Développement et Révolution culturelle

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Benabi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les années quatre vingt du siècle précédent avec les élections de Margareth Thatcher en Grande Bretagne, Ronald Reagan aux Etats Unis prônant une politique économique ultralibérale  d’un côté et l’effondrement de l’URSS et son système économique communiste de l’autre ont semblé marquer la fin d’une compétition entre deux modèles économiques.

Le slogan du libéralisme, laisser faire-laisser passer, a été étendu à la dérégulation de pans entiers des secteurs économiques et financiers avec une réduction de l’intervention des pouvoirs publics, la privatisation soutenue du secteur public sans aucune limitation y compris ceux du service public, une diminution drastique des dépenses sociales ainsi que parfois un abaissement de l’impôt direct.

La chose semble entendue, le libéralisme débridé règne en maître dans les pays occidentaux et les institutions internationales qu’ils dominent. S’il existe un bémol dans certains autres pays, cela semble plutôt relever d’une culture politique différente de celle des pays occidentaux où le pouvoir politique rechigne à laisser échapper la moindre parcelle de pouvoir où qu’elle se situe.

Cette situation dominante semble plus relever de l’action d’agents politiques que de l’excellence de ce système économique où les dégâts sociaux occasionnés conjugués à l’autisme des possédants que les crises économiques et financières n’ébranlent qu’un temps.

Cette question du choix d’un système économique n’a jamais été pertinente dans la pensée de Bennabi dont l’intérêt s’est surtout porté sur les conditions du développement économique ou pour reprendre sa terminologie sur les conditions de la dynamique sociale.

Le titre de son livre le musulman dans le monde de l’économie illustre parfaitement sa vision. Il faut rappeler que si Bennabi cite le cas du musulman, son propos concerne toute société située en dehors de la civilisation c’es-à-dire toute société qui n’est pas maîtresse de son destin.

Il nous décrit une société qui a ignoré durant des siècles le développement économique pour ne se soucier que d’une économie de subsistance, une économie qui n’a pour objectif que de perpétuer l’espèce. Le terme même d’économie semble disproportionné pour une telle pratique.

     Cette société n’a pas découvert l’économie par sa propre évolution interne mais par mimétisme des sociétés occidentales. Ce nouvel univers lui reste largement étrange comme toute chose qui ne provient pas d’elle-même. Cette situation ne peut qu’engendrer des attitudes infantiles et c’est par le terme péjoratif d’économisme que Bennabi la fustige : « être homo œconomicus et n’être que cela ».

Dans l’acception bennabienne, l’économisme est sensiblement différent de la signification que lui ont donnée les communistes qui à la suite de Lénine critiquant le gauchisme, comme une maladie infantile du communisme, ont voulu s’attaquer à ceux, parmi eux, qui réduisaient le communisme à une simple théorie économique. Elle se rapproche plutôt de ceux qui nient que la construction et les faits sociaux ne s’expliquent que par les rapports économiques. Elle s‘en éloigne par l’approche civilisationnelle où la notion de dynamique sociale est primordiale.

En mettant l’économisme à l’index, Bennabi met à nu ce trait d’esprit de la chose unique, de la panacée, oubliant tout le reste, « seule l’économie nous sauvera », qui au fond dénote surtout une paresse de l’esprit.

En grand pourfendeur des illusions, il met ainsi l’économisme au pilori après avoir tordu le coup à celle qui voulait faire accroire que tous les maux des pays nouvellement indépendants n’étaient dus qu’au colonialisme.

En fin observateur des sociétés post-civilisées –ce concept ne se comprend pas comme un dépassement de la civilisation à l’instar, par exemple de la postmodernité conçue comme un dépassement de la modernité, comme une étape ultérieure mais par une sortie de la civilisation, comme une décadence-, il note leur engouement pour l’attrait de la chose qu’il critique sous le nom de choséisme et de leur possession chaotique flétrie sous le vocable d’entassement.

Le musulman dans le monde de l’économie ne propose aucune théorie ou système économique – même si l’approche économique de Bennabi n’est pas exempte de la nécessité d’une économie éthique basée sur les préceptes islamiques- mais la vision d’une société à un moment donné de son histoire.

Par ailleurs, il nous donne l’exemple des deux états allemands créés après la seconde guerre mondiale, la République Fédérale d’Allemagne et la République Démocratique Allemande qui furent les premières puissances économiques de leur bloc idéologique respectif en Europe, le capitaliste et le communiste montrant ainsi que c’est surtout la culture allemande au travail qui réussit ce qu’il est convenu d’appeler le « miracle allemand », relever un pays détruit par la guerre pour en faire une puissance de premier ordre.

C’est l’exemple le plus frappant de sa démonstration mais il en évoque un autre, celui de la comparaison entre la Chine communiste et du Japon capitaliste qui vont eux aussi hisser leur pays au niveau de puissance des Grands de ce monde.

Si la culture allemande, fer de lance de la civilisation occidentale, a permis de soutenir l’énorme effort de reconstruction de l’Allemagne, la Chine et le Japon ont eu besoin de révolutionner la leur, en éliminant les idées mortes et les idées mortelles qui les ligotaient pour pouvoir le faire.

Le Japon a réalisé sa révolution culturelle durant l’ère Meiji qui débuta en 1868, la Chine l’a enfanté  dans la douleur après 1949.

Bennabi souligne que « la Chine populaire n’a triomphé victorieusement de [l’] aspect que lui imposait le dilemme « faire ou acheter »  que grâce à sa révolution culturelle ».

Il vise, par ce terme,  la prodigieuse transformation de l’état d’esprit et du comportement des Chinois et non les luttes politiques qui eurent lieu à la même période et sur lesquelles s’appesantissent trop les analystes et même les dirigeants chinois actuels.

Il nous cite aussi le cas du docteur Hjalmar Shacht, l’économiste et homme politique allemand, surnommé « le magicien », pour avoir été un des artisans d’un autre miracle économique allemand, celui qui eut lieu lors du Troisième Reich. Ce dernier fut sollicité par l’Indonésie et par l’Egypte dans les années cinquante pour rééditer sa performance en Allemagne. L’échec fut retentissant car l’élément humain de ces pays n’était pas le même, le premier forgé par une culture et les seconds déformés par l’absence de culture.

Cette épisode illustre en quoi Bennabi, en empruntant les concepts au sociologue français d’origine hongroise, différencie le biologiste social de l’ingénieur social. Une société dans sa phase de naissance ou de renaissance a besoin de la formation d’un individu capable d’enclencher une dynamique sociale et c’est le rôle du biologiste social et non de techniques, le plus souvent importées, pour formater la société, que lui imposera l’ingénieur social.

Dans le monde actuel, la financiarisation de l’économie a pour conséquence la création d’une économie virtuelle  grosse de dangers à cause des sommes colossales mises en jeu vouées à la spéculation. Nous sommes passés d’un financement de l’économie réelle à un jeu où les illusionnistes de la finance sont grisés et fascinés par leur ingénierie sophistiquée.

Dans ce jeu mortel, la pensée de Bennabi peut nous être salutaire surtout pour les pays où l’accumulation du capital est faible. Elle nous démontre que le développement économique n’est pas tributaire de la finance mais que c’est grâce à la dynamique sociale qu’elle peut se réaliser.

Dans les pays en voie de développement, la finance construira rapidement une économie mais qui sera fragile, pour ne pas dire malade dès la naissance à l’instar de ce qui s’est fait en Algérie mais la dynamique sociale construira plus lentement l’économie mais sur des bases saines et  autochtones à l’instar de ce qui s’est fait au Japon ou en Chine.

De plus cette approche permettra de mettre l’homme au centre du développement, préoccupation qui concerne toutes les sociétés des pays qu’ils soient en développement ou qui essayent de l’être et les pays développés.

 

Abderrahman Benamara

Alger le 9 juillet 2016

 

 

 

 

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