Lettre ouverte à M. Macron : « Nous sommes victimes de déportations arbitraires »

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A l’occasion de la venue du président français au Burkina Faso, les « expulsés de Folembray » veulent interpeller Paris sur leur sort.

Monsieur le Président,

Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, à son ministère à Paris, en juin 1994.
A l’occasion de votre visite prévue à Ouagadougou mardi 28 novembre, nous voulons par la présente attirer votre attention et celle de votre gouvernement sur l’injustice dont nous sommes victimes. Nous sommes les « expulsés de Folembray », c’est du moins ainsi que nous sommes désignés, en référence à la caserne de Folembray située dans le département de l’Aisne, où nous avons été enfermés pendant plusieurs semaines, avant d’être expulsés vers le Burkina Faso.
Charles Pasqua, ministre de l’intérieur de l’époque, a décidé de notre expulsion du territoire suivant un arrêté du 31 août 1994 en vertu duquel nous avons été déportés manu militari par un avion spécialement mis à cette disposition par la France. Il nous est vaguement reproché « l’appartenance à un mouvement structuré » qui, sans qu’il soit expressément nommé dans l’arrêté d’expulsion, aurait prôné « la violence et le terrorisme ».

Accusations infondées

Ces accusations sans preuve ont servi de fondement pour nous arracher à nos familles lors d’une rafle spectaculaire menée par la gendarmerie aux environs de 5 heures du matin. Il est souligné qu’aucune circonstance ne justifiait un tel traitement : nous étions en situation régulière en France et y avions notre résidence habituelle, pour certains d’entre nous depuis plusieurs décennies. Nous étions de surcroît pères d’enfants mineurs nés et scolarisés en France.
La presse française, dont Le Monde, dénoncera des astreintes à résidence « à l’écart de la légalité républicaine » et « des dossiers totalement vides » contre les personnes expulsées. Ces accusations infondées ont par la suite été démenties par les faits et la justice a innocenté ceux parmi nous qui l’ont saisie. Ce n’est pas pour autant que nous avons obtenu le droit de retrouver nos familles, en dépit des démarches faites en ce sens auprès du consulat de France à Ouagadougou.
En tout état de cause, comme la presse l’avait très justement observé, ces expulsions ont été menées en violation flagrante de nos droits fondamentaux. Alors que nous avions saisi le juge administratif, nous avons été expulsés la veille de l’audience qui devait statuersur notre cas. L’un des avocats chargés de notre défense s’en est insurgé en affirmant que : « Le ministre de l’intérieur soustrait les assignés à leurs juges… Ils ne peuvent pas comparaître physiquement à l’audience. On les prive volontairement d’un droit garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. » Outre notre droit à un procès équitable, nous avons été privés de la possibilité d’établir notre innocence.

Déportations arbitraires

La France dont vous êtes l’actuel président se prévaut d’être un fervent garant des droits humains et des libertés fondamentales. C’est pourtant cette France qui nous a déportés illégalement et qui nous contraint à l’exil depuis vingt-trois ans, alors qu’il est établi que nous n’avons commis ni tenté de commettre aucun crime ni délit. Nous sommes victimes de déportations arbitraires, qui nous ont privés notamment de notre liberté et de notre droit à une vie privée et familiale, et qui nous ont condamnés à un exil sans fin.
Certains expulsés ont perdu leur famille. D’autres, qui ont pu conserver des liens avec leurs proches, les ont vus subir, impuissants, et parfois dans un silence destructeur, les conséquences désastreuses de ces expulsions. Il en est même, parmi nous, qui ont perdu la raison du fait de cet exil contraint et forcé. A ce jour, ces atteintes perdurent injustement. Jusqu’à quand allons-nous devoir les subir ?
Notre situation ne doit pas vous laisser indifférent dans la mesure où rien ne justifie le maintien de cet exil et de ses effets insupportables pour nous, mais aussi pour nos familles. Nous vous demandons en conséquence de bien vouloir donner l’instruction aux autorités compétentes de votre pays de mettre un terme immédiat aux arrêtés ministériels décidant notre expulsion au Burkina Faso, de nous permettre de retourner en France et de nous rétablir dans l’intégralité de nos droits.
Monsieur le Président, le 19 septembre, au siège des Nations unies, vous avez déclaré vouloir parler pour « les voix oubliées ». Nous appartenons à ces voix-là. La France a commis une faute il y a vingt-trois ans en nous expulsant. Puis elle nous a ignorés, comme si nous n’existions plus, comme si nos femmes, nos mères et nos pères, nos filles et nos fils, n’avaient jamais eu de mari, de fils, de père. Mais nous sommes bien vivants. Tant que nous aurons la force de nous battre, nous serons là pour vous le rappeler.
Fait à Ouagadougou, le 11 octobre 2017.

Signataires Mohammed Chelleh, Mohammed Doumi, Abdelkader Mechkour, Sofiane Naami, Omar Saker et Ahmed Simozrag.

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