Malek Bennabi Ou la conscience du monde islamique

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Par :Rachid Benaissa
« Je suis particulièrement tenté par une biographie la plus tourmentée et la plus émouvante que je connaisse en Algérie. Bennabi n‘est pas un écrivain professionnel, un travailleur de cabinet penché sur des choses inertes, du papier et des mots, mais un homme qui a senti dans sa propre vie le sens de l‘humain avec sa double signification morale et sociale ».
C‘est en ces termes que présente notre défunt écrivain Malek Bennabi son ami de toute la vie, lui aussi disparu aujourd‘hui, le Dr Abdelaziz Khaldi, dans sa préface au livre: « Les conditions de la Renaissance: problème d‘une civilisation » paru à Alger en 1948.
« Je salue ma fin »… écrivait Malek Bennabi dans son journal personnel peu avant la maladie qui devait l‘emporter.
« De plus en plus, cette année qui marque la 69ème bouche de mon âge, Je me surprend à éprouver comme un sentiment de soulagement. Je suis comme l‘homme chargé d‘un lourd fardeau pour lequel il remercie le ciel de lui avoir permis de le porter aussi loin et aussi longtemps, mais qui attend tout de même le moment de le déposer.
Ma vie a été très lourde à porter et près de ma 70ème année, j‘en entrevois la fin avec soulagement »… écrivait-il.
Malek Bennabi, écrivain et penseur,  est décédé le 31 octobre 1973 à Alger à l‘âge de 68 ans, en son domicile.
Né le 1er Janvier 1905 à Constantine et issu d‘une modeste famille, il a fait ses études primaires à Tébessa, secondaires dans sa ville natale, et supérieures à Paris où il a obtenu le diplôme d‘ingénieur en électricité.
Etudiant à Paris, il sut résister à la tentation d‘une civilisation plus forte et aux pressions perfides et insidieuses de grands maîtres de la lutte idéologique. Tel Massignon qui cherchait par tous les moyens à faire rompre à la jeunesse intellectuelle musulmane ses attachée à sa foi.
La vie de Malek Bennabi a été un grand combat pour la renaissance du monde « arabo-islamique ». L‘approche théorique du « problème musulman » lui doit beaucoup.
Avant lui, les réformateurs musulmans avaient une vision parcellaire au mal comme du remède. Il sera le premier à élargir la vision au niveau d‘une « civilisation finie » et d‘une « nouvelle civilisation » musulmane à édifier avec le même levier idéologique et à partir du même levain: le Coran, qui a servi à forger la première grandeur de l‘islam.
Bennabi s‘apparente beaucoup plus à Ibn Khaldoun qu‘à Ibn Taymiyya ou Abdou. Comme lui, il a recherché les SOUNANOULLAH, c‘est à dire les lois de l’histoire. Mais alors qu‘Ibn Khaldoun se contente de décrire le processus cyclique Bennabi entrevoit la possibilité pour les musulmans expulsés de l’état de civilisation, c‘est à dire de l‘histoire, de réintégrer le cycle; cependant qu‘il entrevoit, pour l‘homme occidental lui-même engagé dans la phase finissante de la civilisation, la même possibilité de se soustraire au déterminisme impitoyable qui condamne les civilisations à « être mortelles ». Bennabi en effet, affirmait la primauté de l’humain, c‘est à dire de la foi, du rêve, de la conscience, de la volonté.
Malek Bennabi œuvrait à promouvoir un nationalisme musulman qu‘il espérait voir se concrétiser dans une sorte de « Commonwealth islamique » comme il le développait dans un ouvragé qui porte ce titre. Il prêchait le rapprochement de l‘Afrique et de l‘Asie et croyait en la portée historique de 1‘Afro-asiatisme, force capable de « remettre en cause » l‘ordre des grands… C‘est l‘objet de « l‘Afro-asiatisme », ouvrage paru au Caire en 1956.
Malek Bennabi avait la foi d‘un Ghazali, l‘envergure intellectuelle d‘Ibn-Khaldoun, la tension prométhéenne e Djamel Eddine El Afghani, et la détermi-nation de Hassen El Banna. Il appartenait à cette lignée de penseurs et de réforma¬teurs, tels Rachid Redha, Mohamed Iqbal, Ibn Badis, etc…, dont il a été le disciple et le continuateur.
Malek Bennabi n‘a pas été le pourfendeur du colonialisme. Il savait que ce « vieux coquin »   venu de l‘extérieur ne devait son succès qu‘à la complicité bienveillante- d‘une « vieille moukhère »: « la colonisabilité », qui campe à l‘intérieur de nos cités depuis longtemps, et dont il faut se débarrasser en premier.
Malek Bennabi n‘a pas été le procureur des Zaouias. Il savait que cette mystique dégradée « était due à une sorte de panique communiquée à l’âme par le naufrage d‘une société qui était à l‘heure tragique du sauve-qui-peut ».
Bennabi n‘a pas été non plus un nationaliste chauvin. Il connaissait trop l‘histoire pour ne pas savoir que cette parcelle géographique dite l‘Algérie constitue depuis 14 siècles une partie intégrante de l‘espace de civilisation arabo-islamique.
Enfin, Malek Bennabi n‘a pas été un flatteur, un opportuniste, un arriviste comme on en rencontre aujourd‘hui chez les révolutionnaires apprivoisés de ce vieux mal qu‘on appellerait volontiers: « la maturité démissionnaire ».
Malade du monde islamique, il un était la conscience et le témoin, qui reprenait à son compte l‘avertissement de Tantawi Djawhari: « si les musulmans oublient ce que je leur dis, je leur prédis la même catastrophe que celle qui a englouti « Ad et Thamoud ».
Sur son lit de malade, à l‘hôpital « La Salpétrière », je saisis une des rares éclaircies de conscience que lui laissait sa maladie pour lui annoncer que les arabes venaient de remporter une grande victoire sur eux-mêmes et sur leur ennemi dans la bataille de Badr 1973 dite guerre du Ramadhan. Avec la sérénité dont il ne s‘est jamais départi, il me dit avec certitude: « Nous les aurons… » Comme pour consoler cet apôtre de l‘Afro-asiatisme, ce militant de la civilisation islamique, l‘histoire reprenait l‘envol sur le canal de Suez, et de Tanger à Djakarta, une émotion secoua la corps de l‘Islam, faisant écho au titre d‘un roman du disparu: « Lebbeik »
Parmi ses œuvres, on citera notamment:
Conditions de la Renaissance: Problème d’une civilisation.
Vocation de l‘islam.
Le Phénomène Coranique,
1‘Afro-Asiatisme,
La lutte idéologique (dans les pays colonisés),
S.O.S. Algérie – 1956,
Mémoires d‘un témoin du siècle (deux tomes),
Islam et démocratie,
Le rôle du Musulman dans le dernier tiers du XXème siècle,
Le Musulman dans L‘Univers économique.

4 Commentaires

  1. On m’a rapporté que le défunt était un adepte de Hassen El Bana et qu’il a constamment combattu les résolutions du congrès de la Soummam ainsi que ses initiateurs -Peut-on me donner quelques éclaircissements.

  2. N’en déplaise à certains que le niveau des intervenants sur LQA et vu les débats suscités par les différentes contributions des uns et des autres,est parmi les meilleurs de toute la presse électronique en Algérie,je dirai même sans risque de me tromper dans toute l’Afrique du Nord.Et que certaines « têtes pensantes » dans des pays européens notamment la France s’intéressent et de près à ce débat contradictoire, qui malgré tout ne sort,que rarement,des limites de l’exercice de la démocratie citoyenne.

  3. Ce bon hommage a été rendu à Bennabi juste après sa mort. Il correspond au Bennabi historique et il n’est pas question de chiisme. Ce témoignage vaut infiniment mieux que toutes les récentes interventions que fait le professeur Rachid Benaïssa ses derniers temps pour expliquer à qui veut bien l’entendre, que Bennabi aurait été…chiite.

  4. Si le professeur Benaïssa s’en tient aux contenus de cet bel hommage; en cessant de faire de Bennabi un « chiite », il pourra combler le vide laissé par Tarek Ramadan qui a délaissé l’éducation des jeunes pour ne s’occuper que de sa personne…

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