Une Algérie nouvelle émerge et attend une offre politique sérieuse

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LOGS12/10/2019 14h:30 CET | Actualisé il y a 1 heure

Demonstrators wave national flags during a protest against the country's ruling elite and rejecting the...
Demonstrators wave national flags during a protest against the country’s ruling elite and rejecting the Algerian election announcement for December, in Algiers, Algeria September 27, 2019. REUTERS/Ramzi Boudina

Il ne sert à rien à chercher le nombre des manifestants pour ce 34ème vendredi du Hirak populaire. Il suffit de constater que les Algériens étaient très nombreux à être dans la rue et dans toutes les villes du pays. Mais le 34ème vendredi a été, plus que jamais auparavant, l’expression d’une forte défiance à l’égard du pouvoir. La répression contre les étudiants, mardi dernier, la multiplication des incarcérations de présumés “meneurs”, la prétention d’un gouvernement à la légitimité nulle de faire passer une nouvelle loi sur hydrocarbures ont été très fortement dénoncées par les Algériens. 

La volonté du pouvoir d’aplanir par des méthodes musclées le chemin vers la présidentielle le dessert. Clairement. Le vieux poison de l’auto-intoxication par sa propre propagande brouille la perception au point de ne plus se rendre compte du caractère totalement contre-productif des actions entreprises. 

L’offre politique du pouvoir, qui s’est enfermé dans le rendez-vous électoral du 12 décembre, reste très largement inaudible en dépit de l’effort trop uniforme pour être crédible des médias publics et offshore.

Quand des médias font semblant d’ignorer des faits – les manifestations dans de nombreuses villes du pays – aussi largement visibles sur les réseaux sociaux ou sur des chaînes de TV basées à l’étranger, ce n’est pas seulement leur crédit qui est affecté. C’est surtout  l’image de l’autisme inquiétant du pouvoir qui transparaît.

La légitimité fait la différence

Le “3ours al-initkhabi” (la fête électorale) n’arrive pas à s’enclencher,  une fête ne se préparant pas par des arrestations et de la répression, ni par le discours surfait des douktours des TV qui distribuent avec une facilité déconcertante les accusations de “trahison au service des agendas étrangers”. 

A ce jeu-là, les propos du ministre de l’énergie expliquant que les  “majors” ont été consultés pour la confection de la nouvelle loi sur les hydrocarbures ont donné du grain à moudre pour renverser ce genre d’accusations contre les détenteurs du pouvoir. 

Il est clair qu’une loi sur les hydrocarbures est en grande partie destinée à intéresser des investisseurs étrangers et les consulter sur comment ils perçoivent le cadre des investissements actuel n’a rien d’hérétique. Le vrai problème est que le gouvernement actuel est démuni de légitimité alors que les porte-voix officieux du pouvoir agitent trop le thème de la “trahison” contre ceux qui ne partagent pas sa démarche. 

Le résultat, on l’a vu lors des marches: l’avant-projet de loi sur les hydrocarbures passe, dans le contexte actuel, comme une volonté de faire des concessions aux “majors”  pour obtenir un soutien extérieur. 

La politique du pays en matière d’hydrocarbures – y compris son mode de consommation en interne très gaspilleur et par beaucoup d’aspects d’une absurdité absolue – est une question sérieuse et délicate qui ne peut-être tranchée qu’à l’issue d’un débat national sérieux et avec des institutions bénéficiant d’une forte légitimité populaire. 

Auto-intoxication

L’évidence ne semble pas avoir été perçue. Du coup, en voulant changer la loi dans un contexte politique particulièrement délicat, le pouvoir prête le flanc aux accusations de se chercher des soutiens extérieurs. Les conditions d’un débat institutionnel ne sont pas réunis et cela rend encore plus incompréhensible la mise en chantier de ce projet et les propos, banals dans un autre contexte, du ministre de l’énergie. 

Cette affaire de l’avant-projet de loi sur les hydrocarbures, avec les analyses et réactions abruptes voire approximatives et erronées qu’il suscite, est en tout cas révélatrice d’une mauvaise perception politique.

La démarche du pouvoir – autre effet de son auto-intoxication par les médias qu’il oriente et contrôle- continue d’ignorer une réalité nouvelle: une opinion publique algérienne existe et s’exprime, souvent de manière contradictoire, hors des canaux habituels. 

Sans intermédiation partisane (les partis sont dans un état déplorable),  institutionnelle (le parlement est sans crédit) ou médiatique (les TV publiques et privées sont univoques), cette opinion s’exprime fortement et parfois crûment dans la rue, sur les réseaux sociaux.

En ciblant les militants et les activistes désignés de fait comme les “meneurs”, le pouvoir confirme qu’il n’a pas encore saisi le sens de ce qui se passe depuis le 22 février. 

Une nouvelle Algérie, informée et sans naïveté, parfois très militante, s’est mise sur un nouveau temps politique. Cette Algérie-là attend une vraie offre politique de changement, elle ne veut pas se contenter de celle que fait actuellement le pouvoir et qui se résume par un “on a dégagé la 3issaba, c’est fini, on continue”. 

Trop peu pour un pays humilié – le mot n’a rien d’excessif – par un système qui a permis à la 3issaba d’exister, de durer et de s’imposer derrière une apparence présidentielle momifiée. 

Ce sentiment est partagé par des Algériens aux convictions différentes et divergentes, dont l’instrumentalisation a très bien fonctionné  dans les années 90, mais qui n’opère plus en dépit des efforts menés en ce sens sur les réseaux sociaux.

La jonction qui était encore impossible en 2011, au moment des printemps arabes, entre les classes populaires et les classes moyennes a finalement eu lieu. Elle se nourrit d’une dynamique propre, très largement aidée par le “brainstorming collectif” qui se mène quotidiennement, hors de l’info “naharisée” ou “chouroukisée”, sur les réseaux sociaux. Les militants et les activistes y participent, y contribuent, l’alimentent, ils n’en sont pas les “meneurs”. L’épreuve qu’ils subissent alimente les colères et les mobilisations, elle n’entrave pas le hirak.  

Sortir de l’impasse

En fixant la date de l’élection au 12 décembre sans obtenir au préalable un consensus suffisamment solide, le pouvoir complique la crise. L’idée d’une instance nationale de médiation composée de personnalités fortes et respectées aurait pu aider à construire ce consensus, elle a été dévoyée dans le panel de Karim Younès, transformé après une vague velléité vite abandonnée d’exiger des “mesures d’apaisement” en comité de soutien à des décisions déjà prises. 

Multiplier les arrestations et accentuer la répression ne va pas créer les conditions d’une bonne élection. Or le pays, dont les perspectives économiques s’assombrissent  a besoin d’une élection qui donne un gouvernement à la légitimité indiscutable. Le pays a besoin d’un parlement bien élu et doté d’un véritable pouvoir pour éviter que de nouvelles 3issabates ne s’installent et décident en vase clos. 

Le pouvoir est dans une démarche de passage en force pour une échéance qui n’a pas l’assentiment d’une partie substantielle des Algériens. On avance clairement vers l’inconnu alors que des opportunités ont été clairement offertes par un mouvement populaire pacifique mais persistant. Il y a un nouveau contrat social à négocier entre la société et l’Etat.  La politique qui est un art de la négociation sert à y parvenir de manière pacifique et concertée. Le pays est en attente de cette offre pour la discuter, l’amender et l’adopter. Elle peut venir de la société elle-même, à travers les efforts que mènent les acteurs de la société civile. Elle peut venir, c’est même le plus souhaitable, du pouvoir lui-même s’il arrive à faire une évaluation correcte de la situation. Cela peut se faire via une vraie instance de médiation composée de personnalités consensuelles respectées capables de proposer une vraie démarche de sortie d’impasse.  La confrontation n’est ni nécessaire, ni inéluctable. La politique sert justement à l’éviter.

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