Entre l’Orient et l’Occident.

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1967

 
‘’Les cultures les plus avancées ont rarement proposé à l’individu autre chose que l’impérialisme, le racisme et l’ethnocentrisme pour ses rapports avec des cultures autres.’’
Edward Saïd – Intellectuel Palestinien (1935-2003)

Si le sens de la philosophie européenne, se confine dans l’universalisme de la Raison, alors les philosophes, fonctionnaires de l’humanité qu’ils sont, doivent déchiffrer l’Histoire de cette même raison. Et surtout explorer le pourquoi des sciences européennes tant vantées et la culture dans laquelle elles se développent en quoi sont-elles plus valables que les autres mythologies et croyances gouvernant la vie culturelle des sociétés non-européennes, ici orientales ?
Si les grandes invasions, conquêtes et croisades européennes ont été toujours vues comme une hégémonie pour une mainmise matérielle, leur rationalité doit être originairement pensée dans son fondement historique et apodictique, comme une apologie métaphysique, apocryphe à sa genèse.
Le Logos grec n’avait pas de contraire, mais l’Homme européen depuis le fond du Moyen Age a rapport à quelque chose qu’il appelle confusément : Folie, Démence, Déraison.
C’est peut-être à cette présence obscure que la Raison occidentale doit quelque chose de sa profondeur. En tout cas, le rapport Raison-Déraison constitue pour la culture occidentale une des dimensions de son originalité.
Qu’est-ce que donc que cet affrontement au dessus de la raison ?
Vers quoi pourrait conduire une interrogation qui ne suivrait pas la raison dans son devenir horizontal, mais chercherait à retracer dans le temps sa verticalité constante qui tout au long de la culture européenne, la confrontera ce qu’elle n’est pas, la mesure à sa propre démesure ?
Vers quelle région ira t-elle qui n’est ni l’histoire de la connaissance, ni l’histoire tout court, qui n’est commandé ni par la téléologie de la vérité, ni par l’enchainement rationnel des causes, lesquels n’ont valeur et sens qu’au-delà du partage ? Une région, sans doute, où il serait question plutôt des limites que de l’identité d’une culture.
On pourrait faire une histoire des limites – de ces gestes obscurs, nécessairement oubliés dés qu’accomplis, par lesquels une culture rejette quelque chose qui sera pour elle l’Extérieur ; et tout au long de son histoire, ce vide creusé, cet espace blanc par lequel elle s’isole la désigne tout autant que ses valeurs.
Car ses valeurs, elle les reçoit, et les maintient dans la continuité de l’histoire ; mais en cette région dont il faut parler, elle exerce ses choix essentiels, elle fait le partage qui lui donne le visage de sa positivité ; là se trouve l’épaisseur originaire où elle se forme.
Interroger une culture sur ses expériences limites, c’est la questionner, aux confins de l’histoire, sur un déchirement qui est comme la naissance de son histoire.
Alors se trouvent confrontées, dans une tension toujours en voie de se dénouer, la continuité temporelle d’une analyse dialectique et la mise au jour, aux portes du temps d’une structure tragique.
Au centre de ces expériences-limites du monde occidental éclate, bien entendu, celle du tragique comme structure à partir de laquelle se fait l’histoire qui n’est autre que le refus, l’oubli et la retombée silencieuse de la tragédie.
Autour de celle-ci, qui est centrale puisqu’elle noue le tragique à la dialectique de l’histoire dans le refus même de la tragédie par l’histoire, bien d’autres expériences gravitent. Chacune, aux frontières culturelles, trace une limite qui signifie, en même temps, un partage originaire, dont le plus grand est celui qui est entre l’Occident et l’Orient.
L’Orient n’est pas seulement le voisin immédiat de l’Occident, il est aussi la région où l’Ouest a créé les plus vastes, les plus riches et les plus anciennes de ses colonies, la source de ses civilisations et de ses langues, il est son rival culturel et lui fournit l’une des images de l’Autre qui s’impriment le plus profondément en elle. De plus, l’Orient a permis de définir l’Occident par contraste: son idée, son image, sa personnalité, son expérience. La culture européenne s’est renforcée et a précisé son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme impossible et inatteignable d’elle-même.
Dans l’universalité de la rationalité occidentale; il y a ce grand partage qu’est l’Orient: l’Orient, pensé comme l’origine, rêvé comme le point vertigineux d’où naissent les nostalgies et les promesses du retour, l’Orient offert à la raison colonisatrice de l’occident, indéfiniment, inaccessible car il demeure toujours la limite: nuit du commencement, en quoi l’Occident s’est formé, mais dans laquelle il a tracé une ligne de partage, l’Orient est pour lui tout ce qu’il n’est pas, encore qu’il doive y chercher ce qu’est sa vérité primitive.
Il faudrait faire une histoire de ce grand partage, tout au long du devenir occidental, le suivre dans sa continuité et ses échanges, mais le laisser apparaître aussi dans son hiératisme tragique.
Il faudra aussi raconter d’autres partages ; dans l’unité lumineuse de l’apparence, le partage absolu du rêve, que l’homme ne peut s’empêcher d’interroger sur sa propre vérité – que ce soit celle de son destin ou de son cœur.
Il faudra faire aussi l’histoire et par seulement en termes d’ethnologie, des interdits : dans cette culture elle-même, parler des formes continuellement mouvantes et obstinées de la violence et répression, et non pas pour faire la chronique de la moralité ou de la tolérance, mais pour mettre un jour, comme limite du monde occidental et origine de sa morale, le partage tragique du monde heureux du désir.
Devant tant de questions dans lesquelles la Raison de l’Occident s’est fourvoyée, l’Histoire se meut trop lentement pour que notre conscience impatiente du vrai, trouve la paix.
Tout au plus une esquisse de réponse peut être pensée, mais pas avant que de nouvelles réflexions théoriques, ne taillent leur brèche dans le mur de la dérision de l’onirisme occidental.
Khaled Boulaziz

2 Commentaires

  1. Lamartine sur le Prophète (psl)
    « Jamais homme ne se proposa volontairement ou involontairement un but plus sublime puisque ce but était surhumain : saper les superstitions interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie.
    Jamais homme n’accomplit en moins de temps une si immense et durable révolution dans le monde, puisque moins de deux siècles après sa prédication, l’Islamisme, prêché et armé, régnait sur les trois Arabies, conquérait à l’unité de Dieu, la Perse, le Korassan, la Transoxiane, l’Inde Occidentale, la Syrie, l’Égypte, l’Ethiopie, tout le continent connu de l’Afrique septentrionale, plusieurs îles de la Méditerranée, l’Espagne et une partie de la Gaule.
    Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mohammed ?
    Les plus fameux n’ont remué que des armes, des lois, des empires ; ils n’ont fondé, quand ils ont fondé quelque chose,
    que des puissances matérielles, écroulées souvent avant eux.
    Celui-là a remué des armées, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d’hommes sur un tiers du globe habité ; mais il a remué, de plus, des idées, des croyances, des âmes.
    Il a fondé sur un livre dont chaque lettre est devenue loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toutes les langues et de toutes les races, et il a imprimé pour caractère indélébile de cette nationalité musulmane la haine des faux dieux et la passion du Dieu un et immatériel.
    Ce patriotisme, vengeur des profanations du ciel, fut la vertu des enfants de Mohammed.
    L’idée de l’unité de Dieu, proclamée dans la lassitude des théogonies fabuleuses, avait elle-même une telle vertu, qu’en faisant explosion sur ses lèvres, elle incendia tous les vieux temples des idoles et alluma de ses lueurs un tiers du monde.
    Cet homme était-il un imposteur ? Nous ne le pensons pas, après avoir étudié son histoire.
    L’imposture est l’hypocrisie de la conviction. L’hypocrisie n’a pas la puissance de la conviction, comme le mensonge n’a jamais la puissance de la vérité. »
    Si la force de la projection est, en mécanique, la mesure exacte de la force d’impulsion, l’action est de même, en histoire, la mesure de la force d’inspiration.
    Une pensée qui porte si haut, si loin et si longtemps est une pensée forte ; pour être forte, il faut qu’elle ait été bien sincère et bien convaincue. Mais sa vie, son recueillement, ses blasphèmes héroïques contre les superstitions de son pays, son audace à affronter les fureurs des idolâtres, sa constance à les supporter quinze ans à la Mecque, son acceptation de scandale public et presque de victime parmi ses compatriotes, sa fuite enfin, sa prédication incessante, ses guerres inégales, sa confiance dans les succès, sa sécurité surhumaine dans les revers, sa longanimité dans la victoire, son ambition toute d’idée, nullement d’empire, sa prière sans fin, sa conversation mystique avec dieu, sa mort et son triomphe après le tombeau : plus qu’une imposture, une conviction.
    Ce fut cette conviction qui lui donna la puissance de restaurer un dogme. Ce dogme était double, l’unité de dieu et l’immatérialité de Dieu, l’un disant ce que dieu est, l’autre disant ce qu’il n’est pas ; l’un renversant avec le sabre des dieux mensonges, l’autre inaugurant avec la parole une idée !
    Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Mohammed.
    À toute les échelles où l’on mesure la grandeur humaine, quel homme fut plus grand ? »
    A. de Lamartine
    Histoire de la Turquie, 1854
    Alphonse Marie Louis de Prat de Lamartine fut un poète, écrivain, historien, et homme politique français né à Mâcon le 21 octobre 1790 et mort à Paris le 28 février 1869.

  2. «. Peut-être faudrait-il plutôt se demander pourquoi les peuples européens ont-ils été des peuples colonisateurs ? Pourquoi certains pays agressés se sont laissé coloniser, alors que d’autres ont livré des combats absolument féroces pour ne pas vivre sous la férule des puissances étrangères, ça c est la question qui tue

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