Souvenirs d'intellectuels du mouvement national.

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Lettre à Mohamed Lamine Debaghine

Publié le 

par Chawki MOSTEFAÏ

l y a 62 ans que nous nous sommes connus. C’était au lendemain de la débâcle française, en ce mois de juin 1940. Mon frère, Mohamed Cherif, et toi étiez étudiants de 4e année de médecine à la Faculté d’Alger, alors que j’étais moi-même en 1re année. Il parlait souvent de toi. En termes admiratifs. « Un vrai patriote, comme on n’en voit pas souvent. » Ses éloges ne tarissaient pas.
Chawki Mostefai. Membre de l’Exécutif provisoire,
Ce profil représentait pour nous l’image exacte de celui dont nous avions besoin pour étoffer notre groupe qui venait de décider le déclenchement d’une lutte insurrectionnelle de libération nationale à partir du 1er octobre 1940. Rien de moins. En effet, avec quelques camarades du collège de Sétif, dans les années 1934 à 1938, nous formions un groupe de patriotes, on se disait nationaliste, qui suivait assidûment les péripéties politiques de l’époque. Ce groupe comprenait Allag Abderrahmane de Kherrata ; Ali Benabdelmoumène de Toudja, Béjaïa ; Derouiche Mohammed de Perigotville, Aïn El Kebira ; Ahmed Sidi Moussa de Michelet, Aïn El Hamam ; et moi-même de Bordj Bou Arréridj. Nous formions un îlot assez insolite pour la région, le Constantinois, où régnait sans partage la Fédération des élus avec, comme figures de proue, le médecin de Constantine, le docteur Benjelloul et le pharmacien de Sétif, Ferhat Abbas. Nos conversations d’élèves du collège de Sétif étaient alimentées par la lecture de deux journaux : L’Entente qui faisait dire à Allag Abderrahmane en parlant de Ferhat Abbas : « Ce zazou de la politique » qui n’a pas su trouver sa patrie dans les cimetières de ses ancêtres ; et le journal El Ouma que nous procurait un sixième condisciple, Mouloud Bouguermouh, originaire d’Akbou (ou Sidi Aïch) auprès d’un émigré membre de sa famille qui avait rejoint Sétif pour s’y installer. C’est dans El Ouma que nous trouvions les accents qui enchantaient notre sensibilité et notre imaginaire. Combien était plus réaliste à nos yeux la revendication de l’indépendance comparée à la fumeuse politique d’assimilation d’un peuple arabe et musulman à une communauté étrangère et catholique de surcroît. Cela dépassait l’entendement. Et c’est vrai, Ferhat Abbas n’était pour nous qu’un rêveur, plus ou moins bien intentionné, pétri d’une bonne dose d’inconscience. C’est ce petit groupe de six élèves qui se retrouvera en ce mois de juin 1940 rassemblé à la Faculté d’Alger : Allag , Derouiche et moi-même en médecine ; Benabdelmoumène et Sidi Moussa en droit, quant à Bouguermouh nous l’avions perdu de vue. J’ai appris par la suite, que faute de moyens, il avait opté pour le métier d’enseignant. Il était instituteur dans sa Soummam natale. Je le retrouve en 1963-64 comme fonctionnaire des Affaires étrangères. Et je le reperds de vue une deuxième et dernière fois. J’habitais avec ma mère et mes deux frères plus âgés, qui poursuivaient leurs études à la Fac, Kamel en pharmacie et Mohammed Cherif en médecine. J’étais là, en cet après-midi du 18 juin, lorsque retentit vers 3 h, un coup de sonnette péremptoire, à la porte que j’allais ouvrir, pour me trouver en face de Abdelmoumène et de Allag dont le souffle court, pour avoir grimpé à toute allure la côte de la rue Mulhouse et les deux étages du 27, laissait prévoir qu’ils étaient pressés de m’annoncer une grande nouvelle. Ce fut le cas : « La France a déposé les armes. Le maréchal Pétain a signé l’armistice. » Allag était particulièrement excité. J’ai éprouvé un sentiment étrange en apprenant la nouvelle. Venez, dis-je, on va se faire un bon café pour réfléchir. J’avais besoin de voir clair : la France battue et occupée, cela voulait dire qu’elle était coupée ; plutôt que nous étions coupés de la « métropole », donc échappant à l’autorité de la France. Est-ce que par hasard notre rêve de libération nationale allait se trouver exaucé ? Nous passâmes une bonne demi-heure à agiter les hypothèses possibles. Nous ne savions pas encore que la France n’était occupée qu’à moitié. Nous décidâmes de sortir, d’aller voir comment la population française réagissait à la défaite et à l’occupation de son pays. Nous nous attendions, en vérité nous espérions, à les voir accablés par le malheur qui les frappait. J’eus à ce moment-là la présence d’esprit de recommander à Moumen et Allag de ne montrer aucun signe de joie ; au contraire, il fallait faire grise mine. Bref de la solidarité dans l’adversité.
Une nouvelle ère allait commencer
En chemin, en bas de la rue, Derouiche qui remontait la rue, nous annonça la nouvelle pour nous faire plaisir. Mais nous restâmes de marbre – consigne oblige. Il fut mis au parfum « Ah bon, vous m’avez fait peur. Si c’est comme ça, je marche ». Nous débouchâmes dans la rue Michelet et prîmes à gauche, vers l’Automatic, ce bar à la mode, où nous n’entrions pas souvent, vu la clientèle et les prix des consommations. Et nous scrutions le visage des passants et des passantes pour y découvrir un signe de tristesse. Bizarre. Rien. Les gens se déplaçaient comme d’habitude, flânant et clopinant, comme si de rien n’était. Nous étions perplexes quand nous arrivâmes au niveau de l’entrée des voitures de la Fac, gardée par une section de jeunes militaires, du contingent probablement, censée, dans notre subconscient, avoir reçu, de plein fouet, la blessure de la défaite militaire. Allons donc, nous étions des naïfs. Ils s’amusaient bruyamment avec un ballon de foot dans ce petit espace de quelques dizaines de mètres carrés. Nous nous sommes arrêtés, spontanément, tous les quatre, interloqués par le spectacle, ruminant chacun de son côté, et à sa manière, un sentiment de surprise totale devant cette insouciance incompréhensible devant le malheur qui frappait leur pays. En étaient-ils seulement conscients, ou tout simplement au courant de l’événement ? Nous étions trop choqués pour nous y attarder. Nous sentions que quelque chose avait bougé dans notre vie, dans nos rêves, dans nos ambitions, dans l’environnement tout court, de telle sorte que chacun approuva ma proposition d’aller nous recueillir au bar de l’Université, dans la salle du fond, pour réfléchir et discuter de la situation nouvellement créée ; ce bar qui faisait l’angle de la rue Michelet et de celle qui prolongeait la rue Mulhouse, vers le bas, la rue Wamier. Là, pendant plus de deux heures, nous nous sommes livrés à un examen critique de la situation pour aboutir essentiellement à cela : notre conviction de toujours que la fin de la domination coloniale n’était pas envisageable en dehors d’une lutte armée faisant participer les masses populaires, notamment les masses paysannes, principales victimes de la colonisation, allait se trouver confortée par l’affaiblissement de la France. Son occupation par l’armée allemande rendant difficile, sinon impossible, une réaction brutale contre une tentative insurrectionnelle qui aurait, ainsi, le temps de naître, se structurer, se développer et de gagner la première étape de l’irréversibilité. Notre préoccupation essentielle était d’éviter le sort des tentatives antérieures de révolte contre l’occupant étranger qui furent des feux de paille, ne laissant derrière elles que des massacres de population et les spoliations de leurs terres. Le contexte de la guerre n’a fait que nous confirmer dans notre analyse. Nous n’imaginions pas que les Allemands allaient prêter main-forte aux Français pour nous combattre, ni les alliés, éventuellement, puisque notre doctrine de lutte s’inscrivait en droite ligne de l’anticolonialisme des quatorze points du président américain Thomas Wilson et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. On ne manquait pas d’optimisme. A l’unanimité, nous avons convenu qu’il fallait passer aux actes. Primo : étoffer le groupe. Chacun y allant de ses relations d’études, nous avons pu constituer en quelques jours un groupe élargi à une dizaine d’étudiants, patriotes et nationalistes avérés. Le recul m’a fait oublier le nom de plusieurs d’entre eux ; j’ai gardé un souvenir précis de Mouloud Mammeri, étudiant en lettres, et de son ami Hocine Ali Benali, étudiant en sciences , tué par les paras pendant la révolution, tous deux originaires de Kabylie ; trois ou quatre autres dont Rabadji de Boghari, un étudiant de Chlef que j’ai revu plusieurs années plus tard en uniforme d’officier de la marine américaine, et peut-être, déjà, Belahrèche de Djelfa et Berredjem de Collo, tous deux étudiants en pharmacie. Un coup d’œil sur la carte d’Algérie nous renseigna très vite sur l’insuffisance flagrante de notre répartition et couverture de régions entières du pays. Tant pis. Il fallait commencer. La tache d’huile ferait le reste. Mais un trou énorme par son importance nous sauta au visage. Alger, la capitale, sans titulaire. Impossible. Il fallait absolument trouver quelqu’un, ou l’un d’entre nous, aurait à prendre en charge le département d’Alger. Réflexion, moues dubitatives, soupirs de découragement fut le lot de l’assemblée. Quand, subitement, un rai lumineux me traversa l’esprit : l’ami de mon frère, Mohammed Cherif… Lamine Debaghine, voilà la solution.
Un seul choix : Debaghine
« Hé ! les copains, dis-je, j’ai trouvé la solution. On ne peut pas trouver mieux. C’est Lamine Debaghine, étudiant de quatrième année. » « S’il accepte », dit quelqu’un. « Sûr qu’il acceptera ; c’est son leitmotiv dans ses discussions avec Mohammed Cherif. » C’est ainsi que j’ai été désigné pour te contacter et t’inviter à rejoindre notre groupe. Le rendez-vous fut pris par Mohammed Cherif et nous nous rencontrâmes sur le trottoir de la rue Michelet en bas de l’escalier d’honneur de la faculté (c’était le nom qu’on donnait à l’université d’Alger). Quel jour ? Quelle date ? Je ne m’en souviens pas exactement et ne les ai notés nulle part, mais c’était la dernière semaine de juin. Quand je t’ai exposé l’objet de notre rencontre et les circonstances récentes et lointaines, exposé plus succinct que le présent historique, bien entendu, je me souviens, tu es resté longtemps silencieux avec un demi-sourire et un regard malicieux avant de parler. Voici ce que, en substance, tu m’as répondu, et dont je garde un excellent souvenir malgré la soixantaine d’années qui nous sépare de cette conversation : « Je suis très heureux de ce que je viens d’entendre, que de jeunes intellectuels, futurs cadres de l’Algérie, aient découvert leur peuple et leur nation à un âge où d’autres ne songent qu’à eux-mêmes et à s’amuser, me remplit de joie et d’espoir pour notre pays. » « Donc, tu acceptes », dis-je ? – « Patience, j’accepte l’idée parce qu’elle rejoint mes propres idées. Mais je pense que l’insurrection armée est une action d’une très grande importance, qui doit être réfléchie, préparée sérieusement et s’appuyer sur tout le peuple, pour réunir toutes les chances, ou le maximum de chances, pour atteindre son objectif ». Rappelle-toi, disais-tu, l’histoire de l’occupation, de 1830 à nos jours. Que de combats héroïques, que de révoltes, que d’insurrections sont là pour témoigner de la bravoure, du courage et du patriotisme du peuple algérien. Mais avec quel résultat ? L’échec, le découragement, la répression féroce et le renforcement de l’emprise coloniale. Je ne dis pas cela pour vous décourager, loin de là. Je le dis pour la simple raison que je suis moi-même parmi les dirigeants d’une organisation politique dont le combat pour l’indépendance nationale passe, qu’on le veuille ou non, par le recours à la lutte armée. C’est la seule voie qui obligera le pays colonisateur à abandonner sa politique de domination, de peuplement, d’exploitation et à reconnaître, enfin, le droit du peuple colonisé à être libre et indépendant. Mon organisation, c’est le Parti du peuple algérien (PPA) dont le chef est Messali Hadj, actuellement en prison. Nous sommes déjà des centaines de militants, anciens et nouveaux. Pour l’instant, nous orientons nos efforts vers la récupération et la réintégration dans l’organisation de tous les anciens de l’Etoile nord-africaine et du PPA dissous. Je ne suis pas contre la lutte armée. Au contraire, c’est ma raison d’être. Mais je suis contre l’improvisation, contre la précipitation, contre l’optimisme incontrôlé, contre le désordre. D’ailleurs, vous l’ignorez probablement, nous ne sommes pas les seuls à avoir ces idées et à raisonner de cette manière. Il y a une troisième organisation, de patriotes authentiques, le Carna, qui s’apprêtent, eux aussi, à profiter de la défaite militaire de la France pour déclencher l’insurrection. Eh bien, pour moi, cela fait trop d’insurrections à la fois. Une seule, et une bonne, suffirait. En bref, je vous demanderais simplement de surseoir à toute décision définitive. Je vais réunir la direction de mon parti, lui exposer la situation, et pourrai à ce moment-là, vous donner une réponse. C’est une affaire de quelques jours. » Ainsi prit fin notre rencontre. « Revoyons-nous dans trois jours, même lieu, même heure. » Sur quoi nous nous séparâmes. Notre groupe était convoqué pour le lendemain, rue de Mulhouse. Après leur avoir fait un rapport détaillé de notre conversation, nous décidâmes d’attendre ta réponse. Pendant ce temps, nous nous organisâmes pour étudier les problèmes de déclenchement des opérations prévues pour le 1er octobre, à savoir rechercher des appuis locaux, des armes tels armes de poing et fusils de chasse, de l’aide financière, bénévoles, des projets d’attaque de magasins d’armes de chasse, de commissariats et de policiers isolés, etc. Ainsi que des moyens de liaisons ; nous avons programmé une réunion des différents membres pour le début du mois de janvier 1941 pour analyser la situation et les problèmes rencontrés. A notre deuxième rencontre, tu me fis, au nom de la direction du Parti du peuple algérien, la proposition suivante qui tenait en trois points : Primo : surseoir à la décision de déclenchement d’actions armées pour le 1er octobre. Secundo : participer, dans le cadre du parti PPA, à la lutte pour l’indépendance nationale. Tertio : pour être garantis que le PPA poursuivra les mêmes buts avec les mêmes moyens, c’est-à-dire le recours à la lutte armée, nous étions invités à désigner l’un des nôtres pour siéger, à part entière, à la direction du parti. Une proposition similaire sera faite, en son temps, au troisième groupe, le Carna, dont l’élément moteur est un nationaliste de valeur, Mohammed Taleb. C’était une sacrée manière de répondre à une proposition de recrutement. De recruteur, on devenait recrutables. D’une action immédiate, on passait à un travail au long cours. D’une structure légère, que nous maîtrisions, on s’enfonçait dans une organisation de masse aux contours mal définis. Du caractère élitiste et intellectuel, la conduite de notre lutte allait basculer dans le populisme, la paysannerie et l’ouvriérisme. C’étaient tous ses aspects négatifs qui me trottinaient dans le crâne en remontant la rue de Mulhouse pour revoir mes camarades réunis spécialement pour connaître ta réponse à notre invitation. Bien sûr, il y avait du bien-fondé, du réalisme dans tout ce que je venais d’entendre. Je sentais, encore confusément, combien était insuffisante notre analyse de la situation. « Bon, me dis-je, trêve de pensées saugrenues. J’informe d’abord les camarades qui m’attendent. Nous discuterons sérieusement et calmement des nouvelles données apportées par la réponse de Lamine Debaghine. »
Un mouvement révolutionnaire
La discussion fut longue. Pas aussi sereine et calme que je l’aurais souhaitée. Le plus dur était de reconnaître que notre jeunesse et notre inexpérience se sont heurtées de plein fouet à des réalités concrètes et des difficultés insoupçonnées. Mais notre amour-propre, malmené par notre trouble profond, nous reprochait insidieusement de vouloir abandonner, si vite, une si belle résolution pour la renvoyer aux calendes grecques, sous prétexte de sagesse, de réalisme politique et d’une plus grande efficience. Mammeri et Hocine Ali Benali aggravèrent les doutes en développant la thèse qu’un mouvement authentiquement révolutionnaire exigeait des dirigeants d’une compétence et d’une intellectualité certaines, capables de s’opposer aux tendances déviationnistes multiformes des mouvements plébéiens. Mais ce qui l’emporta, ce fut justement l’opinion qu’on s’était faite grâce aux quelques lectures que nous nous refilions en cachette au collège de Sétif, et un passage assez éphémère, dans la section du parti socialiste de Sétif au moment du Front populaire de 1936, nous avait convaincu d’y adhérer, un camarade de classe, Simon Lévy et qui parlait justement du caractère typiquement révolutionnaire des mouvements qui mettaient en branle des masses populaires et glorifiaient le rôle dirigeant de la paysannerie avancée et de la classe ouvrière. La majorité s’est finalement ralliée à ta proposition de poursuivre son programme au sein du PPA qui offrait effectivement des possibilités de réussite infiniment plus sûres que notre propre projet. Mouloud Mammeri et Hocine Ali Benali ne suivirent pas le mouvement et se retirèrent de l’opération. Sur ce, on passa à la désignation du représentant du groupe qui devait siéger à la direction du PPA. C’est Si Benabdelmoumène qui parla le premier disant que j’étais tout désigné pour remplir cette mission, étant donné que j’avais l’avantage de te connaître, et que nous appartenions à la même discipline médicale. Raisonnement pointu et frappé au coin du bon sens. Tout le monde approuva l’idée. J’étais coincé. C’est ainsi, mon cher Lamine, que je me suis retrouvé un certain après-midi du mois de septembre (ou d’octobre), à une réunion que tu présidais (je n’ai pas souvenance du lieu) et où je connus, pour la première fois, quatre ou cinq personnes dont Hocine Mokhri, Khehil le sourd et un certain Si Mohammed de Kouba, et peut-être Abdallah Filapi de Constantine. Au cours de cette réunion, on s’attacha, après la présentation que tu as faite et l’examen des informations relatives à l’activité de l’organisation, à définir le secteur de tâches qui me seraient dévolues en tant que membre de la direction à part entière : propagande nationale et recrutement dans le milieu universitaire, contrôle de l’Union générale des étudiants musulmans, direction et contrôle des différentes activités, culturelles, sportives … de la section estudiantine du parti, ainsi que la rédaction de la majorité des textes d’organisation ou de propagande. En ce qui te concerne, tu avais, au sein de la direction, en plus de ta position de leader, la charge des relations extérieures et de l’environnement politique. C’est à ce titre qu’au lendemain de la défaite française, tu proposas de tenter de ramener, après les étudiants, dans le giron du nationalisme, Ferhat Abbas qui venait d’être démobilisé par l’armée française après s’y être engagé volontairement au moment du déclenchement de la guerre, comme devait le faire tout bon citoyen français sincère et véritable. C’est ainsi que Ferhat Abbas nous reçut à l’hôtel des Négociants, rue d’Isly de l’époque, dans sa chambre au 1er étage. Quand nous entrâmes, il était en train, tu dois t’en souvenir, de se laver les pieds dans le bidet. Quand il eut terminé, tu développas l’objet de notre visite et les arguments qui plaidaient en faveur d’une politique plus réaliste et plus conforme à la vocation historique, sociologique et culturelle de notre peuple que l’assimilation au peuple français, credo de sa politique de toujours.
L’accueil de Ferhat abbas
Après avoir écouté, et sans objection sérieuse, avec dans la voix une note d’impatience contenue, il nous déclara, et ça continue à raisonner dans mes oreilles : « Vous ne comprenez rien ; vous ne comprenez surtout pas que je ne suis pas homme à changer de fusil d’épaule. » Ce fut le mot de la fin. Décembre 1940 ? Plus tard peut-être. On a eu, ou nous avons eu, plus de chance en 1942 après le débarquement anglo-américain du 8 novembre qui nous surprit, si tu t’en souviens, en pleine opération de récupération et de réintégration dans l’organisation d’anciens militants de l’Etoile. Nous étions partis pour sillonner le Constantinois et nous commençâmes par Sétif où était censé se trouver Si Mostefa Gasmi. Nous eûmes le temps de le retrouver, non pas à Sétif comme prévu, mais à 12 km de là, à Aïn Arnat, après une remonté épique de cette longue côte qui n’en finissait pas de crampes et d’épuisement, durant deux heures atroces, sur des vélos poussifs loués chez un cycliste, militant du parti. Puis continuant à Constantine par le train, nous trouvâmes Hocine Bellal, petit artisan menuisier qui nous accueillit dans sa modeste échoppe où nous reçûmes la nouvelle du débarquement allié et du blocage de toutes les voies de communications, notamment le chemin de fer, lequel avait été réquisitionné pour l’acheminement des troupes alliées vers la Tunisie occupée par l’armée allemande. C’est là que nous nous séparames ; je me réfugiais à Batna chez mon frère Kamel qui y avait sa pharmacie, et ce, pendant plus d’un mois au bout duquel je pus rejoindre Alger par train. La deuxième tentative auprès de Ferhat Abbas eut plus de chances. Les pourparlers avaient abouti à la décision qui confiait à Ferhat Abbas le soin de préparer un avant-projet de programme conforme à nos propositions politiques et aux données nouvelles créées par la présence des alliés dans notre espace géographique. Le Manifeste du peuple algérien, qui avait été discuté et accepté par nous, a été présenté par Ferhat Abbas aux alliés et à la délégation française qui l’ont trouvé trop extrémiste. Ce qui a incité Ferhat Abbas à rédiger, sans nous consulter, « l’additif » au manifeste ; ce que nous avons rejeté. J’arrête ici mon historique de cette période. Il fallait – dans mon projet d’apporter, tardivement il est vrai, mon témoignage sur certains aspects de notre combat, en l’occurrence durant cette période de 1940 à 1942 – que quelqu’un, qui a effectivement vécu les événements, apporte lui aussi d’éventuelles précisions, voire les rectifications nécessaires ; tant il est vrai que la relation des événements au cours de cette période d’activité essentielle de notre parti – qui eut pour protagonistes principaux, encore en vie, quelque soixante-deux années plus tard, deux personnes seulement : toi, l’aîné, et moi, ton ami dévoué, et reconnaissant de nous avoir détourné de notre noble mais aventureux projet insurrectionnel de 1940 ; relation, dis-je, d’événements qui n’a jamais fait, à ma connaissance, l’objet d’une publication complète, honnête et véridique de documents ou de témoignages – a le mérite de révéler l’existence de ce chaînon essentiel dans le redéploiement du mouvement national qu’ont été ta volonté et ton effort d’unification des forces politiques existantes ou potentielles et de participation des élites intellectuelles au combat pour l’indépendance nationale.
Le drapeau algérien flotte sur Boumerdès
Grâce à toi, pourrai-je dire, pour avoir survécu à ce jour, à travers les hauts et les bas de l’activité militante qui me placèrent à l’endroit et à l’instant le plus sublime de notre histoire, j’eus l’insigne honneur et l’avantage de recevoir, en tant que responsable du groupe FLN à l’Exécutif provisoire et représentant de l’OPRA, sur l’esplanade de Boumerdès, ce jour-là, 3 juillet 1962 à midi, les félicitations et les vœux pour l’Algérie et son peuple, du Haut-Commissaire de France, Christian Fouchet au nom du général de Gaulle, de son gouvernement et de la France, lors de la cérémonie officielle et solennelle où l’on vit le soldat français amener lentement, dans un silence religieux, d’une densité émotionnelle à couper au couteau, le drapeau tricolore, et le soldat algérien hisser, presque trop vite, ce cher drapeau vert et blanc frappé de l’étoile et du croissant rouges pour lequel tant d’hommes et de femmes ont donné leur vie. Alors je compte sur toi pour me donner ton avis avec tes remarques, tes objections s’il en existe, sur ce que nous avons fait ensemble et les paroles et opinions que j’ai pu te prêter, en faisant appel à ma seule mémoire. J’espère que ce n’est pas trop te demander. Il est tellement essentiel de combler certains vides de l’histoire dont la nature à une si profonde horreur. Je te remercie par avance et te prie de croire que ce que je regrette le plus, c’est de constater la quasi-inanité des efforts des militants sincères de notre cause et des sacrifices consentis pendant la guerre de libération de centaines de milliers d’hommes et de femmes pour aboutir à une situation que ne méritaient ni notre beau pays ni le peuple que nous avons connu.
Bien à toi, amicalement Chawki

3 Commentaires

  1. Pourquoi on nous raconte toujours la même chose? est ce que on est dupes? on sait à l’avance que tous les vrais hommes les vrais moudjahidinne aimant l’algérie ont tous été tuer soit par les Harkis »acutel moudjahidine ou par l’armée Francaise! de ben m’hidi a ben boulaid passant par Hamlauoi allant a didouche et zighout ainsi en abdelmalek ramdane ont tous été achevés par les harki qui partage l’algérie avec leurs amis Francais c’est étonnant exactement ce qui s’est passé durant la décennie noir. Je vous le jure dans nos temps acactuel mieux vaut la mort que de vivre aussi humilier et rkhisse, regarder les turques comme se sont révolter contre la dictature militaire c’est un peuple Adime » Chaâb Adime »

  2. ce mots « harki  » fait trop peur à certains personnalités,alors oublions le peut être ils vont se repentir et ce racheter auprès de la nation qui est l’Algérie.

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