http://www.les7defis.com/2016/12/alep-pour-en-finir-definitivement-avec-la-theorie-du-complot/
1) La révolte syrienne est depuis le départ une révolte fomentée par des agents extérieurs. Elle n’est pas légitime !
Faux. Avant de répondre, je rappelle que tout ce que je vais écrire ici est issu de 3 types de sources absolument sûres : il y a d’abord les travaux des meilleurs universitaires français et arabes. Il y a deux ans, ils ont écrit un magistral ouvrage collectif qui se nomme « Pas de printemps pour la Syrie ». Ce livre qui fait plus de 400 pages est peut-être la base la plus solide pour apprécier le soulèvement avec des contributions de chercheurs qui connaissent le terrain, ont vécu en Syrie, parlent arabe, etc. Ensuite, il y a la source des oulémas, des savants religieux, de ceux qui ont passé leurs vies en Syrie et qui, depuis le début, nous envoient témoignages, vidéos, sermons, etc. Les associations comme « La Ligue des savants syriens » ou « L’Association des oulémas de Syrie » sont composées de centaines d’Imams qui sont autant d’indicateurs fiables sur ce qui se passe sur place. Enfin, comment mettre en doute une révolte populaire portée au départ par des millions de personnes dans de multiples villes et villages à travers tout le pays et qui nous envoyaient via les réseaux sociaux quantités de vidéos, photos, articles, blogs pour nous alerter sur leur sort ? Il faut vraiment être aveugle pour ne pas avoir vu ce mouvement de masse s’articuler depuis mars 2011 d’autant qu’il est resté pacifique au moins les six premiers mois. Mais l’un des problèmes de la communauté musulmane de France est qu’elle ne comprend pas l’arabe littéraire et le dialecte syrien. Trop peu de vidéos ont été traduites au début du soulèvement et la barrière de la langue a été un frein à la diffusion de la véritable information. Du coup, le régime en a profité pour monter son propre récit en faisant principalement deux choses : a) il interdit l’entrée en Syrie de journalistes étrangers pour mater la rébellion à huis clos et b) il embauche des relais intellectuels francophones qui prennent tout de suite partie pour lui sur internet. Parmi ces derniers, les plus audibles ont été Alain Soral et Michel Colon dont on ne répétera jamais assez qu’il faut se méfier de leurs désinformations. Il ne suffit pas d’être « pro-palestinien » pour être intellectuellement propre.
2) Oui mais ce que tu avances est faux car Bashar est un ennemi d’Israël qui a intérêt à déstabiliser son régime ! En plus, ceux qui soutiennent la révolte sont des pays traitres comme le Qatar et l’Arabie Saoudite…
C’est peut-être l’une des plus belles entourloupes de la propagande de Bashar et je vais expliquer pourquoi. D’abord, il faut rappeler une évidence : ce régime est une dictature militaire appuyée sur une famille (al-Assad) qui est au pouvoir depuis 1969. Cela fait quand même plus de 40 ans qu’elle tient la Syrie d’une main de fer et l’un des meilleurs arabisants français à avoir décrit la nature infernale de son pouvoir est Michel Seurat dans un livre très justement intitulé « L’Etat de barbarie » (l’auteur a été assassiné par des forces proches du Hezbollah dans les années 1980). Ensuite, il faut dire que si le régime syrien a bien aidé certaines forces palestiniennes pendant un moment (comme lors de la guerre de Gaza de 2009), c’est un soutien qui restait stratégiquement orienté. En effet Bashar avait un grand besoin de se légitimer et s’arroger le rôle du défenseur des Palestiniens faisait de lui un acteur respectable dans une grande partie de l’opinion arabe. Mais il faut rappeler d’autres vérités : la dernière guerre qui a opposé la Syrie à Israël remonte à … 1973 ! Depuis, jamais un avion syrien ou une division syrienne n’a eu le courage de foncer vers la frontière pour libérer la Palestine. De plus, toutes les factions palestiniennes qui souhaitaient croiser le fer avec Israël depuis la frontière syrienne étaient immédiatement arrêtées par les forces du régime. Pire, l’historien Dominique Vidal rappelle très justement que quand le père de Bashar (Hafez) envahit une partie du Liban en 1975, il s’en prend non pas à l’armée israélienne mais aux combattants palestiniens qu’il massacre par milliers ! Cette situation très confortable pour Israël a fait dire à Ariel Sharon qu’il préférait la famille Assad au pouvoir à Damas qu’un gouvernement issu des Frères musulmans… Mais le meilleur argument qu’on peut rétorquer aux complotistes sur cet aspect est de leur rappeler la position du Hamas. De 1999 à 2012, le Hamas a été abrité à Damas, sous le régime de Bashar. Dès que le Hamas a observé que le régime syrien « profitait » de la cause palestinienne pour justifier sa répression, il a décidé de quitter le pays car il ne pouvait cautionner pareil jeu de dupes. Moussa Abou Marzouq, vice-président du Hamas a eu cette très belle phrase en arabe : « Man da3amana fil haq lane nad3amouhou fil batel ». Traduction : « Celui qui nous a aidé dans le droit, nous ne le soutiendrons jamais dans le faux ». Dit autrement, il affirmait que ce n’est pas parce que le régime a aidé le Hamas à un moment que le Hamas allait cautionner sa folie meurtrière. Je me demande pourquoi ce raisonnement logique fait défaut à bon nombre de musulmans français. D’autant qu’en Syrie même, de nombreux Palestiniens (notamment ceux du camp de Yarmouk près de Damas) ont manifesté en faveur du peuple syrien en condamnant les exactions de l’armée de Bashar!
Ensuite, sur le soutien du Qatar et de l’Arabie Saoudite aux opposants syriens, j’ai envie de répondre par l’argument suivant : quand vous êtes au bord du gouffre, quand vous êtes pilonnés et massacrés, quand vous êtes au bord du naufrage ou de l’asphyxie, vous vous posez la question de quelle couleur est le bras qui vient vous donner un coup de main ? Puisque le Qatar a soutenu les révoltés syriens dès 2011/2012 (c’est à dire à l’époque où il n’y avait quasiment aucune faction radicale), cela dénature-t-il les doléances légitimes d’un peuple en souffrance ? Ce raisonnement est intellectuellement vide car c’est comme dire que la révolution algérienne (lors de la guerre de libération contre la France) était illégitime car les Etats-unis la soutenait… D’autant que quand les relais syriens de l’opposition en France ont constaté que BHL voulait les aider, ils ont écrit un texte collectif dont le titre est éloquent : « BHL épargnez vous votre soutien ! ». Pour le lire, c’est ici : https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/270511/bernard-henri-levy-epargnez-aux-syriens-votre-s
3) Oui mais Bashar est soutenu par le Hezbollah et l’Iran qui sont les principaux ennemis d’Israël ! Cela veut bien dire que Bashar est dans le bon camp !
Encore faux… Et là, je prendrai un seul argument en posant deux questions à tous ceux qui semblent subjugués par le camp assadien : combien l’Iran et le Hezbollah ont tué de soldats israéliens depuis mars 2011 ? Dites nous combien ? Aucun. Par contre, combien le Hezbollah et l’Iran ont tué de musulmans syriens depuis mars 2011 : des milliers. Voilà l’une des plus grandes fumisteries qui rongent le cerveau de certains des nôtres : croire qu’il y a un « axe de la résistance » composé de l’Iran et du Hezbollah alors que ces derniers font surtout de la figuration depuis quelques années : médiatiquement ils vocifèrent contre Israël en faisant croire qu’ils sont « anti-impérialistes ». Mais dans les faits, ils ont soutenu de manière décisive Bashar dans sa mécanique mortifère. Je rappellerai un autre élément : il y a une forme de solidarité confessionnelle entre ces trois. Bashar al-Aassd appartient à la secte alaouite qui est une branche radicale du chiisme. Selon la chercheure Sabrina Mervin, les alaouites n’ont quasiment rien en commun avec la pratique orthodoxe sunnite (ils ne prient pas cinq fois par jour, ne font pas le Ramadan, etc). Pire, « à l’instar d’autres chiites, ils ont conservé des pratiques offensantes pour les sunnites, telle l’insulte rituelle des successeurs du Prophète ». Ainsi, on voit dans l’alliance entre l’Iran, le Hezbollah et Assad une volonté de maintenir un arc confessionnel qui va de Téhéran jusqu’au sud-Liban en passant par Damas et Bagdad. Ce n’est pas anodin si une certaine propagande excite les milices chiites du monde entier à défendre Bashar. On a donc depuis le début de la révolte syrienne une intrusion massive d’agents extérieurs motivés en partie par un logiciel sectaire. De ces combattants étrangers (libanais, iraniens, irakines, afghans etc) là, peu en ont parlé. Alors que ce sont eux qui aujourd’hui répandent la terreur à Alep et ailleurs.
4) Oui mais les « rebelles » sont soutenus par la CIA, la France et l’Occident. Le soutien des Occidentaux n’est jamais gratuit et c’est la preuve que les opposants ne sont pas nets !
Prenons les choses dans l’ordre. Oui, dès le début de la révolte syrienne, les Occidentaux ont pris fait et cause pour les opposants. Les images qui nous venaient du terrain étaient difficilement supportables et l’heure (rappelez-vous) était à la célébration des peuples qui « voulaient la chute du régime », slogan repris en liesse de Tunis à Bahrein. Sauf que ce qui s’est passé est un processus qui a progressivement fait basculer le soulèvement syrien de révolte pacifique en conflit armé puis en véritable politique d’extermination. Mais qui a principalement été à l’origine de cette descente aux enfers ? C’est le régime bien sur ! C’est lui qui, dès le départ, a envoyé ses fantassins, ses chars et ses escadrons de la mort mater des manifestants qui avaient eu le culot de braver le mur de la peur. Dès les premières semaines, le nombre de tués, blessés, torturés et disparus ne faisait que gonfler. Des milliers de vidéos ont tout au long de l’année 2011 déferlé sur la Toile pour mettre en lumière cette industrie de la terreur. C’est à ce moment que le visage de la révolte syrienne a pris le nom de Hamza Al-Khatîb, jeune martyr de la région de Deraa. Arrêté alors qu’il se rendait en compagnie de sa famille à une manifestation pour briser le siège d’une ville voisine, cet adolescent n’est rendu à ses parents qu’un mois plus tard. On le retrouve le visage tuméfié, le cou et les rotules brisés, la partie génitale arrachée. Son corps, recouvert d’hématomes et de brûlures de cigarettes, a fait l’objet d’une vidéo particulièrement choquante filmée et postée par un militant alerté par la famille (si vous souhaitez la voir, elle est ici mais attention, elle est très dure : https://www.youtube.com/watch?v=DM1m3O3k438). Le sort de Hamza Al-Khatîb est alors devenu le symbole de la bestialité d’un régime qui commet des sévices à grande échelle pour mater une contestation qui a fait tâche d’huile. Après de longs mois d’une mécanique tortionnaire qu’un rapport de l’ONG Human Rights Watch décrit comme un « archipel de la terreur », les modalités d’expression du soulèvement syrien se sont modifiés. Car à partir de là, les opposants vont finir par prendre des armes. On voit donc bien que c’est la répression impitoyable des forces loyalistes qui a suscité la militarisation de l’opposition. Deux ans plus tard, cette répression avait atteint une telle folie qu’une partie de l’opposition ne s’est pas uniquement militarisée : elle s’est radicalisée. C’est dans ce terreau fait de bombardements aveugles, de frustration, de rage et de soif de vengeance qu’ont prospéré les factions jihadistes…
Si on revient au « soutien » occidental, il faut savoir une chose : comme le rappelle très bien le politologue François Burgat, ce soutien a surtout été verbal et dans les faits, il n’y a que très peu d’armes qui ont été expédiées à l’opposition. Alors que la Russie et l’Iran fournissaient abondamment des missiles Scud, des avions Mig et des armes lourdes à l’armée bashariste, les Occidentaux n’envoyaient que des miettes et des « armes non létales ». C’est ce déséquilibre qui, jusqu’à aujourd’hui, explique le fait que les opposants n’ont jamais pu avoir le dessus. Du coup, Bashar a interprété cet « abandon » des Occidentaux comme une permission de tuer. En plus des armes chimiques, au chlore, il a affamé des quartiers entiers, visé des mosquées, hôpitaux et écoles par centaines. Il a été conseillé par son ami Poutine qui disposait d’une belle expérience en la matière : rappelez vous ainsi de la Tchétchénie. Entre 1996 et 1999, ce pays à majorité musulmane a littéralement été rasé par l’armée russe qui venait y mater une rébellion indépendantiste. Bilan : une capitale Grozny totalement détruite, des dizaines de milliers de victimes et une société traumatisée. Le livre « Tchétchénie : 10 clés pour comprendre » écrit par un collectif de journalistes et d’humanitaires était si pénible à lire (eu égard à la nature des tortures décrites) que c’est l’un des seules de ma vie que je n’ai pas réussi à finir… C’est la même brutalité aujourd’hui à Alep. Et à Grozny hier comme à Alep aujourd’hui, la communauté internationale reste sourde…
5) Oui mais comment être sur de qui tue qui ? Il y a quand même des atrocités des deux cotés et il ne faut pas être binaire dans ce conflit !
J’aime bien cet argument car c’est le même qu’Israël sort quand elle bombarde Gaza. En gros, on dit que le Hamas est lui aussi responsable de crimes de guerre car ses missiles (de fabrication artisanale) ont touché quelques habitations civiles et fait quelques morts… On met sur le même pied d’égalité l’hyper violence de l’oppresseur et la violence (réactive) de l’oppressé. Vous voyez un peu le procédé malsain ? C’est la même chose en Syrie : bien sur que des franges de l’opposition ont à des moments été responsables de sauvageries mais celles-ci sont dues à quoi ? C’est bien la bestialité d’un régime de barbarie qui a provoqué l’irruption de radicaux qui, assoiffés de vengeance, ont parfois eu des comportements criminels. Mais en plus, comme si c’était toute l’opposition qui avait été gangrénée par ce genre de pratiques ! Il faut rappeler qu’en ce moment même à Alep ce sont bien des avions russes financés par l’argent iranien qui répandent la mort et sèment la terreur dans le ciel ! Depuis plus de 5 ans des centaines de vidéos ont filmé les hélicoptères lâcher des barils de TNT ou des avions larguant leurs bombes à fragmentation ! A qui appartiennent ces avions et hélicoptères, si ce n’est au régime ? Les rebelles n’en ont aucun !! Enfin, sur cet aspect, rappelons un fait historique qui donne la mesure du jusqu’au boutisme du régime : en 1982, Hafez al-Assad a anéanti une opposition interne en détruisant la 4e ville du pays qui se nomme Hama. Au mois de février, la cité a été fermée, complètement isolée et l’armée régulière l’a pilonnée sans pitié. Bilan : des milliers de morts dont de nombreuses femmes et enfants. Marchant sur les pas de son père, Bashar a tenu un propos aussi glacial que prémonitoire lors d’un dîner organisé en janvier 2011 : « mon père a fait 30 000 morts à Hama et nous avons eu trente ans de tranquillité ». Depuis, il reproduit le même mécanisme de la terreur.
6) Oui mais tout ça c’est la faute du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite qui ont des intérêts gaziers et qui ont tout fait pour écarter le régime qui ne leur était pas favorable.
Là aussi, c’est peut-être l’une des contre-vérités les plus répandues. Et comme tout mensonge, à force de le répéter, il devient vérité pour beaucoup. Avant le début de la révolte syrienne, les liens entre le Qatar et la Syrie étaient très forts. Rappelons que Bashar al Assad avait été reçu en grandes pompes à l’été 2008 à Paris et que c’était le Qatar qui avait tout fait pour réintégrer Bashar dans le concert des nations. L’émir avait même offert l’Airbus présidentiel à Bashar et les investissements notamment immobiliers et dans le tourisme se chiffraient en milliards entre les deux pays. Autant dire que les relations étaient très bonnes et que le Qatar n’avait aucun intérêt à bousculer un de ses meilleurs alliés. La propagande de Soral, Colon et d’autres ont un moment laissé entendre que c’est parce que Bashar avait refusé de souscrire à un gazoduc qui partait du Qatar jusqu’en Turquie que ces deux pays se sont « vengés » en finançant une insurrection. Rien n’est plus faux car ce soit-disant gazoduc devait passer par l’Arabie Saoudite pour être acheminé ensuite en Méditerranée. Or le régime saoudien était catégoriquement contre ce projet car l’émir du Qatar était à l’époque l’adversaire déclaré de Riyad dans le Golfe. Ce projet de gazoduc n’était donc absolument pas viable du fait du veto saoudien et en plus le Qatar n’avait, encore une fois, aucun intérêt à déboulonner un régime dont le dirigeant et son épouse venaient passer leurs vacances à Doha. Le pire dans cette histoire de gazoduc fantasmé est qu’elle fait fi de tous ces milliers de Syriens qui sont morts pour leur liberté. Faire de ces martyrs tombés par milliers des êtres téléguidés de l’étranger pour assouvir les appétits financiers étrangers est vraiment insultant pour leur mémoire…
7) Oui mais vous, vous n’êtes pas crédible dans ce conflit car vous avez un parti-pris…
Heureusement qu’il faut avoir un parti pris dans ce genre de situations! Lorsque concernant la Palestine, on défend le camp des opprimés et dénonce l’occupation israélienne, est-ce que notre position est invalidée du fait de ce parti pris? Non, bien sur. Pareil quand on dénonce le drame des Rohingyas ou hier celui des Bosniaques. Eh bien, pourquoi n’adopte-t-on pas la même chose concernant la Syrie? Vous imaginez si on commence à dire s’agissant de Gaza « Oui, mais attention, il ne faut pas être binaire et savoir ne pas être émotif car la situation est compliqué etc »? C’est du reste la stratégie israélienne de noyer le sujet avec ce genre de subterfuges et cela marche malheureusement très bien chez certaines consciences. Au bout du compte, c’est l’attitude inverse qui est invraisemblable : rester silencieux voire pire mettre en doute une catastrophe humanitaire causée par la volonté d’une famille de s’accaparer le pouvoir quitte à réduire en cendres sa population.
8) Du coup, quel est l’intérêt de la Russie de soutenir coûte que coûte le régime? La Russie est un pays anti-système qu’il faut soutenir (la preuve est que Poutine s’oppose aux Etats-Unis!)
Le fait que Poutine se soit opposé à Obama et qu’il tienne tête aux Européens fait-il de lui un saint ? Sa posture « anti-système » l’excuserait-elle de tous les forfaits dont il se rend coupable en Syrie ? Mais d’où vient cette logique qui consiste à minimiser les crimes d’une personne car elle serait « anti-impérialiste » ? C’est humainement consternant et intellectuellement aberrant.
Sur le fond des raisons qui poussent la Russie à agir de la sorte, il y a trois facteurs majeurs. D’abord, il faut rappeler que la Russie est le principal fournisseur d’armes (voire le seul) de Bashar. Pour le Kremlin, il est donc stratégique de préserver son unique allié arabe de poids dans l’équation du Proche-Orient surtout quand cet allié vous met à disposition des facilités militaires qui renforcent votre zone d’influence. C’est le cas par exemple du port de Tartous situé en Méditerranée oriental qui est de facto passée sous souveraineté russe. Ensuite, la Russie qui s’estime toujours menacée par un « jihadisme local » (notamment en Tchétchénie) souhaite soutenir les pays qui sont confrontés à la même menace. Elle a notamment justifié son entrée en guerre en septembre 2015 aux côtés du régime de Damas par le fait de vouloir éradiquer Daech. Enfin, la Russie a fait de la guerre en Syrie un exemple pour démontrer sa force et réaffirmer son rôle de puissance mondiale capable de bousculer le rapport de forces notamment au détriment des Occidentaux. C’est l’ensemble de ces facteurs qui poussent Poutine à ne pas lâcher l’affaire d’autant que l’impuissance de l’ONU, les atermoiements des Européens et le désengagement des Américains lui offre un boulevard.
Seulement, ces raisons cachent mal l’agenda criminel de Poutine qui, comme on l’a dit plus haut, applique une nouvelle fois la stratégie d’anéantissement qui a été la sienne à Grozny. D’autant que l’argument de lutter contre Daech ne tient pas : à Alep, la Russie s’acharne contre des forces rebelles qui avaient expulsé Daech de la ville dès 2014 ! Dit autrement, les Russes laissent dans une large mesure Daech tranquille et préfèrent concentrer leurs bombardements sur les rebelles d’Alep. Vous savez pourquoi? Parce que Daech est « utile » à Assad car en présence du monstre noir, Assad dispose de l’épouvantail idéal qui fait de lui le moindre mal… C’est sidérant et machiavélique mais sur ce registre, il n’y a pas de limites.
Voilà, on peut continuer longtemps mais je m’arrête là. Si après cela, certains demeurent des Assadolâtres, laissons les avec leur conscience car nul n’est plus sourd que celui qui ne veut entendre. Une justice tranchera de toute façon.
Faux. Avant de répondre, je rappelle que tout ce que je vais écrire ici est issu de 3 types de sources absolument sûres : il y a d’abord les travaux des meilleurs universitaires français et arabes. Il y a deux ans, ils ont écrit un magistral ouvrage collectif qui se nomme « Pas de printemps pour la Syrie ». Ce livre qui fait plus de 400 pages est peut-être la base la plus solide pour apprécier le soulèvement avec des contributions de chercheurs qui connaissent le terrain, ont vécu en Syrie, parlent arabe, etc. Ensuite, il y a la source des oulémas, des savants religieux, de ceux qui ont passé leurs vies en Syrie et qui, depuis le début, nous envoient témoignages, vidéos, sermons, etc. Les associations comme « La Ligue des savants syriens » ou « L’Association des oulémas de Syrie » sont composées de centaines d’Imams qui sont autant d’indicateurs fiables sur ce qui se passe sur place. Enfin, comment mettre en doute une révolte populaire portée au départ par des millions de personnes dans de multiples villes et villages à travers tout le pays et qui nous envoyaient via les réseaux sociaux quantités de vidéos, photos, articles, blogs pour nous alerter sur leur sort ? Il faut vraiment être aveugle pour ne pas avoir vu ce mouvement de masse s’articuler depuis mars 2011 d’autant qu’il est resté pacifique au moins les six premiers mois. Mais l’un des problèmes de la communauté musulmane de France est qu’elle ne comprend pas l’arabe littéraire et le dialecte syrien. Trop peu de vidéos ont été traduites au début du soulèvement et la barrière de la langue a été un frein à la diffusion de la véritable information. Du coup, le régime en a profité pour monter son propre récit en faisant principalement deux choses : a) il interdit l’entrée en Syrie de journalistes étrangers pour mater la rébellion à huis clos et b) il embauche des relais intellectuels francophones qui prennent tout de suite partie pour lui sur internet. Parmi ces derniers, les plus audibles ont été Alain Soral et Michel Colon dont on ne répétera jamais assez qu’il faut se méfier de leurs désinformations. Il ne suffit pas d’être « pro-palestinien » pour être intellectuellement propre.
2) Oui mais ce que tu avances est faux car Bashar est un ennemi d’Israël qui a intérêt à déstabiliser son régime ! En plus, ceux qui soutiennent la révolte sont des pays traitres comme le Qatar et l’Arabie Saoudite…
C’est peut-être l’une des plus belles entourloupes de la propagande de Bashar et je vais expliquer pourquoi. D’abord, il faut rappeler une évidence : ce régime est une dictature militaire appuyée sur une famille (al-Assad) qui est au pouvoir depuis 1969. Cela fait quand même plus de 40 ans qu’elle tient la Syrie d’une main de fer et l’un des meilleurs arabisants français à avoir décrit la nature infernale de son pouvoir est Michel Seurat dans un livre très justement intitulé « L’Etat de barbarie » (l’auteur a été assassiné par des forces proches du Hezbollah dans les années 1980). Ensuite, il faut dire que si le régime syrien a bien aidé certaines forces palestiniennes pendant un moment (comme lors de la guerre de Gaza de 2009), c’est un soutien qui restait stratégiquement orienté. En effet Bashar avait un grand besoin de se légitimer et s’arroger le rôle du défenseur des Palestiniens faisait de lui un acteur respectable dans une grande partie de l’opinion arabe. Mais il faut rappeler d’autres vérités : la dernière guerre qui a opposé la Syrie à Israël remonte à … 1973 ! Depuis, jamais un avion syrien ou une division syrienne n’a eu le courage de foncer vers la frontière pour libérer la Palestine. De plus, toutes les factions palestiniennes qui souhaitaient croiser le fer avec Israël depuis la frontière syrienne étaient immédiatement arrêtées par les forces du régime. Pire, l’historien Dominique Vidal rappelle très justement que quand le père de Bashar (Hafez) envahit une partie du Liban en 1975, il s’en prend non pas à l’armée israélienne mais aux combattants palestiniens qu’il massacre par milliers ! Cette situation très confortable pour Israël a fait dire à Ariel Sharon qu’il préférait la famille Assad au pouvoir à Damas qu’un gouvernement issu des Frères musulmans… Mais le meilleur argument qu’on peut rétorquer aux complotistes sur cet aspect est de leur rappeler la position du Hamas. De 1999 à 2012, le Hamas a été abrité à Damas, sous le régime de Bashar. Dès que le Hamas a observé que le régime syrien « profitait » de la cause palestinienne pour justifier sa répression, il a décidé de quitter le pays car il ne pouvait cautionner pareil jeu de dupes. Moussa Abou Marzouq, vice-président du Hamas a eu cette très belle phrase en arabe : « Man da3amana fil haq lane nad3amouhou fil batel ». Traduction : « Celui qui nous a aidé dans le droit, nous ne le soutiendrons jamais dans le faux ». Dit autrement, il affirmait que ce n’est pas parce que le régime a aidé le Hamas à un moment que le Hamas allait cautionner sa folie meurtrière. Je me demande pourquoi ce raisonnement logique fait défaut à bon nombre de musulmans français. D’autant qu’en Syrie même, de nombreux Palestiniens (notamment ceux du camp de Yarmouk près de Damas) ont manifesté en faveur du peuple syrien en condamnant les exactions de l’armée de Bashar!
Ensuite, sur le soutien du Qatar et de l’Arabie Saoudite aux opposants syriens, j’ai envie de répondre par l’argument suivant : quand vous êtes au bord du gouffre, quand vous êtes pilonnés et massacrés, quand vous êtes au bord du naufrage ou de l’asphyxie, vous vous posez la question de quelle couleur est le bras qui vient vous donner un coup de main ? Puisque le Qatar a soutenu les révoltés syriens dès 2011/2012 (c’est à dire à l’époque où il n’y avait quasiment aucune faction radicale), cela dénature-t-il les doléances légitimes d’un peuple en souffrance ? Ce raisonnement est intellectuellement vide car c’est comme dire que la révolution algérienne (lors de la guerre de libération contre la France) était illégitime car les Etats-unis la soutenait… D’autant que quand les relais syriens de l’opposition en France ont constaté que BHL voulait les aider, ils ont écrit un texte collectif dont le titre est éloquent : « BHL épargnez vous votre soutien ! ». Pour le lire, c’est ici : https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/270511/bernard-henri-levy-epargnez-aux-syriens-votre-s
3) Oui mais Bashar est soutenu par le Hezbollah et l’Iran qui sont les principaux ennemis d’Israël ! Cela veut bien dire que Bashar est dans le bon camp !
Encore faux… Et là, je prendrai un seul argument en posant deux questions à tous ceux qui semblent subjugués par le camp assadien : combien l’Iran et le Hezbollah ont tué de soldats israéliens depuis mars 2011 ? Dites nous combien ? Aucun. Par contre, combien le Hezbollah et l’Iran ont tué de musulmans syriens depuis mars 2011 : des milliers. Voilà l’une des plus grandes fumisteries qui rongent le cerveau de certains des nôtres : croire qu’il y a un « axe de la résistance » composé de l’Iran et du Hezbollah alors que ces derniers font surtout de la figuration depuis quelques années : médiatiquement ils vocifèrent contre Israël en faisant croire qu’ils sont « anti-impérialistes ». Mais dans les faits, ils ont soutenu de manière décisive Bashar dans sa mécanique mortifère. Je rappellerai un autre élément : il y a une forme de solidarité confessionnelle entre ces trois. Bashar al-Aassd appartient à la secte alaouite qui est une branche radicale du chiisme. Selon la chercheure Sabrina Mervin, les alaouites n’ont quasiment rien en commun avec la pratique orthodoxe sunnite (ils ne prient pas cinq fois par jour, ne font pas le Ramadan, etc). Pire, « à l’instar d’autres chiites, ils ont conservé des pratiques offensantes pour les sunnites, telle l’insulte rituelle des successeurs du Prophète ». Ainsi, on voit dans l’alliance entre l’Iran, le Hezbollah et Assad une volonté de maintenir un arc confessionnel qui va de Téhéran jusqu’au sud-Liban en passant par Damas et Bagdad. Ce n’est pas anodin si une certaine propagande excite les milices chiites du monde entier à défendre Bashar. On a donc depuis le début de la révolte syrienne une intrusion massive d’agents extérieurs motivés en partie par un logiciel sectaire. De ces combattants étrangers (libanais, iraniens, irakines, afghans etc) là, peu en ont parlé. Alors que ce sont eux qui aujourd’hui répandent la terreur à Alep et ailleurs.
4) Oui mais les « rebelles » sont soutenus par la CIA, la France et l’Occident. Le soutien des Occidentaux n’est jamais gratuit et c’est la preuve que les opposants ne sont pas nets !
Prenons les choses dans l’ordre. Oui, dès le début de la révolte syrienne, les Occidentaux ont pris fait et cause pour les opposants. Les images qui nous venaient du terrain étaient difficilement supportables et l’heure (rappelez-vous) était à la célébration des peuples qui « voulaient la chute du régime », slogan repris en liesse de Tunis à Bahrein. Sauf que ce qui s’est passé est un processus qui a progressivement fait basculer le soulèvement syrien de révolte pacifique en conflit armé puis en véritable politique d’extermination. Mais qui a principalement été à l’origine de cette descente aux enfers ? C’est le régime bien sur ! C’est lui qui, dès le départ, a envoyé ses fantassins, ses chars et ses escadrons de la mort mater des manifestants qui avaient eu le culot de braver le mur de la peur. Dès les premières semaines, le nombre de tués, blessés, torturés et disparus ne faisait que gonfler. Des milliers de vidéos ont tout au long de l’année 2011 déferlé sur la Toile pour mettre en lumière cette industrie de la terreur. C’est à ce moment que le visage de la révolte syrienne a pris le nom de Hamza Al-Khatîb, jeune martyr de la région de Deraa. Arrêté alors qu’il se rendait en compagnie de sa famille à une manifestation pour briser le siège d’une ville voisine, cet adolescent n’est rendu à ses parents qu’un mois plus tard. On le retrouve le visage tuméfié, le cou et les rotules brisés, la partie génitale arrachée. Son corps, recouvert d’hématomes et de brûlures de cigarettes, a fait l’objet d’une vidéo particulièrement choquante filmée et postée par un militant alerté par la famille (si vous souhaitez la voir, elle est ici mais attention, elle est très dure : https://www.youtube.com/watch?v=DM1m3O3k438). Le sort de Hamza Al-Khatîb est alors devenu le symbole de la bestialité d’un régime qui commet des sévices à grande échelle pour mater une contestation qui a fait tâche d’huile. Après de longs mois d’une mécanique tortionnaire qu’un rapport de l’ONG Human Rights Watch décrit comme un « archipel de la terreur », les modalités d’expression du soulèvement syrien se sont modifiés. Car à partir de là, les opposants vont finir par prendre des armes. On voit donc bien que c’est la répression impitoyable des forces loyalistes qui a suscité la militarisation de l’opposition. Deux ans plus tard, cette répression avait atteint une telle folie qu’une partie de l’opposition ne s’est pas uniquement militarisée : elle s’est radicalisée. C’est dans ce terreau fait de bombardements aveugles, de frustration, de rage et de soif de vengeance qu’ont prospéré les factions jihadistes…
Si on revient au « soutien » occidental, il faut savoir une chose : comme le rappelle très bien le politologue François Burgat, ce soutien a surtout été verbal et dans les faits, il n’y a que très peu d’armes qui ont été expédiées à l’opposition. Alors que la Russie et l’Iran fournissaient abondamment des missiles Scud, des avions Mig et des armes lourdes à l’armée bashariste, les Occidentaux n’envoyaient que des miettes et des « armes non létales ». C’est ce déséquilibre qui, jusqu’à aujourd’hui, explique le fait que les opposants n’ont jamais pu avoir le dessus. Du coup, Bashar a interprété cet « abandon » des Occidentaux comme une permission de tuer. En plus des armes chimiques, au chlore, il a affamé des quartiers entiers, visé des mosquées, hôpitaux et écoles par centaines. Il a été conseillé par son ami Poutine qui disposait d’une belle expérience en la matière : rappelez vous ainsi de la Tchétchénie. Entre 1996 et 1999, ce pays à majorité musulmane a littéralement été rasé par l’armée russe qui venait y mater une rébellion indépendantiste. Bilan : une capitale Grozny totalement détruite, des dizaines de milliers de victimes et une société traumatisée. Le livre « Tchétchénie : 10 clés pour comprendre » écrit par un collectif de journalistes et d’humanitaires était si pénible à lire (eu égard à la nature des tortures décrites) que c’est l’un des seules de ma vie que je n’ai pas réussi à finir… C’est la même brutalité aujourd’hui à Alep. Et à Grozny hier comme à Alep aujourd’hui, la communauté internationale reste sourde…
5) Oui mais comment être sur de qui tue qui ? Il y a quand même des atrocités des deux cotés et il ne faut pas être binaire dans ce conflit !
J’aime bien cet argument car c’est le même qu’Israël sort quand elle bombarde Gaza. En gros, on dit que le Hamas est lui aussi responsable de crimes de guerre car ses missiles (de fabrication artisanale) ont touché quelques habitations civiles et fait quelques morts… On met sur le même pied d’égalité l’hyper violence de l’oppresseur et la violence (réactive) de l’oppressé. Vous voyez un peu le procédé malsain ? C’est la même chose en Syrie : bien sur que des franges de l’opposition ont à des moments été responsables de sauvageries mais celles-ci sont dues à quoi ? C’est bien la bestialité d’un régime de barbarie qui a provoqué l’irruption de radicaux qui, assoiffés de vengeance, ont parfois eu des comportements criminels. Mais en plus, comme si c’était toute l’opposition qui avait été gangrénée par ce genre de pratiques ! Il faut rappeler qu’en ce moment même à Alep ce sont bien des avions russes financés par l’argent iranien qui répandent la mort et sèment la terreur dans le ciel ! Depuis plus de 5 ans des centaines de vidéos ont filmé les hélicoptères lâcher des barils de TNT ou des avions larguant leurs bombes à fragmentation ! A qui appartiennent ces avions et hélicoptères, si ce n’est au régime ? Les rebelles n’en ont aucun !! Enfin, sur cet aspect, rappelons un fait historique qui donne la mesure du jusqu’au boutisme du régime : en 1982, Hafez al-Assad a anéanti une opposition interne en détruisant la 4e ville du pays qui se nomme Hama. Au mois de février, la cité a été fermée, complètement isolée et l’armée régulière l’a pilonnée sans pitié. Bilan : des milliers de morts dont de nombreuses femmes et enfants. Marchant sur les pas de son père, Bashar a tenu un propos aussi glacial que prémonitoire lors d’un dîner organisé en janvier 2011 : « mon père a fait 30 000 morts à Hama et nous avons eu trente ans de tranquillité ». Depuis, il reproduit le même mécanisme de la terreur.
6) Oui mais tout ça c’est la faute du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite qui ont des intérêts gaziers et qui ont tout fait pour écarter le régime qui ne leur était pas favorable.
Là aussi, c’est peut-être l’une des contre-vérités les plus répandues. Et comme tout mensonge, à force de le répéter, il devient vérité pour beaucoup. Avant le début de la révolte syrienne, les liens entre le Qatar et la Syrie étaient très forts. Rappelons que Bashar al Assad avait été reçu en grandes pompes à l’été 2008 à Paris et que c’était le Qatar qui avait tout fait pour réintégrer Bashar dans le concert des nations. L’émir avait même offert l’Airbus présidentiel à Bashar et les investissements notamment immobiliers et dans le tourisme se chiffraient en milliards entre les deux pays. Autant dire que les relations étaient très bonnes et que le Qatar n’avait aucun intérêt à bousculer un de ses meilleurs alliés. La propagande de Soral, Colon et d’autres ont un moment laissé entendre que c’est parce que Bashar avait refusé de souscrire à un gazoduc qui partait du Qatar jusqu’en Turquie que ces deux pays se sont « vengés » en finançant une insurrection. Rien n’est plus faux car ce soit-disant gazoduc devait passer par l’Arabie Saoudite pour être acheminé ensuite en Méditerranée. Or le régime saoudien était catégoriquement contre ce projet car l’émir du Qatar était à l’époque l’adversaire déclaré de Riyad dans le Golfe. Ce projet de gazoduc n’était donc absolument pas viable du fait du veto saoudien et en plus le Qatar n’avait, encore une fois, aucun intérêt à déboulonner un régime dont le dirigeant et son épouse venaient passer leurs vacances à Doha. Le pire dans cette histoire de gazoduc fantasmé est qu’elle fait fi de tous ces milliers de Syriens qui sont morts pour leur liberté. Faire de ces martyrs tombés par milliers des êtres téléguidés de l’étranger pour assouvir les appétits financiers étrangers est vraiment insultant pour leur mémoire…
7) Oui mais vous, vous n’êtes pas crédible dans ce conflit car vous avez un parti-pris…
Heureusement qu’il faut avoir un parti pris dans ce genre de situations! Lorsque concernant la Palestine, on défend le camp des opprimés et dénonce l’occupation israélienne, est-ce que notre position est invalidée du fait de ce parti pris? Non, bien sur. Pareil quand on dénonce le drame des Rohingyas ou hier celui des Bosniaques. Eh bien, pourquoi n’adopte-t-on pas la même chose concernant la Syrie? Vous imaginez si on commence à dire s’agissant de Gaza « Oui, mais attention, il ne faut pas être binaire et savoir ne pas être émotif car la situation est compliqué etc »? C’est du reste la stratégie israélienne de noyer le sujet avec ce genre de subterfuges et cela marche malheureusement très bien chez certaines consciences. Au bout du compte, c’est l’attitude inverse qui est invraisemblable : rester silencieux voire pire mettre en doute une catastrophe humanitaire causée par la volonté d’une famille de s’accaparer le pouvoir quitte à réduire en cendres sa population.
8) Du coup, quel est l’intérêt de la Russie de soutenir coûte que coûte le régime? La Russie est un pays anti-système qu’il faut soutenir (la preuve est que Poutine s’oppose aux Etats-Unis!)
Le fait que Poutine se soit opposé à Obama et qu’il tienne tête aux Européens fait-il de lui un saint ? Sa posture « anti-système » l’excuserait-elle de tous les forfaits dont il se rend coupable en Syrie ? Mais d’où vient cette logique qui consiste à minimiser les crimes d’une personne car elle serait « anti-impérialiste » ? C’est humainement consternant et intellectuellement aberrant.
Sur le fond des raisons qui poussent la Russie à agir de la sorte, il y a trois facteurs majeurs. D’abord, il faut rappeler que la Russie est le principal fournisseur d’armes (voire le seul) de Bashar. Pour le Kremlin, il est donc stratégique de préserver son unique allié arabe de poids dans l’équation du Proche-Orient surtout quand cet allié vous met à disposition des facilités militaires qui renforcent votre zone d’influence. C’est le cas par exemple du port de Tartous situé en Méditerranée oriental qui est de facto passée sous souveraineté russe. Ensuite, la Russie qui s’estime toujours menacée par un « jihadisme local » (notamment en Tchétchénie) souhaite soutenir les pays qui sont confrontés à la même menace. Elle a notamment justifié son entrée en guerre en septembre 2015 aux côtés du régime de Damas par le fait de vouloir éradiquer Daech. Enfin, la Russie a fait de la guerre en Syrie un exemple pour démontrer sa force et réaffirmer son rôle de puissance mondiale capable de bousculer le rapport de forces notamment au détriment des Occidentaux. C’est l’ensemble de ces facteurs qui poussent Poutine à ne pas lâcher l’affaire d’autant que l’impuissance de l’ONU, les atermoiements des Européens et le désengagement des Américains lui offre un boulevard.
Seulement, ces raisons cachent mal l’agenda criminel de Poutine qui, comme on l’a dit plus haut, applique une nouvelle fois la stratégie d’anéantissement qui a été la sienne à Grozny. D’autant que l’argument de lutter contre Daech ne tient pas : à Alep, la Russie s’acharne contre des forces rebelles qui avaient expulsé Daech de la ville dès 2014 ! Dit autrement, les Russes laissent dans une large mesure Daech tranquille et préfèrent concentrer leurs bombardements sur les rebelles d’Alep. Vous savez pourquoi? Parce que Daech est « utile » à Assad car en présence du monstre noir, Assad dispose de l’épouvantail idéal qui fait de lui le moindre mal… C’est sidérant et machiavélique mais sur ce registre, il n’y a pas de limites.
Voilà, on peut continuer longtemps mais je m’arrête là. Si après cela, certains demeurent des Assadolâtres, laissons les avec leur conscience car nul n’est plus sourd que celui qui ne veut entendre. Une justice tranchera de toute façon.