ALI MÉCILI 7 AVRIL 1987- 7 AVRIL 2017 : L’INEFFAÇABLE PRÉSENCE POLITIQUE DU MILITANT ASSASSINÉ

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Par Omar Benderra
Libre Algérie
 
Qui était Ali Mécili ? Un Algérien, né à Koléa en 1940. Un des rares qui aurait pu vivre son destin de colonisé de manière bien moins inconfortable que beaucoup. Tant du point de vue matériel – il était issu d’un milieu relativement aisé – qu’à celui du statut – il était né français. Moudjahid parce qu’il était algérien et solidaire de son peuple, jeune officier des services de renseignement du GPRA. Plus tard, dans les temps de l’exil, homme de droit, il exerçait la profession d’avocat. Et journaliste aussi, il avait fondé en 1986 Libre Algérie. Enfin, militant politique, il était l’un des pionniers du FFS aux côtés d’Hocine Aït-Ahmed, son ami de conviction, son frère de lutte.
 
L’assassinat d’un moudjahid
 
Ceux qui l’ont connu décrivent unanimement un homme affable et souriant, disponible, cultivé et modeste. Pour ses proches de divers horizons, Ali était une personnalité peu commune, généreux et désintéressé, curieux des choses humaines et aimant la vie. Presque tous évoquent ses éclats de rire et son humour.
Ali Mécili détestait l’injustice et la violence et avait un grand sens de la dérision. Il était réaliste sans le moindre cynisme, en dépit de ce qu’il avait pu observer du dévoiement des appareils nés de la guerre d’indépendance. Ce n’était pas un homme triste ni désabusé. Son combat sans relâche pour les droits de l’homme et la libération de l’Algérie a été le sens de sa vie et la raison de sa mort.
Il y a trente ans, le 7 avril 1987 en fin de journée, Ali Mécili était abattu de plusieurs balles de revolver dans le hall de l’immeuble du boulevard Saint-Michel où se trouvait son cabinet d’avocat. Il avait à peine quarante-sept ans et laissait une veuve, Annie, et deux jeunes enfants, Léa et Yalhane.

La vie d’Ali Mécili est, rigoureusement, emblématique de la tragédie algérienne. Il s’agit de l’assassinat d’un moudjahid par un proxénète commandité par des mafieux à la tête d’appareils d’État. L’image est saisissante et en dit plus long que bien des analyses sur la dérive de la dictature et de sa nature réelle : un criminel en service commandé tue lâchement un défenseur pacifique de la Liberté et militant des droits de l’homme sur ordre de l’un des sommets mafieux du régime. L’allégorie est effectivement éloquente : de l’espoir de la Révolution et de l’épopée de la Libération à la dramatique spoliation de l’indépendance par des conspirateurs.

Homme d’engagement démocratique qui n’a jamais cédé aux sirènes de l’argent et du pouvoir, cet intellectuel subtil et intelligent avait pressenti ce dénouement. Ali Mécili, qui avait une connaissance intime du fonctionnement des polices secrètes et de leurs encadrements immoraux et sans scrupules, n’ignorait pas les menaces et le danger qui pesaient sur lui.
Il avait prévu l’attentat qui mettrait un terme à son destin, la lettre – maintes fois citée – que l’on retrouvera après sa mort en atteste sans équivoque : « Lorsque l’on ouvrira cette lettre, se sera accomplie une destinée qui, depuis ma plus tendre enfance, n’aura jamais cessé de hanter mon esprit. […] Je meurs sous des balles algériennes pour avoir aimé l’Algérie. […] Je meurs seul, dans un pays d’indifférence et de racisme. […] Je meurs pour avoir vu mourir l’Algérie au lendemain même de sa naissance et pour avoir vu bâillonner l’un des peuples de la Terre qui a payé le plus lourd tribut pour affirmer son droit à l’existence. »
Au nom d’une prétendue « raison d’État », prétexte à toutes les connivences crapuleuses et aux complicités du pouvoir franco-algérien, l’assassin sera officiellement exfiltré vers l’Algérie où, tout comme ses commanditaires encore en vie, il bénéficie d’une scandaleuse impunité.
Les mœurs du régime d’Alger, son rapport aux pires milieux de la métropole néocoloniale et la nature de ses alliances sont ainsi exposés sans fard. Ces méthodes, qui illustrent explicitement l’effondrement moral du cercle qui dirige effectivement le pays, annoncent les tragédies à venir.

Le meurtre d’Ali Mécili inaugure une phase de ruptures brutales du statu quo illégal établi au lendemain du putsch du 19 juin 1965. À la fin des années 1980, les officines « sécuritaires » prennent un ascendant définitif sur l’ensemble des appareils de pouvoir. En cette année 1987, l’Algérie est à la veille d’une plongée violente dans la déstabilisation et, après une éphémère lueur d’espoir démocratique, dans le carnage et la décomposition.

En faisant assassiner Ali Mécili, les appareils qui conduisent l’Algérie vers le désastre ont voulu annihiler à la racine le front politique qu’Hocine Ait-Ahmed souhaitait construire, en fédérant les forces démocratiques à l’intérieur et à l’extérieur du pays sur une plateforme commune pour l’instauration d’un État de droit.
Ceux qui ont dirigé la main du tueur avaient reconnu les capacités d’organisateur et de pédagogue politique d’Ali Mécili. Ils ne se sont certes pas trompés dans leur évaluation de l’action et les qualités de l’homme. Mais si les décideurs de la mort pensaient qu’en tuant le militant des droits de l’homme ils tuaient l’idée de résistance populaire à l’arbitraire, ils ont fait fausse route.
 
La mémoire du peuple contre l’oubli et le déni de justice
 
Même si les complicités dont ils bénéficient à tous les niveaux font que le crime reste impuni, même si la justice française a décidé de classer le dossier – que faut-il espérer d’un État néocolonial ? –, cette forfaiture ne sera pas effacée. Le refus de conduire plus avant l’action de la justice restera comme une « tache indélébile sur l’honneur de l’État français », selon les mots d’Annie Mécili, l’épouse d’Ali qui mène un combat opiniâtre pour que la vérité soit établie et que justice soit rendue.

L’œuvre d’Ali Mécili est installée dans une durée que ses assassins étaient loin d’imaginer. Grâce à son action inlassable et à celle de tous les militants connus ou anonymes inspirés par son action, la cause des libertés et de la démocratie, celle des droits de l’homme et de l’État de droit, enracinée dans la mémoire des luttes du peuple algérien, est plus que jamais d’actualité. Dans un pays où les références politiques positives contemporaines sont rares, celles et ceux qui continuent la lutte pour l’État de droit se reconnaissent dans le militant assassiné, modèle et précurseur. Longtemps après que les noms honnis des criminels tomberont dans l’oubli, celui d’Ali Mécili demeurera dans l’histoire de ce pays qu’il a tant aimé comme le symbole vivant de la dignité et de l’honneur.

Aujourd’hui, trente années après sa mort, Ali Mécili est parmi nous, présent dans le cœur et la mémoire de tous ceux et celles qui rêvent de liberté et de justice, de tous ceux et celles qui refusent la fatalité du désespoir et de la dictature. Le combat qu’il a mené de son vivant pour le triomphe du droit et des libertés démocratiques reste pour tous aujourd’hui, pour les générations futures, une boussole sûre. Des criminels ont tué l’homme, mais les valeurs qu’il a incarnées sont plus que jamais présentes dans un débat politique qu’aucune force au monde ne pourra étouffer.

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