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Ces crimes de guerre qui embarrassent le parquet fédéral

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Les interpellations parlementaires se multiplient à Berne afin de savoir si le Ministère public de la Confédération se montre trop frileux dans les dossiers politiquement sensibles. Notre enquête

Le détonateur syrien

C’est le déroulement de la procédure engagée contre Rifaat el-Assad qui a mis le feu aux poudres et provoqué les questions écrites de trois conseillers nationaux. L’oncle du président syrien, soupçonné d’avoir dirigé des massacres de civils dans les années 1980 avant de devoir prendre le chemin de l’exil, fait l’objet d’une instruction en Suisse. Ouverte il y a quatre ans dans le plus grand secret, celle-ci s’est plus ou moins enlisée et la mauvaise humeur des parties plaignantes a fait éclater la polémique au grand jour.
Ce 29 septembre 2017, Lisa Mazzone (les Verts), Carlo Sommaruga (socialiste) et Christa Markwalder (libérale-radicale) déposaient chacun un texte pour obtenir des explications au sujet de cette inertie. La première se demande si le MPC a vraiment la volonté d’agir dans le domaine des crimes internationaux. Le second si ce parquet est indépendant ou sous influence politique. La troisième si l’autorité de poursuite ne néglige pas à dessein ce type de dossier tout en n’allouant pas suffisamment de ressources aux équipes.


Une histoire mouvementée

Cette déferlante d’interpellations illustre le malaise plus général né de l’histoire mouvementée de la cellule spéciale. Le CCV a été créé en 2012 pour s’occuper des crimes de masse. Ceux qui nécessitent de longues investigations, impliquent des faits souvent anciens, se heurtent généralement au refus de coopération des pays concernés et peuvent pâtir de l’absence du prévenu. Pour couronner le tout, certaines affaires compliquent aussi les relations bilatérales et mettent le Département fédéral des affaires étrangères en position difficile. En théorie, ces facteurs ne devraient pas déteindre sur l’action pénale. Dans la pratique, leur poids semble jouer un rôle non négligeable.
Le premier indice qui illustre cette prudence stratégique a été la mise sous tutelle, puis l’éviction progressive de la procureure Laurence Boillat, qui fut la première à diriger, avec un caractère bien trempé, le nouveau centre. Elle a été mise sur la touche, puis emportée par le grand ménage de juin 2015, qui a vu le départ forcé de cinq procureurs selon une méthode qui sera critiquée par le Tribunal administratif fédéral.
Dans les multiples motifs de non-reconduction invoqués à l’époque par le procureur général Michael Lauber, comme a pu le découvrir Le Temps, il était notamment reproché à Laurence Boillat «de ne pas faire preuve de la sensibilité indispensable à la conduite de ce genre d’affaires», qui suscitent presque toujours «un grand intérêt et l’attention de la presse, respectivement de la politique». Tous les dossiers de la division ont d’ailleurs été classés d’office orange ou rouge, selon une directive de la hiérarchie, afin d’assurer un «controlling» rapproché.

Les cas controversés

Trois procédures, ouvertes par cette responsable, ont visiblement cristallisé la mauvaise humeur au sommet du MPC. Il y a l’enquête dirigée contre l’ancien chef des forces armées algériennes, Khaled Nezzar, débusqué par l’organisation Trial International lors d’un séjour genevois (lire ci-dessous). Dans ce cas, il a été fait grief à la procureure d’avoir préparé une nouvelle demande d’entraide à l’insu de ses supérieurs et d’avoir nui à l’image du MPC en écrivant aux parties qu’elle avait été tenue à l’écart de certaines discussions concernant ce dossier.
La deuxième affaire controversée est celle dirigée conte Rifaat el-Assad. Michael Lauber a critiqué «un manque de vision stratégique», la procureure ayant demandé des renforts pour enquêter malgré l’âge avancé du prévenu (76 ans à l’époque), «des faits lointains dans le temps et l’espace», l’absence de collaboration prévisible de la Syrie et l’existence incertaine d’un conflit armé pouvant justifier une telle procédure. Visiblement, le MPC ne voulait pas de ce boulet susceptible de se transformer en une sorte d’affaire Kadhafi bis ou de compromettre des pourparlers dans le conflit en cours.
Le troisième dossier, baptisé Aurum, a aussi valu à la procureure la remontrance d’avoir trop vite perquisitionné dans les locaux de la société tessinoise Argor, suspectée d’avoir raffiné trois tonnes d’or sale en provenance du Congo. L’affaire, toujours dénoncée par Trial, a finalement été classée en mars 2015 au motif que la société, qui comptait l’ancien conseiller fédéral Adolf Ogi au sein de son conseil d’administration, ne se doutait pas de la provenance criminelle de cette cargaison.

L’avis de l’ambassadrice

A cet activisme parfois débordant, le MPC veut visiblement opposer une sorte de pragmatisme réaliste. En matière de crimes internationaux, cela équivaut souvent à ne plus tenter grand-chose et à prêter une oreille attentive aux craintes exprimées par les Affaires étrangères. Dans le dossier Nezzar, comme le montre le document obtenu, cette inquiétude est vive. Lors d’une réunion, datée du 3 mars 2016, l’ambassadrice de Suisse en Algérie informe les procureurs compétents que cette enquête est «une bombe à retardement en ce qui concerne les relations bilatérales».

Un PV de réunion des procureurs fédéraux avec le DFAE. DR

La diplomate précise encore «qu’on lui a fait savoir de manière informelle qu’un dossier économique n’avait pas avancé en raison de cette affaire», souligne «que cette justice doit se faire en Algérie et ne pourra pas se faire tant que le pouvoir actuel est en place» et ajoute «qu’il y a une attente très claire de la part du pouvoir algérien que cette affaire soit classée». Le MPC exaucera ce vœu en janvier 2017. Le Tribunal pénal fédéral, saisi d’un recours des parties plaignantes, doit encore se prononcer sur le bien-fondé du motif — l’inexistence d’un conflit armé — invoqué à l’appui du classement.

«Contacts utiles»

Cette évolution suscite bien des critiques à Berne. Carlo Sommaruga l’exprime en ces termes: «Je constate que le Ministère public de la Confédération a une stratégie de plus en plus politique. La lutte contre l’impunité est pourtant l’une des priorités de la Confédération, qui a toujours œuvré pour la promotion de la justice internationale.»
Contacté, le MPC assure que ce domaine garde toute son importance et que «l’élaboration d’un concept propre au Droit pénal international est en cours». Quant à savoir si l’avis du DFAE est systématiquement demandé dans ce type de dossier, il est précisé: «Ces procédures sont menées conformément à l’indépendance du MPC voulue par le législateur. Cela n’empêche toutefois pas les contacts avec d’autres autorités qui pourraient se révéler utiles à l’instruction.» Une utilité qui reste à déterminer.


Le point sur quatre dossiers phares

Le dossier dit Tiziri, soit le cas de l’ex-ministre algérien de la défense Khaled Nezzar, inaugure les nouvelles compétences attribuées au MPC en matière de crimes internationaux. Interrogé en octobre 2011 alors qu’il était de passage à Genève, et confronté à deux victimes, il est relâché moyennant la promesse qu’il reviendra se présenter. En 2012, le général échoue à faire valoir une immunité diplomatique. En 2017, à la surprise de tous, y compris de Marc Bonnant, le défenseur de ce «héros du peuple algérien», le MPC fait volte-face au motif que la condition de l’existence d’un conflit armé, nécessaire à la poursuite pour crimes de guerre, fait défaut. Une analyse tardive qui prend des allures de prétexte.
Lire aussi: Le Ministère public de la Confédération classe l’affaire Nezzar
En 2013, c’est Rifaat el-Assad que Trial dénonce pour avoir notamment commandé les «Brigades de défense» impliquées dans des massacres datant de 1982. En septembre 2015, alors que l’oncle du président syrien est de passage à Genève, le procureur Andreas Müller ne veut pas l’appréhender. Le tribunal, saisi d’une requête urgente, ordonne finalement une audition. Interrogé à son hôtel en qualité de prévenu de crimes de guerre, une bouteille à oxygène pour l’aider à respirer, il explique qu’il n’a rien à se reprocher et fait appel à un avocat. A son arrivée, Me Marc Hassberger précise que son client refuse de déposer avant de se familiariser à nouveau avec les faits de l’époque et promet que celui-ci fera le voyage depuis Paris en cas de convocation.

Au vu de l’extrême gravité des faits et de ce que le dossier contient, il est incompréhensible que l’enquête n’ait pas progressé plus vite

Me Philippe Graf, avocat d’une victime

Depuis lors, cette affaire avance à un rythme de sénateur. La police judiciaire fédérale rend tout de même un rapport, en mai 2017, qui va dans le sens de l’existence d’un conflit armé. Le 19 octobre dernier (soit un jour avant de devoir déposer ses observations suite au recours pour déni de justice déposé par les plaignants), le procureur Stefan Waespi, désormais en charge, annonce la convocation d’un témoin pour fin novembre. Avocat d’une victime, Me Philippe Graf dit son malaise: «Au vu de l’extrême gravité des faits et de ce que le dossier contient, il est incompréhensible que l’enquête n’ait pas progressé plus vite. Il y a urgence à mener des investigations sérieuses en pareil cas. Et j’attends toujours l’audition de ma mandante, récemment annulée sans explication.» Me Hassberger estime pour sa part qu’il «faut laisser le procureur faire son travail de manière sereine, comme il l’a fait jusqu’à présent».
Alieu Kosiah, ancien chef de guerre libérien réfugié en Suisse de longue date, est mis en détention en novembre 2014. Suite à la plainte de plusieurs victimes, la procédure, nom de code Likato, démarre en trombe sous la direction de Laurence Boillat. Des témoins sont même amenés en pleine épidémie d’Ebola, non sans avoir passé par une quarantaine. Après un coup d’arrêt, l’enquête reprendra et des actes d’instruction sont encore en cours. «Ce dossier devrait aboutir au tout premier procès pour crimes de guerre qu’aura à juger le Tribunal fédéral. Ce serait historique», se félicite Me Alain Werner, président de l’organisation Civitas Maxima qui représente six parties plaignantes.
A ce sujet: Un Libérien accusé de crimes de guerre arrêté à Berne

Cette procédure présente de multiples difficultés et se heurte à un manque de moyens évident

Me Philippe Currat, avocat de Ousman Sonko, ancien ministre gambien de l’intérieur

L’ancien ministre gambien de l’intérieur Ousman Sonko est arrêté le 26 janvier 2017 par le parquet du canton de Berne suite à une dénonciation de Trial. Le MPC, qui savait depuis deux mois que l’intéressé avait fait une demande d’asile en Suisse, conclut d’abord qu’il n’y a pas de motif de détention. Mis devant le fait accompli, celui-ci change son fusil d’épaule, soupçonne des crimes contre l’humanité et décide de s’emparer de l’enquête. Pour l’avocat du prévenu, Me Philippe Currat, «cette procédure présente de multiples difficultés et se heurte à un manque de moyens évident».

7 Commentaires

  1. L’éviction de l’ancienne procureure Laurence Boillat a été faite suite à la divulgation par les éléments du DRS introduit dans cette affaire du témoignage de Ali Haroun. Ces mêmes éléments, aujourd’hui, essayent de falsifier même l’histoire de toute cette affaire qui a commencé en 2001 à Paris. C’est l’ère de fesse-book et du poker/menteur. Peut-être espèrent-ils que je ne sois plus de ce monde??? Qui sait. Mais le mal est fait. Ce que je peux dire de cette procureure lors d’une conversation avec elle à Berne, elle m’avais juré qu’elle allait au bout de cette affaire. Hélas.
    Il y a une chose que je n’ai pas compris, pour quoi l’avocat de TRIAL avait sollicité un des plaignants a assisté presque à toutes les audiences??? Et pourquoi ils l’ont laissé transcrire le témoignage alors que c’était interdit??? La suite est sur Google.

  2. Bonjour : Je ne sais pas pourquoi vous continuer a parlez de la Suisse et sa Justice?! Il faut déjà connaitre l’histoire de la Suisse pour comprendre l’histoire de sa justice! des paysans qui n’ont jamais connu la guerre quelques souffrance au début du dernier siècle des problèmes économique surgissaient ce qui a fait un petit exode vers les pays de l’amérique latine des Suisses, pendant la 2ème guerre Mondiale ce pays appelé la Suisse uniquement le seul au Monde accepta d’acheter de l’or a Hitler et voila le jackpot, le retour donc des réfugies Suisse a leurs pays et la richesse de la BNS, depuis n’ont cessé de gérer les choses intélligement et en fonction de leur population très surveillé « font pas comme les africains avec 10enfant par foyer » Concernant la justice vous attendez quoi d’une justice dépendante d’une mentalité paysanne « je suis blanc c’est qui décide je suis chez moi etc… » sont inapte à la civilisation sachez enfin mes chers amis pour que vous soyer rassurés un Suisse sur 3 se suicide suite au ^problème lier au divorce, je vous invite donc de ne rien attendre de ce pays qui tue ses propre ressortissant et ceux des étrangers.

  3. Quote: « La diplomate précise encore «qu’on lui a fait savoir de manière informelle qu’un dossier économique n’avait pas avancé en raison de cette affaire», souligne «que cette justice doit se faire en Algérie et ne pourra pas se faire tant que le pouvoir actuel est en place» et ajoute «qu’il y a une attente très claire de la part du pouvoir algérien que cette affaire soit classée». Le MPC exaucera ce vœu en janvier 2017.
    Le Tribunal pénal fédéral, saisi d’un recours des parties plaignantes, doit encore se prononcer sur le bien-fondé du motif — l’inexistence d’un conflit armé — invoqué à l’appui du classement.Quote: « Que faut-il comprendre de l’affaire Nezar poursuivi pour crimes de guerre en Suisse par des victimes Algeriennes.
    La procureure Laurence Boillat a fait de sorte que Nezar, Ali haroun, et leurs comparsses ont eu des sueurs froide que le « pouvoir » occulte qui dirige l’etats algerien a intervenu entre autre via l’ambassade suisse a Alger pour faire capoter et classer les poursuites contre Nezar en tant que chef des armees algerienne et ex-presidents de l’etats algerien.
    L’ONG Trial a fait un erreur grave dans son dossier en avancant le Crimes de Guerre contre Crimes Contre l’Humanite’, j’appele cela un bug delibere’ donner comme gage aux juges et barbouzes suisse tapis dans l’ombre en Suisse pour classer le dossier.
    C’est vrai qu’il n’y a pas de crimes de guerre car il n’y a pas eu deux armee qui se sont fait faces. Hachani a ete’assassine’ car il a refuser de cautioner l’AIS comme armee’ du FIS. Et ainsi il ete’ contre les discussions entre le DRS et l’AIS qui ont fait capoter les discussions entre la presidence et les dirigeants du FIS entre autre avec Abassi Madani et Ali Benhadj.
    Les massacres de Ben Talha et Rais sont le summum pour pousser Zeroual a demissioner et ainsi arreté toute discussion avec les politiques et laisser des pseudo-discussion avec les tetes vides et cons a la Madani Mezrag, Benaicha et Kebir de l’AIS.
    Trial aurait fait son dossier sur les crimes contre l’humanite’, tel torture, disparitions, camps du Sud, executions extra judiciaire, etc. et non sur crimes de guerre.
    J’appele parasites les hommes et femmes qui travaillent dans les services de securites Americains et Europeens, dans les departements du Terrorisme, les diplomates en Algerie tel l’ambassadrice suisse par exemple, les politiques qui aident les criminels et les hommes d’affaires europeens et Americains qui traitent avec les criminels. Le Quote ci-dessus est une des preuves qu’ils/elles ne sont que des parasites criminels que rien ne differencie de Nezar a part qu’ils/elles n’assassinent pas, pas encore, leurs propre peuple.

  4. La Suisse est en chute libre, ils ont encore expulsé hier un imam qui n’a rien fait, comme c’est souvent le cas dans pays si on veut expulser quelqu’un on le surcharge et le condamne plusieurs fois sans preuve ni vrai délit! je ne comprends vraiment pas vos réaction! vous coryz a ce TRIAL et se Madames et Messieurs? si vous voulez vraiment quelque chose compter sur vous même, ce pays la Suisse comme la France vont disparaitre car leurs justice est injuste et a fait beaucoup de mal a beaucoup d’innocents leurs jours sont compter, qui peut me dire sera quoi la FRANCE APRés Macron C’EST UN PAYS EN GUERRE CIVIL? LES Suisse continuer toujours a financer l'(europe 1milliard offert hier pour respirer encore quelques années mais la fin est très proche.

  5. .
    Le Général Nezzar et le terrorisme d’État des années 1990
    texte collectif
    LDH-Toulon, le vendredi 15 décembre 2017
    Cet article résume remarquablement les accusations portées par des militants des droits de l’homme contre le général Khaled Nezzar et ses pairs à la tête de l’État, jugés coupables d’avoir, dans les années 1990 en Algérie, mis en œuvre un « terrorisme d’État » contre la population pour garder le pouvoir, notamment en manipulant des groupes terroristes se réclamant de l’islam qui ont été responsables de nombreux crimes contre les civils. L’analyse de cette période tragique, l’évaluation de la violence d’origine proprement islamiste qu’elle a connue et de celle de tels groupes suscités par des services de l’armée divisent encore à ce jour les Algériens comme les observateurs étrangers. De vifs reproches sont exprimés par exemple, dans une note de ce texte, à un article du journaliste Pierre Daum, « Vingt ans après les massacres de la guerre civile. Mémoire interdite en Algérie » (« Le Monde diplomatique », août 2017). Le site Histoire coloniale et postcoloniale a jugé important de reproduire ce texte tout en étant prêt à faire écho à d’autres analyses que celle de ses auteurs. La justice suisse doit bientôt trancher sur le recours des parties civiles dans l’affaire du général Nezzar, objet depuis 2011 d’une plainte pour torture. Ce sera sûrement pour nous l’occasion de revenir sur ces questions historiques et politiques essentielles.
    Texte collectif signé par : Patrick Baudouin, avocat, président d’honneur de la FIDH ; Omar Benderra, consultant ; Anna Bozzo, historienne ; François Burgat, politiste ; Nicole Chevillard, journaliste ; Antoine Comte, avocat ; Hélène Flautre, ancienne députée européenne ; François Gèze, éditeur ; José Garçon, journaliste ; Mohammed Hachemaoui, politiste ; Ghazi Hidouci, ancien ministre ; Hocine Malti, ingénieur ; Noël Mamère, écologiste ; Salima Mellah, journaliste ; Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue ; Salah-Eddine Sidhoum, chirurgien ; Habib Souaïdia, ancien officier ; Werner Ruf, politiste ; Joëlle Stolz, journaliste.
    Le 20 octobre 2011, le général algérien Khaled Nezzar était arrêté à Genève et interrogé par la justice suisse, puis rapidement libéré. Ministre de la Défense de juillet 1990 à juillet 1993, il avait été l’un des principaux acteurs de l’interruption en janvier 1992 du processus électoral qui pouvait aboutir à la victoire du Front islamique du salut (FIS), par un coup d’État aux conséquences dramatiques pour la société algérienne. Cette interpellation faisait suite à une dénonciation de l’ONG suisse TRIAL International, puis à la plainte de deux ressortissants algériens accusant le général Nezzar d’avoir été le responsable des tortures qu’ils avaient subies début 1993 [1]. Le ministère public de la Confédération helvétique (MPC) avait ensuite ouvert une enquête pénale pour « suspicion de crimes de guerre », arguant du fait que les crimes qui lui étaient reprochés s’étaient déroulés « dans le contexte du conflit civil algérien qui, de 1992 à 1999, avait opposé divers groupes islamistes au gouvernement ». En juillet 2012, saisi par les avocats de Nezzar, le Tribunal pénal fédéral (TPF) avait confirmé la validité juridique de cette instruction, tandis que le MPC précisait que « les autorités algériennes […] n’ont jamais démontré, depuis la fin du conflit armé algérien, une volonté d’enquêter sur les crimes concernés [2] ».
    Et pourtant, près de cinq ans plus tard, après de nombreuses auditions et actes d’instruction, le MPC a classé en janvier 2017 l’affaire Nezzar, « en décidant, a expliqué le quotidien Le Temps, que la condition de conflit armé, essentielle dans les cas de crimes de guerre, faisait défaut en Algérie entre 1992 et 1994. En effet, s’il n’y a plus de conflit armé, il n’y a donc pas de crimes de guerre commis [3]) ». Un appel a été interjeté par les parties civiles auprès du TPF, dont la décision est attendue avant la fin 2017.
    Ainsi, selon le Parquet helvétique, l’Algérie n’aurait connu aucun « conflit armé » « entre 1992 et 1994 ». Alors même que des dizaines de milliers d’articles et de témoignages publics attestent du contraire, y compris l’état d’urgence et les dispositions judiciaires alors édictées par le régime pour pénaliser les « agressions terroristes ». Ainsi d’ailleurs que les lois de « réconciliation » qu’il a adoptées au cours des années 2000, qualifiant ces trois années noires et les suivantes de « tragédie nationale » — le président reconnaissant même quelque 100 000 morts et des milliers de victimes de disparitions forcées. Comment expliquer un tel « négationnisme judiciaire » de la part de magistrats suisses ? Très probablement par le fait qu’ils ont été soumis à de fortes pressions de la part de représentants du régime algérien. Mais aussi par l’effet médiatique de l’incroyable opération de désinformation orchestrée par ce dernier dès les années 1990, systématiquement nourrie depuis de mille manières. Son objet : faire passer à l’époque, aux yeux de l’opinion mondiale, une terrible guerre menée par l’État contre ses opposants et toute la population pour une simple « lutte antiterroriste » contre les groupes armés se réclamant de l’islam ; puis, après 2001, pour le « premier affrontement d’envergure contre le terrorisme islamiste international ».
    Dès le coup d’État militaire de janvier 1992, les services d’« action psychologique » des généraux « janviéristes » (comme ils seront qualifiés par de nombreux Algériens) qui l’avaient organisé ont en effet fabriqué un formidable storytelling : « Au nom de la démocratie », il était impératif d’annuler une élection qui allait porter au pouvoir des ennemis de la démocratie. Une conviction alors relayée, souvent sincèrement, par certains intellectuels et militants algériens de gauche (surtout francophones) combattant politiquement les promoteurs conservateurs (surtout arabophones) de l’islam politique.
    Des méthodes de manipulation inaugurées par l’armée française
    La grande majorité des citoyens opposés au FIS était toutefois hostile à l’interruption du processus électoral : ils estimaient que les islamistes pouvaient être combattus politiquement, sans recourir à la violence. Tel était d’ailleurs l’objectif de la gigantesque manifestation organisée par le FFS d’Hocine Aït-Ahmed à Alger le 2 janvier 1992, appelant à battre le FIS dans les urnes au second tour. Ce sont pourtant les « thèses » des laïques francophones (très) minoritaires ayant soutenu le coup d’État qui ont rapidement trouvé le plus large écho dans nombre de médias français — lesquels, sur les affaires algériennes, donnent en général le « la » aux médias internationaux. Le discours de ces « éradicateurs », aussi peu représentatifs soient-ils des aspirations de la population, était en effet le plus « audible » par les responsables politiques français. Mais aussi par nombre d’intellectuels et d’anciens militants de gauche ayant soutenu la lutte de libération, tous stupéfaits d’avoir découvert, avec l’émergence du FIS en 1989, que cette ancienne colonie était un pays… musulman. Pour conforter la crédibilité à l’étranger du discours éradicateur, souvent relayé par des journalistes et militants (algériens ou français) aussi sincères que peu soucieux de vérité, les chefs de l’armée et de la police politique – la Sécurité militaire, devenue Département de renseignement et de sécurité (DRS) en 1990 – ont mis en œuvre une stratégie élaborée de répression et de désinformation.
    Ils ont pour cela suivi à la lettre les préceptes de la « doctrine de la guerre révolutionnaire » (DGR) mise au point lors de la guerre d’Indochine par des officiers français, qui les avaient ensuite appliqués pendant la guerre d’Algérie, en particulier lors de la « bataille d’Alger » en 1957. Souvent anciens « déserteurs de l’armée française » à l’époque, les généraux janviéristes ont ainsi déployé les techniques de leurs années de formation (enrichies par leurs apprentissages ultérieurs auprès des polices politiques du bloc de l’Est, KGB, Stasi ou Securitate).
    Cela s’est traduit par la « manière forte » contre les militants islamistes, mais aussi contre tous leurs sympathisants supposés et, au-delà, contre toute la population non inféodée au régime. Conduite à partir de septembre 1992 par une sorte d’état-major secret, le Centre de commandement de la lutte antisubversive (CCLAS), réunissant sous la responsabilité du ministre de la Défense Khaled Nezzar les chefs des forces spéciales de l’armée et du DRS, cette terrifiante répression a rapidement pris la forme d’une « guerre contre les civils », qui a fait des dizaines de milliers de morts, de torturés et de disparus : internements arbitraires (dont quelque 30 000 hommes dans les « camps du Sud » dès 1991 et surtout au printemps 1992, détenus dans des conditions effroyables), déplacements forcés de populations, torture généralisée, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées… Conformément à la DGR, ce terrorisme d’État « clandestin » — car ses « débordements » ont été soigneusement occultés ou niés — s’est accompagné d’un autre volet, indissociable : celui de l’« action psychologique » du DRS. Lui-même décliné de deux façons.
    D’abord par la manipulation de groupes armés se réclamant de l’islam (GIA dès 1992, GSPC en 1997, etc.), par infiltration de vrais groupes ou par création « ex nihilo » de « groupes islamiques de l’armée » (ainsi qualifiés par beaucoup d’Algériens, plus lucides sur la question que nombre de médias français) : une réplique étonnante, à bien plus grande échelle, des manipulations opérées par les services de renseignements militaires français lors de la guerre d’indépendance (y compris par la création de « faux maquis » nationalistes, comme celui de l’« opération Oiseau bleu ») afin de torpiller les maquis de l’ALN. Une désinformation tout aussi méthodique a ensuite été organisée par le service ad hoc du DRS en articulant deux dispositifs : d’une part, l’interdiction systématique de toute enquête indépendante sur place sur les réalités de la « guerre civile » (tous les correspondants permanents de la presse étrangère ont été contraints de quitter le pays en 1992 et 1993, seule l’AFP a pu continuer à publier les dépêches « orientées » de correspondants algériens strictement contrôlés par le DRS) ; d’autre part, le « storytelling » de la prétendue « presse indépendante » francophone sur les exactions des groupes armés se réclamant de l’islam, identifiant celles des groupes indépendants (tous éliminés dès 1995) et celles des « groupes islamiques de l’armée » dirigés par des « émirs » agents du DRS (lesquels faisaient perpétrer les pires crimes par des « djihadistes » manipulés, souvent sous l’emprise de drogues, comme la sinistre pilule d’Artane, dite « Mère Courage »).
    Les témoignages se sont accumulés
    À partir du début des années 2000, la réalité de la « machine de mort » mise en place par les généraux janviéristes et de la désinformation destinée à l’occulter a toutefois été de mieux en mieux documentée et avérée. Cela grâce aux milliers de témoignages de victimes patiemment recueillis dès les années 1990 par de rares avocats déterminés [4], puis par les ONG de défense des droits humains et les associations de familles de disparus, ainsi que par ceux, certes plus rares mais très circonstanciés, de quelques courageux officiers et policiers dissidents ayant dénoncé, sous leur nom, les exactions et les manipulations auxquelles ils avaient assisté (comme le lieutenant Habib Souaïdia en 2001, le capitaine Ahmed Chouchane en 2002 ou le colonel Mohammed Samraoui en 2003, pour ne citer que les plus notoires [5]).
    Mais l’horreur des attentats du 11 Septembre aux États-Unis a rapidement étouffé l’écho de ces révélations dans l’opinion mondiale. En effet, les vrais « décideurs » du régime algérien — non pas les représentants de sa façade civile (président, Premier ministre, etc.), mais les généraux de l’ANP et du DRS — ont vite compris que le meilleur moyen de les étouffer était de « rebondir » sur ce drame. Du coup, leur habile propagande visant à se faire passer pour les premiers (et incompris) « démocrates » ayant eu à affronter le « terrorisme islamiste international » a été prise pour argent comptant par nombre de médias occidentaux, apparemment anesthésiés par des années de désinformation sur la « question algérienne » [6]. Au point de rendre possible l’étonnante décision des magistrats suisses dans l’affaire Nezzar. Et le silence qui continue à prévaloir dans la plupart des médias algériens et occidentaux sur les horreurs de la « sale guerre » des années 1990.
    Alors que l’ouverture d’enquêtes impartiales, aussi limitées soient-elles, pourrait ouvrir le chemin d’un processus judiciaire permettant enfin de faire la lumière sur les crimes commis par les acteurs de ces « années noires », quels qu’ils soient, condition indispensable pour construire une paix durable en Algérie. Pour autant, celles et ceux qui combattent pour la vérité n’ont pas baissé les bras. Et l’exemple argentin montre que, même des décennies après les crimes de masse, leurs responsables peuvent être jugés et condamnés.
    [1] Pour plus de précisions et de références, voir : François Gèze, « Algérie : le général Nezzar rattrapé en Suisse par une plainte pour “crimes de guerre” », Mediapart, 25 octobre 2011. Voir également, sur le site Algeria-Watch, les témoignages des deux plaignants, publiés respectivement en 2003 et 2008 : Ahcène Kerkadi et Seddik Daadi.
    [2] Voir : « Un ancien ministre algérien sera poursuivi en Suisse pour crimes de guerre », Le Temps, 31 juillet 2012.
    [3] Antoine Harari, « Le ministère public de la Confédération classe l’affaire du général Nezzar », Le Temps, 18 janvier 2017. L’auteur de cet article précise : « Au cœur de la décision de classement, la notion de conflit armé telle que définie par le CICR (Comité international de la Croix-Rouge) présuppose deux choses. Qu’il y ait un niveau minimal d’intensité du conflit et la présence de groupes rebelles organisés. »
    [4] Voir notamment Algeria-Watch et Salah-Eddine Sidhoum, « Algérie, la machine de mort », octobre 2003 ; ou encore les dossiers constitués par le Comité justice pour l’Algérie pour la session du Tribunal permanent des peuples sur les violations de droits de l’homme en Algérie, qui s’est tenue en novembre 2004 à Paris.
    [5] Voir aussi la compilation d’une vingtaine d’autres témoignages, loin d’être tous anonymes, publiés à l’époque dans la presse internationale mais apparemment « oubliés » par les observateurs d’aujourd’hui : Algeria-Watch, « Revue de presse internationale, 1994-2002. Les témoignages d’officiers et policiers algériens dissidents », mai 2004.
    [6] C’est sans doute ce « climat » qui a permis la publication en août 2017, dans le grand mensuel de la gauche française qu’est Le Monde diplomatique, d’un article étonnant du journaliste Pierre Daum, « Vingt ans après les massacres de la guerre civile. Mémoire interdite en Algérie ». Donnant une image des Algériens imprégnée du registre orientaliste, cet article balaye d’un revers de main les « doutes sur l’identité des tueurs » exprimés par la population, au motif qu’il n’existerait « aucune preuve à l’appui » de l’implication de l’armée dans les massacres (voir la critique de Salima Mellah). Silence complet sur tous les témoignages publics qui ont permis de documenter depuis des années l’essentiel de la « machine de mort » des généraux algériens. Comme si le fait que les auteurs de crimes de guerre et contre l’humanité aient méthodiquement organisé leur occultation dispensait, car ce serait trop difficile, d’enquêter sur eux (à la différence de ce qu’avait fait l’historien Pierre Vidal-Naquet après l’assassinat de Maurice Audin par les parachutistes français en 1957). Ce qui revient, de facto, à les absoudre de ces crimes.

  6. Avant que je commence à apporter quelques éclaircissements aux lecteurs de LQA et à l’opinion publique algérienne sur cette affaire qui me coûte actuellement 17 ans d’exil, je tiens à remercier mon frère Salah-Eddine pour toutes ces années où il es le seul à m’avoir permis de m’exprimer en toute liberté sur son site et à aucun moment je n’ai subi de censure à travers mes textes avec tout ce qu’ils portent comme provocation envers le régime algérien et vous êtes le seul site de toute la presse algérienne (écrite et audio) à avoir signalé la parution de la deuxième édition du MALG AU DRS en juin 2016. Ceci dit, je suis un peu étonné de trouver dans cet article des signataires qui seraient derrière le classement de l’affaire en 2002 à Paris. Des personnes qui tout au long de ces années ont fait occulter le soleil avec un tamis en utilisant l’illusion de la presse. Nul ne peut ignorer que cette affaire a commencé un certain 24 avril 2001 et à ce moment toutes ces organisations de défense de je ne sais quoi auraient refusés de nous soutenir et c’est dans ce sens là que les plaintes étaient déposés d’une manière individuelle. Et en juillet 2002, ma deuxième plainte (malheureusement soutenu par une ONG fantoche dont une partie de ses militants seraient des agents de certaines officines) a vu son refus grâce à un jeu de coulisse pour sauver l’honneur d’un procès. L’affaire de la Suisse n’a jamais fait peur Nezzar jusqu’au jour où le capitaine Chouchane, le capitaine Haroun sont allé témoigner à Berne puis moi à la demande de la procureure Madame Boillat. A ce moment, un jeu dangereux est apparu de la part de cette ONG TRIAL en faisant assisté un plaignant à certaines audiences clé tel que celle de Nezzar et ali Haroun. La suite est dite un peu plus haut. On n’attrape pas un loup avec un caniche et Nezzar comprend très bien ça. Ce que je constate seulement 17 ans après le début de cette affaire, certaines personnes qui ont nui à cette affaire et à un certain moment ont tout fait pour la capoter s’achète une nouvelle virginité pour paraitre comme une vierge du paradis. Je leur pose une question, imaginons un seul instant, cet ignare de Nezzar décide de balancer tout ce qu’il sait sur cette affaire qui le touche où ils mettront leurs têtes. Même le BD sale des toilettes publique de la gare du nord n’acceptera pas leurs vomissements noires dégagé par un estomac qui a mangé à toutes les ratatouille.
    Bonne soirée.

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