Ils partent…

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Taille du texte normaleAgrandir la taille du texteEl Watan le 01.11.17 

 Pourquoi cette hémorragie migratoire ? je suis triste pour mon pays. Ma fille, étudiante en 3e année à l’Ecole nationale polytechnique d’Alger (ENP), me confirme que tous les étudiants de cette école souhaitent quitter le pays. Certains l’ont déjà fait avant même de finir leurs études, d’autres se préparent à partir…»

Ce cri de détresse vient d’une maman qui, à la vue des images, partagées et diffusées dans les médias, de la foule d’étudiants amassés aux alentours de l’Institut français d’Alger dimanche dernier, a jugé utile de poster un commentaire émouvant sur sa page Facebook. Selon un sondage, neuf étudiants sur dix de l’ENP disent vouloir partir à l’étranger.
«Nous avons démarré très tôt ce matin pour arriver à Alger afin que ma fille puisse passer son examen de TCF. Ce test est nécessaire pour la procédure d’études en France. Pour moi, il s’agit d’une priorité. Ma fille doit partir ailleurs, vers des cieux plus cléments, pour qu’elle puisse s’épanouir et réussir dans sa vie. Je ne vous cache pas, je vais investir toutes mes économies pour le bien de ma fille», confie le père de Devda, étudiante en électronique de Béjaïa.
Il n’est certes pas un fait nouveau que des étudiants optent pour des études à l’étranger afin de peaufiner leur cursus. Seulement le nombre impressionnant et l’engouement «massif du public», pour reprendre les termes du communiqué de l’ambassade de France à Alger, interpellent plus d’un. Qu’est-ce qui pousse nos étudiants à partir ? S’agit-il réellement d’une question d’études ou les raisons sont à chercher ailleurs ?
Vie étudiante
«Je veux vivre mon époque, loin des contraintes, des préjugés, de la pression sociale, de la misère. Est-ce un tort de le vouloir ? Non. S’agit-il d’une fuite ? Non», assure d’emblée Mourad, étudiant à Polytech d’Alger, rencontré ce dimanche devant l’Institut français d’Alger (IFA). Et à Asma, sa camarade, d’expliquer son propos.
«Nous voulons vivre dans un environnement sain qui permet de meilleurs conditions d’acquisition du savoir ; dans un environnement où l’étudiant n’est pas réduit à faire la queue chaque matin devant le cous, devant les réfectoires ; dans un environnement où l’étudiant a une vie après les cours. Ici, il n’y a ni club étudiant, ni salles de cinéma ni lieux de culture et encore moins pour le loisir. En gros, il n’y a pas de vie», résume-t-elle.
Ces dernières années, les étudiantes ne cessent de dénoncer un climat fait d’intolérance et de harcèlement au quotidien que cela soit dans les rues ou bien dans nos universités. «Le harcèlement est devenu un fait banal dans la société. Mais que nous subissions cela dans l’université et que ces actes ignobles émanent  des professeurs eux-mêmes, cela devient insupportable», dénonce-t-elle.
Et dans les cités universitaires, la situation des filles est intenable surtout avec la vague de conservatisme qui submerge et rétrécit de plus en plus le champ des libertés individuelles. Pour Abderrahmane, la vie dans les campus «est morose et sans aucun intérêt. Notre quotidien se résume à faire la queue devant le resto U et devant le Cous. Nos aînés profitaient au moins des galas organisés les week-ends dans les cités U ou les campus, aujourd’hui rien de tout cela n’existe», assure-t-il.
Népotisme
«Les plus méritants sont toujours les derniers, les fils des responsables sont propulsés en haut du tableau et accèdent à la post-graduation sans concours ni efforts. Après cela, on vient nous chanter les histoires de patriotisme et de nationalisme !» s’offusque Mohamed, étudiant en informatique à l’université de Bab Ezzouar, qui dit vouloir quitter le pays à tout prix. «J’étudie et travaille en même temps. J’amasse de l’argent pour pouvoir obtenir mon visa d’études, je ne pense qu’à cela, matin et soir, car ici il n’y a rien de bon à attendre.»
Rien que cette semaine, les universités du pays ont été secouées par des scandales liés aux concours de doctorats, où des fils de hauts responsables et de députés se retrouvent en tête des listes malgré le fait que leurs notes ne leur y ouvrent pas droit. «Pour réussir, il faut soit être épaulé par un puissant du régime ou bien s’inscrire dans ces organisations estudiantines à la solde du pouvoir. Ceux, comme moi, qui ne s’inscrivent pas dans ce système obscène, choisissent une autre voie, celle de partir», affirme-t-il.
Conflit générationnel
En dehors de l’université, les étudiants abordent d’autres problèmes en rapport avec la situation politique et socioéconomique du pays «Nous sommes dirigés par un personnel politique vieillissant, d’une autre époque, qui n’arrive pas à s’intégrer dans le monde réel, dans le monde d’aujourd’hui, qui veut nous imposer sa vision rétrograde, l’enfermement sur soi, nourrir une haine pour les autres et voire la main de l’étranger partout et justifier avec ses échecs. Nous en avons ras-le-bol de cette situation qui perdure et s’éternise, je suis jeune, je veux vivre loin de tout cela», se révolte un étudiant de Blida.
Pourtant nos politiques, à leur tête le chef de l’Etat, ne cessent de promettre de «passer le flambeau à la nouvelle génération», un discours qui a suscité à un moment de l’espoir avant d’être rattrapé par la réalité, «comme d’autres, j’avais cru à cette histoire, mais depuis 2014, j’ai compris qu’il n’y a plus d’avenir pour les jeunes dans mon pays, il est plutôt radieux pour les vieux qui nous gouvernent», s’offusque de son côté un autre étudiant.
Chômage des diplômés
Le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur est évalué à 17,7% en septembre 2016, selon les statistiques officielles, il est situé à plus 30%, selon les économistes indépendants. Ce taux n’augure rien de clément pour les étudiants. «Je ne veux pas finir ma vie à quémander ou à vendre des cacahuètes sur les trottoirs.
Vous savez pertinemment que pour pourvoir un poste de travail, il vous faut des connaissances, sans cela, vous êtes réduits à la précarité, à des salaires qui ne répondent à aucune logique», explique Salim étudiant de Médéa et boucher dans un abattoir de sa ville. «Je suis obligé de travailler, d’abord pour subvenir à mes besoins, ensuite pour amasser la somme nécessaire pour ma demande de visa d’études», confie-t-il. Et dans son cas, ils sont nombreux à travailler parallèlement à leurs études dans la perspective d’obtenir un visa d’études et partir.
«Je ne crois pas aux promesses de nos responsables, ni au semblant d’espoir qu’ils nous promettent, vous connaissez la réalité, des oligarques qui se sont accaparés les richesses du pays, une économie improductive, il n’y a ni usine pour travailler ni aucune perspective, nous vivons dans l’expectative, dans l’espoir que le prix du pétrole remonte un jour pour le dilapider encore et nous vendre des illusions», s’insurge-t-il. Un avis partagé par son ami qui l’a accompagné ce dimanche à l’IFA.

«J’ai tenté à plusieurs reprises d’obtenir un crédit Ansej pour lancer ma boîte, en vain. Figurez-vous, j’ai dû louer mon diplôme à quelqu’un pour 300 000 DA, qui lui, grâce à ses connaissances a pu décrocher un crédit et lancé un business qui lui rapporte gros, il a accès à des marchés publics auxquels nous autres nous n’avons pas droit», confie-t-il. Pour lui cette somme servira à financer son départ à l’étranger. «Je sais que la vie n’est pas si rose que cela en Europe, mais je sais une chose, ma dignité sera préservée et si je bosse dur, je suis condamné à réussir», conclut-il.

Zouheir Aït Mouhoub

9 Commentaires

  1. Au sein du lycée où j’enseigne cette année, on est 4 Algériens sur un total de 7 profs de maths. Nous partageons 70% des classes de terminale du générale et technologique. Avec mon ami et collègue Omar, nous avons la responsabilité de toutes les classes terminales ES ainsi l’option spécialité. J’apporte ce témoignage car au début de ma carrière ici dans l’enseignement, il y a maintenant plus de 10 ans, lors des formations organisées par l’Académie de Versailles, sur un ensemble de 50 profs, il y avait presque autant d’Algériens sur un stage.

  2. Je dirais ni « ils partent ni ils fuient »
    ILS SONT EXPULSES DE LEUR PROPRE PAYS A CAUSE DES CHIENS VOLEURS QUI GÈRENT CE PAYS !!!!!!!!!!!!

  3. J’ai vu les vidéos montrant tous ces jeunes étudiants faisant la queue devant le CCF et j’ai écouté attentivement les commentaires de certains d’entre eux. Que dire ? Si ce n’est que c’est déchirant, ça fait très mal, je suis restée sans voix. Cette scène enlève le voile sur tous les mensonges qu’on nous a racontés depuis 1962.
    Lorsqu’on apprend que le site du CCF a été saturé parce que plus de 700 000 jeunes ont tenté de s’y connecter pour avoir un rendez-vous, il faut au moins avoir la décence de reconnaitre que le mal est très profond. Il faut avoir le courage de dire que nous avons tous échoué et sur toute la ligne.
    Du moment que le seul et unique souhait de nos enfants est de fuir ce pays et au plutôt, nous n’avons plus rien à dire, la seule chose à faire est de leur demander pardon, car tout le reste c’est du blabla pour nous déculpabiliser et fuir nos responsabilités.
    Normalement ce ne sont pas nos enfants qui doivent partir mais plutôt ces brigands qui nous humilient depuis le départ des anciens colons.

  4. Je voudrais juste remercier fatma pour son sage, lucide et profond message. Moi, personnellement, j’ai subi tous les affres possibles éspèrant dur comme fer que le changement allait bientôt arriver mais en vain… J’ai pris ma valise dans le silence et quitter le pays à l’âge de 45 ans. J’aurais vraiment avoir tort, mais helàs…

  5. Je n’ai vraiment pas de mots puissants qui pourraient expliquer et justifier ce que vivent nos jeunes et en particulier nos universitaires. On ne peut pas décider du destin de l’autre. Cette jeunesse est prise en otage. Partez, je vous béni et vous souhaite de réussir. En ce qui me concerne c’est un investissement pour le pays. Vous serez les vrais représentants. Où que vous soyez vous serez toujours des Algériens. Je suis sûr que vos valeurs resteront intactes. Bonne chance et restez sur le bon chemin.

  6. Slm alk. Un conseil à prendre au sérieux. Ne croyez pas que partir en France et faire une formation de Master ou autre va vous ouvrir forcément les clés d’un diplôme renommé et d’un bon boulot. Pour les technologues, rien ne vaut qu’un diplôme d’ingénieur des grandes écoles ou encore mieux un double cursus. Ajoutons à cela un racisme et un islamophobie désormais assumé et partage à tout les niveaux de la société française. Pour en venir à mon conseil, utilisez la France comme tremplin pour aller ailleurs notamment vers le nord ou l’Angleterre.
    A bon entendeur.
    P.S.
    J’ai un doctorat français et je suis au chômage. Devinez pourquoi?

  7. On ne peut aller contre les lois physiques de la nature. Compressez le contenant et le contenu cherchera à s’échapper. Entre deux forces « corsets » rétrogrades : l’islamisme et le pouvoir, le marteau et l’enclume, il ne saurait y avoir ni de science ni de qualité de vie…C’est dans la jonction de cette macabre dualité que ceux qui ont eu en main le destin de l’Algérie se sont progressivement inscrits. Des frères musulmans aux frères du FLN, le combat est le même : les uns colonisent le âmes et les autres le reste. A défaut de pouvoir mettre fin à cette hémorragie légitime pour les partants mais souhaitée par les deux confréries, souhaitons que nos cerveaux, une fois situation faite de l’autre côté, auront un peu de condescendance à notre égard et nous viendront en aide comme le font nombre de diaspora. Mais, chimère que d’espérer une qualité de vie chez ceux qui ne pensent qu’à la mort ou d’espérer un passage de flambeau de la part de ceux qui le détiennent par la ruse et la force.

  8. Wallah ça fait très mal au cœur, si c’est faisable presque tout le peuple veut changer du pays. Demain mes enfants grandissent, qu’est ce que je vais leur dire, qu’est ce que je vais les donner…je ne veux pas et je ne souhaite pas qu’ils partent…hasbouna Allah wa ni3ma alwakil

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