Idée religieuse et Idéologie

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1946

                                   

 

BenabiPour répondre au questionnement suscité par la première édition arabe parue en 1957 au Caire, Bennabi a rajouté à la deuxième édition arabe, parue également au Caire en 1960, des Conditions de la renaissance un long développement sur le rôle de l’idée religieuse dans la genèse de la civilisation.

Nous connaissons la fameuse équation qu’il a donnée de la civilisation :

Civilisation = Homme + Sol + Temps

Il nous avertit cependant que cette équation ne doit pas se lire sous une forme algébrique mais sous une forme chimique comme celle qui constitue, par exemple, l’eau où Eau = Hydrogène (deux molécules) + Oxygène (une molécule). Or cette réaction chimique ne peut avoir lieu qu’en présence d’une catalyse qui l’enclenche.

Dans la genèse de la civilisation c’est l’idée religieuse qui constitue précisément cette catalyse en transformant l’élément moteur de l’équation, c’est-à-dire l’homme, d’un état statique à un état dynamique lui permettant de socialiser le temps et de transformer les produits du sol.

Je pense que les interrogations des lecteurs de Bennabi, et à mon avis cela n’a pas beaucoup changé depuis 1960,  portaient aussi sur la définition de l’idée religieuse.

Est-ce que le champ de définition de l’idée religieuse est strictement le même que celui de la religion ?

Voyons ce que nous dit le dictionnaire sur la définition de la religion : « c’est l’ensemble des croyances, des rituels, des dogmes établissant les rapports de l’homme avec la divinité ou le sacré ». Cette définition de base a l’avantage d’englober toutes les manifestations religieuses qu’elles quelles soient même si le mot « dîn » en arabe recouvre un champ plus large.

Mais en quoi une croyance transcendante, c’est-à-dire qui dépasse l’horizon humain peut-elle avoir une incidence ou une influence sur la dynamique sociale ?

Prenons l’exemple de la prédestination chez les protestants et surtout ceux qui suivent l’enseignement de Jean Calvin. La prédestination dans cette religion affirme que le salut est déterminé de toute éternité par Dieu et que les œuvres n’y feront rien. De prime abord cette croyance nous incite à penser que c’est la fatalité qui guette les adeptes de cette religion les poussant à l’apathie et à l’inertie puisque les actions et les efforts humains sont inutiles.

Cependant, historiquement ce fut exactement l’inverse car les protestants ont voulu savoir qu’elle était la décision divine les concernant en essayant de la manifester pour déterminer s’ils font partie des élus. Cette manifestation passe par la richesse et l’accumulation de biens. Si le protestant réussit socialement en devenant riche ou tout au moins aisé, c’était pour lui la manifestation de l’élection divine. Quant un groupe donné prône pareille émulation pour ses adeptes, c’est la société toute entière qui enclenche une dynamique sociale.  Le sociologue et penseur allemand Max Weber a émis cette thèse dans son livre le capitalisme et l’éthique du protestantisme.

Mais si nous revenons à la problématique bennabienne, nous pouvons constater que c’est la promesse du Paradis qui a poussé les protestants à transformer radicalement leur société par un développement économique important.

Si nous utilisons le vocabulaire technique de Bennabi, nous dirons que c’est la Promesse majeure, le Paradis dans l’au-delà, qui permet de concrétiser la Promesse mineure, la réussite matérielle ici-bas.

Cette approche reste insuffisante lorsqu’il s’agit non plus d’individus mais de sociétés. C’est là que la notion d’idéologie prend toute son importance.

Revenons à la définition du dictionnaire en ce qui concerne cette fois-ci le concept d’idéologie.

« C’est l’ensemble des représentations dans lesquelles les hommes vivent leurs rapports à leur conditions d’existence. »

Cette définition renvoie au contenu d’une idéologie mais ne nous dit rien sur son influence ou son rôle.

Et c’est là que l’apport de Bennabi devient primordial.

Bennabi, dans sa démarche fonctionnaliste, approfondie plus tard dans sa dernière étude sur Le rôle et la mission du musulman dans le dernier tiers du XXème siècle, nous explique qu’une idée ne devient une idéologie que si elle satisfait à trois critères : la tension, l’intégration et l’orientation.

La tension pour permettre la dynamique sociale.

L’intégration pour préserver la cohésion sociale, l’unité d’action.

L’orientation pour que l’action collective ne soit pas vaine.

Ces trois fonctions sont activées par la Promesse que sous-tend l’Idée.

Nous voyons ainsi que le champ d’action sociale de l’idée religieuse et de l’idéologie tel que définie par Bennabi est strictement le même et nous pouvons même dire qu’elles se confondent dans leur action.

Mais on peut objecter qu’il a existé des idéologies qui avaient le même rôle sans qu’on puisse les assimiler à l’idée religieuse tel le communisme par exemple.

En 1917, le communisme possédait les trois fonctions, la tension, l’intégration et l’orientation.

Mais quelle était alors sa Promesse ?

Sa promesse mineure a été lancée par Lénine : « le communisme c’est les soviets plus l’électricité ». Il affirmait par ce slogan que le communisme permettait une organisation sociale juste et un développement économique.

Sa promesse majeure a été popularisée par Karl Marx dans son livre la critique du programme de Gotha : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Or ce but ultime du communisme est l’élaboration d’un paradis matérialiste dont la concrétisation est renvoyée à un « au-delà » qui dépasse les perspectives humaines. Et c’est en ce sens que Bennabi assimile le communisme à une idée religieuse. Le communisme s’est effondré lorsque la croyance dans la promesse majeure, le paradis matérialiste, a disparu entraînant la perte des trois fonctions de son idéologie et donc de son efficacité qui assurait sa promesse mineure, le développement économique.

Nous voyons ainsi que l’idée religieuse, sur le plan de l’action sociale, englobe plus que le concept de religion.

Dans tout ce qui vient d’être développé, rien n’a été dit sur le contenu de l’idée religieuse ni de l’idéologie et encore moins de la religion.

Toute l’œuvre de Bennabi s’est intéressée au rôle social des idées et de leur efficacité à produire le bien social.

A l’exception notable de son ouvrage qui a inauguré son entrée dans le monde des idées, le phénomène coranique, où il s’est penché sur l’authenticité du message coranique.

Dans une interview publiée par le quotidien El Moudjahid du 18 octobre 1968 et à la question : « Quand vous parlez de religion et de croyance, est-ce au sens strict du terme, ou entendez-vous cela comme une sorte d’éthique ? », Bennabi répond : « Agir contre le mal, établir l’égalité, la rétablir ! Or  toutes ces notions n’ont un contenu que par l’islam. Non pas l’islam dans une perspective métaphysique débouchant sur le paradis ou sur l’enfer, mais un islam conduisant à deux notions essentielles : la dignité de l’homme récupérée et le rétablissement de la justice sociale. »

Abderrahman Benamara

Alger, le premier mai 2016

 

1 COMMENTAIRE

  1. Rahimahou Allah! Tel fut le mobile qui nous avait poussé à prendre les armes en 1954 pour nous libérer du colonialisme français. Malheureusement, aujourd’hui, il semble que nous l’avons oublié!
    Salam

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