L'Algérie emprisonne ceux qui évoquent les décisions du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU

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Algeria-Watch, 1er mars 2017

Rafik Belamrania est écroué pour avoir rendu publique la décision du Comité des droits de l’homme de l’ONU concernant son père, exécuté sommairement en 1995

Rafik Belamrania a été arrêté le lendemain de la publication sur une page Facebook locale des constatations du Comité des droits de l’homme de l’ONU condamnant l’Etat algérien dans l’affaire de l’exécution sommaire de son père en 1995.

L’information concernant la décision du Comité de l’ONU a été postée sur le réseau social le 14 février. Trois jours plus tard, le 17 février, Rafik Belamrania a reçu une convocation écrite de la police d’El Kennar (wilaya de Jijel) qui comportait également les initiales de la brigade de lutte contre la cybercriminalité du commissariat de Jijel. Il s’est rendu au commissariat central de Jijel le 21 février et a été placé en garde à vue. Le parquet de Taher a émis un mandat de perquisition et son domicile a été fouillé. Traduit devant le procureur du tribunal de Jijel et le juge d’instruction le 22 février, Rafik Belamrania a été placé sous mandat de dépôt pour « apologie du terrorisme ».

Ces dernières années, des dissidents et opposants au gouvernement ou considérés comme tels sont souvent poursuivis en référence à l’article 87 bis 4 du Code pénal qui définit l’« apologie du terrorisme ». La criminalisation de l’expression publique autour des exécutions extra-judiciaires est un moyen de bâillonner celles et ceux qui souhaitent faire la lumière sur les dépassements et atrocités commis par des forces de sécurité. Il suffit que des parents de victimes ou des militants interviennent sur les réseaux sociaux pour que cette accusation soit portée.

Exécution extra-judiciaire

Rafik Belamrania, qui est également membre de l’association Mich’al des Enfants de Disparus de Jijel, a soumis le 9 mai 2012 une communication au Comité des droits de l’homme au nom de son père, Mohamed Belamrania, agriculteur de 44 ans et père de 10 enfants, domicilié à El Kennar dans la wilaya de Jijel. Le 13 juillet 1995 dans la soirée, l’armée effectuait dans le village une opération de grande envergure. De nombreux militants et sympathisants du Front Islamique du Salut (FIS) ont été arbitrairement arrêtés. Vers 21h30, une trentaine de militaires appartenant au Cinquième bataillon des parachutistes de l’ANP ont fait irruption à son domicile et ont emmené Mohamed Belamrania à bord de son propre véhicule vers une caserne militaire aménagée dans un centre commercial au centre du village d’El Kennar.

Le lendemain, les hommes détenus dans le centre commercial, parmi lesquels figurait Mohamed Belamrania, ont été emmenés vers une destination inconnue. Trois d’entre eux ont été libérés quelques jours plus tard et ont informé la famille qu’ils avaient été détenus à la caserne d’El Milia situé à une cinquantaine de kilomètres du village.

Le 24 juillet, des cadavres ont été jetés par les parachutistes au bord de la route du lieu-dit Tenfdour près d’El Milia. Quand son frère l’a appris, il s’y est rendu et a identifié Mohamed Belamrania. Il avait les mains liées derrière le dos avec du fil de fer et son corps, criblé de balles, portait des traces visibles de tortures.

Les cadavres ont été enlevés par la police mais les familles ne pouvaient les récupérer que si elles payaient 120 000 dinars et signaient une déclaration attestant que la victime « faisait partie d’un groupe terroriste ».

Déni de droit et cynisme

La famille a déposé une plainte pénale devant le procureur de la République d’El Milia et durant des années, elle a effectué de nombreuses démarches afin qu’une enquête soit diligentée, en vain. En désespoir de cause, les parents de la victime se sont adressés alors au Comité des droits de l’homme dans le but qu’il intervienne auprès des autorités algériennes. Le Comité des Nations-Unies demande qu’une enquête soit menée, que les responsables soient poursuivis et que la famille soit indemnisée.

L’Etat algérien n’a à ce jour jamais fait suite aux recommandations du Comité des droits de l’Homme qui s’est adressé à lui en particulier pour des dizaines de cas de disparitions forcées. Il les a tout simplement ignorées.

Rafik Belamrania est victime d’une détention arbitraire du seul fait d’avoir exercé son droit à la vérité et à la justice. Le déni de droit infligé à un citoyen qui voudrait que la lumière soit faite sur les circonstances et les responsabilités du meurtre de son père est inadmissible. Cet état de fait est une illustration supplémentaire d’une justice algérienne asservie. Algeria-Watch, qui s’associe à tous les militants des Droits Humains et à ceux qui activent pour l’Etat de Droit en Algérie, exige que Rafik Belamrania soit libéré immédiatement.

1 COMMENTAIRE

  1. La famille du journaliste Mohamed Tamalt dépose plainte contre le ministre de la Justice
    Une première dans les annales de la justice.
    L’avocat de la famille du défunt journaliste Mohamed Tamalt, Me Bachir Mechri, annonce avoir déposé plainte, cette semaine, contre le ministre de la Justice, Tayeb Louh, auprès du procureur du tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, lequel la transmettra au procureur général près la cour d’Alger, avant d’atterrir sur le bureau du procureur général près la cour suprême, la juridiction habilitée à poursuivre les hauts fonctionnaires de l’Etat.
    Dans cette plainte, l’avocat demande l’ouverture d’une enquête pénale contre «un membre du gouvernement, Tayeb Louh, considéré au vu de la loi comme un haut fonctionnaire pénalement et directement responsable des délits et crimes commis alors qu’il était au courant et avec son accord et dont Mohamed Tamalt a fait l’objet quand il se trouvait en prison (…) et qui ont engendré des douleurs atroces morales et physiques ayant conduit à sa mort (…).
    Ces actes de torture n’ont pas suscité l’intervention du ministre de la Justice, pénalement responsable de la gestion des instances judiciaires (…). Ce dernier s’est tout simplement abstenu volontairement de toute aide ou assistance à un justiciable en danger de mort. De ce fait, le responsable tombe sous le coup des articles 182 du code pénal, mais surtout l’article 263 bis qui stipule : ‘‘Est puni d’une peine de 5 à 10 ans de prison ferme tout responsable qui accepte ou se tait sur des faits de torture, c’est-à-dire qui engendrent des douleurs et des dommages moraux et physiques’’». Pour l’avocat, «le ministre de la Justice savait que le journaliste faisait l’objet de multiples tortures qui ont causé des douleurs et des dommages moraux et physiques ayant entraîné sa mort en prison. Il savait aussi que le défunt s’était plaint publiquement lors de ses procès de nombreuses violations de la loi et des actes de torture dont il faisait l’objet. Par son silence, le ministre a accepté ces actes et refusé de porter secours au journaliste.
    Il tombe donc sous le coup des articles 263 bis et 182 du code pénal, et de ce fait, il est passible de poursuites judiciaires». Me Mechri précise par ailleurs : «Etant donné qu’il s’agit d’un haut fonctionnaire qui bénéficie du privilège de juridiction, nous avons déposé plainte devant le procureur du tribunal de Sidi M’hamed, lequel va la transmettre au procureur général près la cour d’Alger, avant que ce dernier ne la dépose sur le bureau du procureur général près la Cour suprême.
    Cela fait presqu’une semaine, mais je n’ai encore reçu aucune réponse.» Dans sa longue présentation, Me Mechri revient sur les circonstances de l’arrestation du journaliste, le 26 juin 2016, par les services secrets pour être dirigé vers une caserne à Hydra, avant sa présentation, le lendemain, au parquet d’Alger, en comparution immédiate pour «atteinte à la personne du Président et à une institution de l’Etat», des délits pour lesquels il avait été condamné à 2 ans de prison ferme, le 7 juillet, mais aussi sur la grève de la faim qu’il avait entamée pour dénoncer les violations de la procédure.
    L’avocat n’a pas manqué de rappeler également les circonstances de la «dégradation» de l’état de santé du journaliste en raison d’une grève de la faim qui lui a été fatale. Pour Me Mechri, «Tamalt a fait l’objet de violences et la plainte que sa famille a déposée au niveau du tribunal de Koléa contre le directeur de la prison de cette ville et toutes les personnes que l’enquête révélera n’a malheureusement pas été retenue». Pour toutes ces raisons, la famille du défunt a engagé une action judiciaire contre le ministre de la Justice, étant donné qu’il est, selon elle, «pénalement responsable de ce qui passe dans les prisons et les tribunaux».
    Salima Tlemçani

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