milieu social.
    Pour que nous nous nourrissons d’humanisme, de poésie, d’amour et d’art.
    Pour que nous soyons des hommes responsables et libres, respectueux des droits et des libertés d’autrui.
    Ferhat Abbas dans ‘L’indépendance confisquée’

  4. Maintenant tout est clair car le temps les a tous dévoilé même FERHAT ABBAS n’a pas échappé à ce Grand juge qu’est le « TEMPS ». Certes c’est un intellectuel puisqu’il a eut la chance d’aller à l’école par rapport aux autres indigènes de son espèce. Certes, il a milité et a défendu son idée. Certes, il a présidé le GPRA et a mené d’une main de maître sa mission… Mais là où le bas blesse comment a-t-il osé écrire « L’indépendance confisquée » malgré qu’il était l’un des artisans de cette indépendance confisquée??? S’il était réellement Visionnaire il n’aurait pas du continuer avec ceux qui ont détourné la Chose donc pour moi il est comme ses compères et comme il n’a pas pu y arriver il a vendu la mèche. Gloire & Honneur à celles et ceux qui sont morts pour ce pays. Honneur aussi à celles et ceux qui n’ont pas renié le serment du 1 Novembre 1954 et n’ont pas changé de veste.
    Cordialement
    Ps : On ne peut pas travestir L’Histoire!

  5. Je m’explique : le jour où les décideurs d’alors (1962) ont confisqué l’indépendance, Feu Ferhat Abbas était avec eux et faisait parti du groupe. Mais le jour où il a été éjecté de ce même cercle, il s’était rendu compte que « Notre indépendance nous a été confisquée! » Là je pense qu’il nous prend pour des amnésiques ce grand visionnaire!!!???

  6. Ferhat Abbas porta le regard lucide sur un monde qui se meurt et qui est mort et d’un autre naissant ,à l’image du comte de lumpedusa dans le Guépard.Il a compris très tôt qu’une « victoire affaiblit un peuple , une défaite en réveille une autre » pour reprendre st Exupery.
    Il a écrit « l’indépendance confisquée » comme il a écrit le « Manifeste » en son époque avec l’esprit d’un visionnaire hors paire. Humble et loin des tentations du zaimisme , il fut tel que l’exprime encore une fois st Exupery « La pierre qui n’a point d’espoir d’être autre chose que pierre. Mais de collaborer, elle s’assemble et devient temple ». Une pierre précieuse parmi les pierres. Son apport à la révolution,la proximité d’avec son peuple,son attachement indéfectible à la démocratie et à la liberté commande que ses actions et combats en 36, en 45, en 54 et en 63 relève du domaine de la politique du possible et de convictions sincères.Que ces valeurs soient enseignés pour que le temple soit rebattit de nouveau loin de l’autel de la bêtise et la haine.Voici le l’enseignement de l’histoire tout le reste n’est que vaine agitation.

  7. ya harkatus comme ton surnom l’indique t’es à coté de la plaque , de l’histoire et de son sens.ce brave d’entre les braves , ce juste d’entre les justes.Monsieur Abbas comme l’appelle avec révérence ses adversaires, j’ai compris qu’il n’avait pas d’ennemi sauf ceux que la haine guide. ya si harkatus tu raisonne comme DAESH,Ferhat Abbas ne nous prend ni pour des amnesique, ni qu’il fut éjecté.IL A DÉMISSIONNÉ avec AL BAYANE , par ecrit adressé aux deputés , au FLN ,à Ben Bella et au monde entier , il pouvait se taire et avoir tout les privilleges mais il s’est fait emprisonner et nationaliser ses biens.en 62 le GPRA était une coquille vide tous -ait ahmed , boudiaf , krim ont rejoint leur regions et furent députés de la constituante présidée par Ferhat Abbas.l’independance est confisquée par les armes et la passivité du peuple.n’avez vous pas applaudit Ben Bella, puis Boumedienne? et n’acceptez vous pas aujourd’hui une vacance du pouvoir indigne! Alors rendons
    hommage au visionnaire et laissons les morts enterrés leur morts.

  8. Aux amnésiques et aux historiens de cafés, je vous invite à (re)découvrir toute la clairvoyance de Ferhat Abbas révélée dans sa lettre de démission :
    Alger, le 12 août 1963
    Pourquoi je ne suis pas d’accord avec le projet de Constitution établi par le Gouvernement ?
    Donner une Constitution à la République est un acte d’une extrême importance. Il requiert notre réflexion, notre sagesse. Après l’héroïque combat pour l’indépendance, c’est un autre combat qui s’impose à nous. Le peuple tout entier et, en premier lieu, ses représentants doivent faire preuve de lucidité et de courage. La loi du silence que nous nous sommes imposée durant les sept années de luttes, parce que l’adversaire était au milieu de nous, n’a plus sa raison d’être. Le silence doit être rompu.
    Avant d’engager l’avenir, celui du pays, celui de nos femmes et de nos enfants, chacun de nous doit prendre conscience de ses responsabilités pour mieux les assumer. Sinon, il renonce, par un lâche opportunisme, au devoir élémentaire de tout citoyen.

    A un mois de la fin de notre mandat, ce projet vient à peine de parvenir à l’Assemblée. Par contre, par la presse, par la radio, par les conférences, dites des cadres, par des déclarations ministérielles, on tente de l’imposer au peuple.
    Cette campagne est pour le moins singulière. Elle est d’autant plus anormale qu’elle tente de défendre un projet de Constitution qui ne règle aucun de nos grands problèmes. C’est pourquoi je me permets de m’élever ici solennellement contre de pareils procédés, de manifester mon désaccord et de donner les raisons de ce désaccord.
    Procédure et droit
    Sur le plan de la procédure et du droit, l’Assemblée nationale constituante et législative a été élue, sur proposition du F.L.N., avec mandat de doter le pays d’une Constitution démocratique et populaire, dans le délai d’un an.
    Détentrice exclusive de la souveraineté nationale, elle est donc seule habilitée à connaître des lois dont elle a, concurremment avec le gouvernement, l’initiative. Ces lois, avant d’être disposées sur son bureau sous forme de projets ou de propositions ne sont rendus publics qu’après que l’Assemblée en soit officiellement saisie. Or, le gouvernement vient de violer cette règle fondamentale. Il a soumis à de prétendus cadres d’un parti qui, en fait, n’existe pas encore, un projet de Constitution sans que l’Assemblée en ait été informé. Faire approuver par des militants qui n’ont reçu aucun de cet ordre un texte fondamental relevant des attributions essentielles des députés, c’est créer la confusion et violer la loi.
    Humilier une Assemblée souveraine, qui a toujours apporté sa collaboration loyale et son appui au gouvernement, est un geste extrêmement grave.
    Le procédé relève de la mystification, de l’action psychologique. En tout état de cause, il laisse entrevoir le rôle que l’exécutif entend réserver au législatif. Avant même que la Constitution de type présidentiel n’ait été adoptée par l’Assemblée, avant qu’elle n’ait été soumise au référendum populaire, nous assistons à une action destinée à faire pression sur les Constituants et à mettre le peuple en condition. Il en résulte que l’Assemblée nationale est déjà dépouillée d’un pouvoir qu’elle détient, pourtant, du peuple souverain et du F.L.N.

    Qui a choisi ces prétendus cadres ? Selon quels critères ce choix a été fait ? Pourquoi ces militants et pas d’autres ? Cette cooptation dont bénéficient «certains amis» est pour le moins arbitraire. Elle aboutit à la formation de la «République des Camarades», contre laquelle tout Algérien a le devoir de s’élever.
    Le F.L.N. ne doit pas être le parti d’une faction, mais celui du peuple – de tout le peuple – de la même manière qu’il l’a été durant la lutte armée.
    Sinon il devient un sujet de division et ne peut faire qu’un travail fractionnel. Certains militants ont conservé la nostalgie des anciens partis et n’ont rien oublié. On les trouve dans la plus grande partie des postes de responsabilité. Ce retour aux divisions du passé est la négation même du F.L.N.
    Le Parti devant être la «Conscience» et le «Guide» de la nation, sa formation doit être entourée de toutes les garanties. Elle doit être l’oeuvre du peuple, du peuple qui travaille, celui des champs, celui des entreprises, celui des marchands, celui des usines, celui des combattants.
    Or, selon les informations qui me parviennent, les fédérations et les daïras sont, dans la proportion de 80%, impopulaires. Notre peuple les subit. Les cadres choisis sont en majeure partie des budgétivores et des profiteurs. Ils se désintéressent complètement du sort des masses. Pour imposer silence à ces dernières, ils les traitent par le mépris et font peser sur elles la menace. Ce sont de nouveaux caïds.
    Nous ne sommes pas encore au stade d’un régime policier. Mais, si nous ne prenons pas garde, nous y arriverons à brève échéance.
    Le F.L.N. en n’étant que parti unique, s’il n’est pas une organisation démocratique, appelée à rassembler toutes les énergies créatrices dont notre peuple est riche, ou bien s’il n’est pas marxiste-léniniste authentique, s’appuyant sur une dictature prolétarienne, que pourrait-il être ? On peut le prédire. Il sera condamné, par la nature des choses, à évoluer vers des structures fascistes.
    Est-il pensable que les cadres actuels puissent contribuer au bien être de nos masses paysannes et à leur éducation socialiste ? L’affirmer serait un leurre.
    Récemment, à Sétif, un responsable fédéral, dont le traitement, me dit-on, est de l’ordre de 100.000 francs par mois, et qui, depuis, a été révoqué, s’était attribué un appartement luxueux, une ferme de 200 hectares et l’exploitation d’un café restaurant. A de rares exceptions près, c’est de cette manière que se manifeste le militantisme des pionniers du «socialisme algérien».
    Les mots sont impuissants à traduire l’amère réalité. A vouloir agir en dehors du peuple, on arrive à des résultats diamétralement opposés aux véritables objectifs socialistes et égalitaires.

    Le régime présidentiel et le pouvoir personnel
    La concentration des pouvoirs entre les mêmes mains relève d’une autre forme de délire. Le projet de Constitution fait du président de la République, en même temps que le chef de l’État, le chef du gouvernement et le chef du Parti.
    Pratiquement il n’y a plus de démocratie. L’Assemblée est sous la dépendance d’un homme qui nomme les ministres et qui, par le truchement du Parti, choisit les membres de l’Assemblée nationale, après avoir été choisi lui-même par le Parti.
    Le dialogue entre le législatif et l’exécutif, si fructueux pour le pays, devient un simple monologue. Le peuple est absent et n’est pas représenté. Ses représentants sont de simples figurants.
    «La révolution se fait par le peuple et pour le peuple. Elle n’est ni l’oeuvre d’une seule personne, ni celle d’un seul individu. Elle se fera par le peuple et pour l’intérêt de tout le peuple» (sic)
    Ce slogan officiel, affiché sur nos murs et repris par la radio, est une contrevérité. Il masque la réalité.
    Quant à notre jeunesse, elle sera condamnée à ne plus penser. Le régime fabriquera des robots, des opportunistes et des courtisans. Assurer le pain au peuple est, certes, un objectif primordial. Lui assurer cet autre pain qu’est la liberté de pensées et d’expression est également un bien précieux.
    La jeunesse algérienne en sera privée. La nature même des pouvoirs multiples exercés par un seul homme aura pour conséquence inévitable le culte de la personnalité. Et celui qui n’applaudira pas «inconditionnellement» le «Maître» sera considéré comme un mauvais citoyen.
    L’équilibre des pouvoirs n’existe pas. Aucun recours contre les abus d’autorité n’est prévu. Il y a bien une disposition du projet de la Constitution qui prévoit que l’Assemblée nationale peut voter une motion de censure et renverser le chef de l’État.
    Cette disposition est un non-sens. D’abord il n’est pas souhaitable qu’un chef d’État soit renversé. Il laisserait un vide redoutable. Ensuite et surtout, n’ayant pas été investi par l’Assemblée, cette dernière ne peut le renverser. Cette disposition est donc de pure forme. Elle est une simple clause de style.
    Nous jouons à «pile ou face» le sort du pays. Si le chef d’État est un homme sage, modeste et clairvoyant, nos libertés seront sauvegardées. S’il a l’étoffe d’un Batista, le pays vivra sous la terreur. Pourquoi donc nous placer, délibérément, dans cette dangereuse alternative ?
    Autre inconvénient d’un tel régime : aucun Algérien ne peut, à lui seul, porter, à bout de bras, l’Algérie. Le fardeau est trop lourd. Il arrivera que le chef de l’État, qui est en même temps chef de gouvernement, ne pourra tout faire. Il se déchargera fatalement sur son entourage d’une partie de ses responsabilités. Des hommes non mandatés par le peuple, souvent des étrangers au pays, deviendront ainsi ses véritables dirigeants. Ils ne manqueront pas d’expérimenter, au détriment de l’intérêt national, les théories les plus fantaisistes.
    Un tel régime finira par engendrer des activités subversives, des coups d’État et des complots. A vouloir un «régime fort» on ouvre la porte à la subversion et au désordre.
    Un seul régime : la démocratie
    La démocratie seule est salutaire. Elle ne signifie pas l’anarchie. Elle ne signifie pas un pouvoir faible. Elle signifie : le gouvernement du peuple par le peuple. Elle signifie un État hiérarchisé. Une bonne Constitution doit donner la parole au peuple. Elle doit permettre la libre discussion. Cette libre discussion, loin de nuire à la discipline nationale, permettra de révéler des cadres valables et enrichira les institutions de l’État. Un Etat «confisqué» est un État mort-né.
    Un chef du gouvernement, investi par une Assemblée nationale souveraine et responsable devant elle, est la seule formule qui corresponde à notre devise «par le peuple et pour le peuple».
    Il est indispensable que le chef du gouvernement soit contrôlé. Il est indispensable qu’il rende des comptes aux représentants de la nation. Si nous voulons éviter les aventures, il est vital et salutaire d’associer le peuple par sa majorité et par sa minorité aux affaires publiques.
    Aux anciens peuples colonisés, nous devons donner l’exemple de la maturité politique et de la cohésion. Nous devons leur donner l’image d’un peuple majeur qui gère sainement et démocratiquement ses affaires. Avec la Constitution qui est proposée c’est toujours le provisoire qui dure, et aucun problème fondamental ne reçoit de solution valable.

    Depuis l’indépendance le peuple n’a pas encore été une seule fois librement consulté. Il est temps de le faire participer à la vie publique. Il est temps qu’il retrouve son enthousiasme et sa foi. Ce peuple sait voter. Il l’a hautement prouvé. Il a surtout su résister, pendant sept ans, à l’une des plus grandes armées du monde. Il a acquis par son héroïsme le droit de choisir ses représentants et de se donner le gouvernement de son choix. Nous devons lui faire confiance. Et même s’il se trompait cette erreur serait moins grave de conséquences que le fait de le museler, et de lui imposer une camisole de force. Il a mérité mieux que cette suprême injure.
    Ferhat Abbas, Député de Sétif

  9. Mon très cher Algerianus, laissez moi vous dire à mon tour que j’avais vécu cette période où Feu Boumedienne avait vendu par « l’intermédiaire de Boutef un coup d’état aux cinq dirigeants. » dixit le commandant Rabah ZERARI dit AZZEDDINE bien sur et surtout malgré ce qui s’était passé au congrès de Tripoli en Mai 1962, Feu Ferhat Abbas avec des historiques avaient tout simplement cautionné la confiscation. Ayant été trempé jusqu’au cou, il n’avait aucun droit d’écrire ce livre ‘L’indépendance confisquée’ vu qu’il était l’un des artisans de cette confiscation.
    En ce qui concerne DAESH, c’est une création de vos amis les monarques d’al yahoud qui avec l’aide des britanniques ont squatté les lieux saints de l’Islam et qui ont donné la Palestine au baron Rothschild via le comte de balfour…
    Je ne dénigre pas Feu Ferhat Abbas au contraire c’était un érudit et une grande personnalité qui avait beaucoup fait pour son pays sauf que je ne suis pas d’accord avec lui sur son volte face politique concernant spécialement l’écriture de ‘L’indépendance confisquée’
    Cordialement

  10. Nous ne sommes ni des amnésiques ni des historiens de cafés, nous sommes très lucides car la lettre de démission a été établit à Alger le 12 août 1963 après que les jeux étaient scellés et les dés pipés. Il fallait démissionner juste après le congrès de Tripoli l’été 62!
    Cordialement

  11. En conclusion, je dirais à ce grand visionnaire que réellement notre indépendance nous a
    été confisquée en décembre 1957 au Maroc avec l’assassinat de Abane Ramdane et non en 1962 comme ça été rapporté dans son livre.
    Gloire et Honneur :
    – A celles et à ceux qui sont tombés aux champs d’honneur !
    – !إلى الذين سقطوا في ميادين الشرف
    – A celles et à ceux qui n’ont pas trahi leur serment et leurs engagements vis-à-vis des Martyres, du 01 Novembre 1954 et de la Révolution une fois l’indépendance acquise !
    [Gloire et Honneur à nos Martyrs !]
    [ !ألمجد و الخلود لشهدائنا الأبرار ]

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