Fuite

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lièvreCertains vocables ont une telle faculté de se métastaser qu’on les retrouve même là ils ne devraient pas y être. Lourds de sens, ils se suffisent à eux même et nul besoin de les adjectiver. « Fuite » en est de ceux-là.  En abordant ce thème, me vient à l’esprit une anecdote, vécue il y a quelques décennies. Cela remonte aux années de l’Algérie industrialisant à tour de bras. Les usines poussaient comme des champignons et certaines éprouvaient un mal fou à démarrer. Pour l’une d’entre elles, grande consommatrice d’eau, on fit appel à une coopération technique étrangère pour nous conseiller sur ce qu’il y a lieu de faire pour la faire fonctionner. Après une visite diagnostique, les experts unanimes, nous disent : « vous avez une belle usine mais nous sommes étonnés de votre acharnement à tenter de l’exploiter dans son état actuel. Elle fuit de partout et c’est comme si vous essayez de faire rendre un jeuneur : au mieux vous obtiendrez de la bile. La première des choses à faire est donc de colmater toutes les brèches par lesquelles s’échappe sa force vive, c’est-à-dire l’eau, la vapeur et la matière… »
« Sethrawla el hem i sarr » : sauve qui peut c’est la dèche. Pour les mélomanes qui connaissent le répertoire du chantre  Kabyle : Feu « Cheikh El Hasnaoui », on ne peut parler de « fuite » sans penser à fredonner son  célèbre succès : « La Maison Blanche ». S’il était encore de ce monde,  l’illustre artiste verrait, qu’à plus de soixante ans de distance, sa poésie n’a pas pris une seule ride et qu’il pourrait, en l’ajustant à une affligeante factualité, la resservir, quitte à lui adapter un arrangement musical plus en rapport avec l’instrumentation et les mélodies contemporaines. Nombreux seront alors ceux qui se reconnaitront, dans l’air, le verbe, le nom et l’adjectif, dans l’objet et le sujet, car  le pays, tel une vielle barrique ébréchée, fuit de partout et éclabousse par tous les orifices. Entre ceux qui font fuir, ceux qui fuient et ceux qui organisent les fuites ; entre les fuites d’hommes, de cerveau, de capitaux, d’examens, de l’informations, de l’énergie ; entre les fuites de responsabilité, les faux fuyants et les fuites en avant des hommes et du système politique, il n y a que l’embarras du choix. Tout un ensemble qui contribue allègrement à ce que ce microcosme qu’est l’Algérie erre sans repères dans le vide sidéral de l’incertitude, à l’instar de la fuite éperdue des galaxies.
En avion, en bateau, sur des barques de fortune, comme pour souscrire à une injonction maléfique, les jeunes Algériens fuient leur pays sans regret ni regard dans le rétroviseur. Jadis bénie, du temps où « Ya rrayah » de Feu « Dahmane El Harrachi » unifiait  « El ghorba » et l’enfer de l’exile, la terre natale est soudainement devenue repoussoir, autant pour une jeunesse désœuvrée, aimantée par l’élixir carte postale made in « la bas », que pour une population  socio économiquement bien assise. Si l’insécurité des années de braise, communément appelées décennie noire, est pour une part dans la décision de s’exiler, il serait abusif de conclure qu’elle est exclusive quant à l’origine de ce phénomène, n’étant tout au plus que l’accélérateur. Il est vrai que l’Algérie n’est pas l’exception et que l’émigration  est un phénomène global qui touche nombre de pays du sud, mais il est insensé de se consoler de la sorte en la mettant  sur le même pied d’égalité que le Mali, le Niger ou la Somalie entre autres. Là encore, il y a comme une spécificité Algérienne que les Sociologues, psychologues, démographes auront bien du mal à disséquer. En attendant le pays se vide de sa sève, de ce qu’il a de plus précieux, à savoir sa matière grise, laissant ainsi un vide incommensurablement préjudiciable pour tous, sauf pour les aventuriers, les charlatans, les médiocres et parasites qui, en le squattant, tirent les ficelles, fondent un autre pays, formatent un autre peuple, l’œil rivé sur  les dividendes.
Voyager, tenter l’aventure, faire sa vie ailleurs sont, dans certaines circonstances, lorsque cela relève du libre choix individuel, des comportements naturels, respectables et enrichissants. Mais Les mouvements massifs de population sont par contre souvent néfastes, parfois criminels, car ils signifient soit une colonisation de peuplement, soit une fuite devant le danger ou une déportation forcée. Ce qui arrive à l’Algérie depuis plus de deux décennies s’apparente à une de ces catégories car les partants fuient, en masse, parfois indépendamment de leur volonté, souvent par ce qu’ils ont le sentiment que le pays n’offre que le vide, le sang et les larmes. Ne pressentant aucun signe d’amélioration futur, souffrant de ne  pouvoir être d’une quelconque utilité,  ils ont perdu toute confiance en l’avenir de leur pays et tentent d’offrir, au moins à leur progéniture, les conditions d’une vie meilleure sous d’autres cieux. Si d’aucuns éprouvent encore quelques hésitations, certains apparatchiks  se chargent de les lever en leur donnant l’exemple. Le drame est qu’il s’agit d’une élite formée à grands sacrifices et dont le pays ne peut se passer sans le risque d’accélération du processus de délabrement. Certains n’hésitent pas à stigmatiser les « fuyards », jusqu’à les tenir pour responsables de la décadence. Tenir ce raisonnement, c’est méconnaitre les fondements du phénomène et c’est surtout  absoudre les forces du mal qui font tout pour leur « faciliter » le départ. Si ceux qui résistent sur place ont pour eux le mérite de leur résilience, ceux qui fuient ne portent aucunement l’anathème de leur départ. Les responsabilités sont ailleurs : elles sont dans le système politique dont la mécanique repose sur des rouages abscons, évoluant en eau trouble,  qui ne sauraient souffrir la proximité d’une élite dont la raison d’être est de cultiver la transparence. Dès lors, il est à se poser la question de savoir, au moins pour l’élite, si le vide ainsi crée ne relève pas d’une stratégie visant à se débarrasser des voix discordantes, des empêcheurs de tourner en rond, des « mouchawchin » comme aime à les désigner une ancienne camarilla. Ce ne serait alors que la généralisation, le remake d’une méthode  naguère utilisée pour museler une certaine opposition politique.
Les hommes fuient, les capitaux les précèdent et/ou les suivent. Un ancien premier ministre, dont le nom fardé du sobriquet « la science » courait sur toutes les lèvres, avait jadis lancé dans la marre le fameux pavé des vingt-six milliards de dollars de « pots de vin ». C’était comme par hasard l’équivalent de la totalité de la dette Algérienne. Récemment, à près de trente ans d’intervalle, c’est un autre ministre de la République qui fait étalage, dans l’indifférence d’un fait divers, d’une technique de transfert illicite fondée sur la surfacturation de certaines importations annonçant même un taux moyen de 30 %. Même certains produits soutenus et le pétrole ont décidé de prendre la poudre d’escampette par la frontière ouest. Un autre ministre de la même République avance un chiffre dépassant les deux milliard de dollars.
Ailleurs, sur les trottoirs, pour compléter les circuits « officiels » des fuites illicites, c’est le change parallèle, au vu et su des autorités, qui permet à l’argent mal acquis de se métamorphoser à l’air libre avant de rejoindre l’autre rive pour garnir les coffres ou y être investi, en off-shore ou dans l’immobilier notamment. Dans tous les cas les maîtres mots/maux à l’origine de ces fuites sont la corruption et le « trabendo » ou marché informel : Deux faces de la même médaille, des domaines dans lesquels le règne de l’omerta et de l’opacité ne saurait s’accommoder de la contrainte d’un contre poids élitaire et partisan de la transparence. A défaut de thérapie locale, Dieu fasse que l’ironie du sort s’accomplisse, que les Paul Assange et autres lanceurs d’alerte prolifèrent, que les journalistes d’investigation polluent l’atmosphère et la rendent irrespirable à tous les flibustiers. Ce ne serait qu’un juste retour de manivelle, une fuite qui se jouerait des fuites.
Fuite, fuite, encore des fuites toujours des fuites. Fuir ou laisser fuir ; la pluie elle-même ne fait que transiter avant d’aller rejoindre la mer, emportant chaque fois avec elle un peu du sol de nos ancêtres. Quant au soleil, ses rayons se perdent dans l’immensité du désert se contentant au mieux de nous soulager de nos rhumatismes. Fuite d’une énergie gratuite pour la puiser ailleurs, là il suffit de forer pour l’extraire. Fuite, toujours des fuites : Du baccalauréat aux divers concours de hautes études, il ne se passe pas un examen important sans qu’il en soit entaché. Combien de concours ont été refaits, combien de commissions d’enquête sont restées lettres mortes ? Fuite, toujours des fuites : la fuite du quotidien par des Algériens qui pensent trouver dans la « zetla » la thérapie idoine aux tourments d’une existence insipide. Témoin la quantité de plus en plus impressionnante de drogue consommée, aussi gage de la bienveillante attention de nos frères et voisins de l’ouest à notre égard.     Au bout : toujours l’argent sale. Un argent qui souille le politique, l’économique, le culturel, le cultuel, qui souille l’atmosphère, fait suffoquer les honnêtes gens,  les pousse vers le banc de touche, la porte de sortie voire l’incarcération… Et la fuite de responsabilité ! Une tare de plus, qui fait reposer, sur le programme d’un Président, sur les épaules d’un seul homme, diminué qui plus est, le destin de tout un peuple. Point de Responsables, point d’élus, que des hommes de mains, des nervis engoncés dans la fuite en avant d’un système aveuglé par la rente, qui refuse de voir et d’affronter une réalité complexe, préférant user de subterfuges et s’agripper à un statuquo  qui à terme s’avèrera nécessairement mortifère.
La fuite n’est pas toujours salvatrice malgré un célèbre adage populaire « el harba t’sellek ». Elle peut l’être quand elle a pour finalité de s’éloigner le plus possible d’un danger potentiel et, même dans ce cas, il faudrait alors courir plus vite que lui. Quand on fait du sur- place, quand on tourne en rond, comme nous le faisons présentement, le plus judicieux serait de colmater les brèches, d’user parcimonieusement son énergie pour s’armer en conséquence et  faire face à l’adversité. C’est peut-être dans la lignée de cette logique que, craignant un vide institutionnel, une béance mortelle pour la souveraineté Nationale, un groupe de 19 personnes a récemment demandé à être reçu par le Président de la République, pour s’assurer que c’est bien lui qui est à la barre. Une d’entre elles, une personnalité, vient de déclarer à un grand journal : « Ce qui me fait peur et m’inquiète le plus est que, les mêmes forces qui au XIX siècles ont poussé certains états à conquérir d’autres pays, sont de nouveau en branle avec des complicités internes ». L’histoire étant un éternel recommencement, ceux qui l’ignorent sont condamnés à la vivre. Il est par conséquent à craindre que l’élargissement de ce vide, cause et effet de toutes ces fuites sciemment provoquées, ne débouche in fine sur la « livraison » du pays, démuni de ses défenses immunitaires, à toute une meute de prédateurs en embuscade. Un pays aussi riche, ça suscite des convoitises et le contexte international leur est on ne peut plus favorable.
 
 
Kebdi Rabah.
 
 
 
 
 
 
 

3 Commentaires

  1. J ESPERE QUE JE ME TROMPE MAIS JE N AI JAMAIS CRU A LA MAIN DE L ETRANGER !!!! on nous l a rabache tellement de fois …elle a servi A ENTRETENIR LA DICTATURE ET A PERMIS A DES ENERGUMENES DE TOUT GENRE DE SE CONFONDRE AVEC L ETAT POUR RAFFERMIR L IMPUNITE …..CERTES C EST DE BONNE GUERRE QUE CES PUISSANCES SEMENT LE TROUBLE POUR FAIRE PROSPERER LEURS INETRETS
    MAIS NOUS QU AVONS NOUS FAIT ET QUE FAISONS NOUS ENCORE..LE PILLAGE DU PAYS CONTINUERA S….
    NOUS SOMMMES TOUS DEVENUS DES PANTOUFFLARDS ON VEUT LA LIBERTE LA DEMOCRATIE ET LA JUSTICE EN RESTANT CHEZ NOUS EN PANTOUFFLES ET PYJAMAS EN ESPERANT UN JOUR QU UNE RACE DE SUPERMANS APPELEE OPPOSITION PUISSE S OPPOSER A CETTE SITUATION…DANS LES RUES DE NOTRE VILLE JE VOIS DES BIDONS VERTS EN GUISE DE CORBEILLES A DECHETS FABRIQUES PAR UN APPRENTI FERRONIER CABOSSES ET TRES AFFIGEANTES DEFFIGURANT COMPLETEMENT LA VUE DE L AVENUE…..COMMENT DE TELLES FERRAILLES ONT ELLES PUT ETRE ACHETEE PAR LA COMMUNE…LE DRAME C EST QU ELLE SONT PLNTEES PARTOUT….DANS L IMPUNITE…QUANT POURRONS NOUS DEVENIR UNE VRAIS SOCIETE QUI ARRIVERA UN JOUR A MAITRISER SES DECHETS QUI RENDENT REPOUSSANT ETIMPOSSIBLE LES NOTIONS DE CADRE DE VIE….LA SOCIETE NE SEMBLE PAS SEULEMENT RESIGNEE…A FORCE D ACCEPTER L INACCEPTABLE ON FAIT DE NOUS CE QUE L ON VEUT ET C EST AINSI QUE L ON S EST IMPOSEE UNE TERMINOLOGIE QUI EXPRIME BIEN CE QUE NOUS SOMMES…

  2. Merçi pour cet article M. Kebdi, vous avez brassé large. En ce qui concerne la fuite des capitaux et les dernières révélations dites Panama Papers je m’attendais à un sursaut d’orgueil de nos «députés» mais je me suis rendu compte que même la dignité a quitté le pays ( du moins le parlement) puisque les «élus» au lieu de demander des explications au ministre impliqué, ils ont pris sa défense. C’est ahurissant.

  3. Bel article;
    un pays riche 5 fois plus grand que la France est fui par se enfants par la cause d un régime qui ne cherche que ses intérêts immédiats et qui préfère traiter avec des étrangers plutôt qu avec les locaux épanouis dans un environnement plus propice -état de droit- Le risque est gros. Un continent vide de ses habitants ne peut qu attirer des tentations. 60 millions de japonais vivent sur un rocher . Un beau jour des forces décréteront que pour l équilibre du monde L DZ devrait être réoccupee dune manière ou d une autre.L DZ a vocation d être un pays d immigration sa gouvernance en a fait le contraire.Des parents qui ont jadis refuse de s exiler alors qu ils en avaient les moyens regardent avec amertume leurs enfants quitter le pays.
    Je suis navre de le dire devant cet état de fait  » Point de Responsables, point d’élus, que des hommes de mains, des nervis engoncés dans la fuite en avant d’un système aveuglé par la rente, qui refuse de voir et d’affronter une réalité complexe, préférant user de subterfuges et s’agripper à un statuquo qui à terme s’avèrera nécessairement mortifère  » seul le MAK aurait raison car il sauve une partie des meubles.
    salutations

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