Abdelghani Badi. Avocat : «Le discours raciste et violent agrée visiblement le pouvoir»

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IDDIR NADIR 29 DÉCEMBRE 2019

EL WATAN

-Vous avez dénoncé, dans un post sur votre page Facebook, un texte où Lakhdar Benkoula s’est félicité de l’agression dont ont fait l’objet des manifestants dans certaines régions du pays. Vous vous êtes interrogé sur l’inaction du parquet après de tels propos. Comment en est-on arrivé là ?

Il faut commencer par rappeler ce qui s’est passé ces dernières heures. Il y a d’abord les agressions signalées lors des marches d’hier (vendredi) et l’absence de réaction du parquet. Il n’y a eu aucune arrestation ni poursuite contre les agresseurs, qui ont pourtant agi à visage découvert, contrairement à ce qui s’est passé lors de la campagne électorale. On se rappelle toutes ces interpellations et des poursuites en masse engagées contre des manifestants accusés d’entrave au processus électoral. Le comportement que je qualifie de sélectif des autorités est inacceptable. Deuxièmement, il y a toutes ces publications sur les réseaux sociaux qui appellent à la haine ou carrément à la violence contre les manifestants du hirak, comme justement ce post de Benkoula que vous citez. Mais là aussi, il n’y a pas eu de poursuites. Le pouvoir actuel est toujours prompt à arrêter et incarcérer des personnes accusées d’«atteinte à l’unité nationale» pour ce slogan : «madania machi askariya» (Etat civil, non militaire). Mais à côté, les graves discours de haine en ligne ou dans la rue n’émeuvent point les pouvoirs publics, alors que les conséquences de tels appels sur la société et l’Etat sont terrifiantes.

-La loi algérienne est pourtant très claire. Pourquoi les autorités ne les appliquent pas ?

Effectivement, les textes de loi sont très clairs. Ainsi, les articles 77 et 96, entre autres, du code pénal punissent tout acte incitant à la haine contre une partie de la population, les appels à la division… Mais nous constatons que ces articles sont appliqués uniquement aux manifestants pacifiques du mouvement populaire. Les autorités politiques judiciaires restent silencieuses, lorsqu’elles estiment que ces actes délictueux peuvent fragiliser davantage le mouvement populaire.

-Les propagateurs de la haine sont connus de tous. Des actions en justice sont engagées contre présidente du Parti de l’équité et de la proclamation (PEP), Naïma Salhi, mais à ce jour aucune réaction de la justice ou même de ses collègues de l’APN. Pourquoi ?

En effet, des avocats du barreau de Béjaïa, et d’autres ont déposé des plaintes contre Naima Salhi, députée à l’APN, mais sans réaction à ce jour. Je m’interroge d’ailleurs sur l’inaction du ministère de la Justice et de la commission juridique de l’APN après les dérapages répétés de la députée. Le discours raciste et violent dont font la promotion les Salhi, Benkoula et d’autres agrée visiblement le pouvoir. Il sert sa stratégie de domestication du hirak. Légalement, les déclarations criminelles de ces individus n’exigent aucunement le dépôt d’une plainte, mais seulement une déclaration, comme celle que j’ai postée sur ma page Facebook et qui a été partagée des centaines de fois. Le parquet doit s’autosaisir après toutes ces attaques qui ciblent une région du pays, la Kabylie en l’occurrence.

Concernant Naïma Salhi, je vous apprends que la famille du commandant Lakhdar Bouregaâ s’est approchée de notre collectif d’avocats pour le dépôt d’une plainte contre la députée, et ce, dans les plus brefs délais. La famille de Bouregaâ veut la poursuivre en justice à cause de sa dernière vidéo. Nous allons saisir la commission juridique de l’APN, le ministère, etc. Les discours de haine sont inacceptables. D’ailleurs, des militants «inventorient» les propos de Benkoula, Naima Salhi, etc. La VAR, comme l’appellent les facebookeurs, est active. Il s’agit de répertorier tous les propos racistes, d’où qu’ils viennent : qu’il s’agisse des séparatistes ou des baâthistes, dont le discours est revenu au-devant de la scène, nul n’est au-dessus de la loi. La loi doit s’appliquer dans toute sa rigueur, parce que les conséquences de tels agissements sur le pays, comme nous le craignons, seront à terme terrifiantes. Par leur discours, ces gens sèment les graines d’une future guerre civile. Il y a les exemples des voisins, en Libye, en Syrie et au Yémen, où la guerre a été alimentée par le confessionnalisme, le racisme communautaire, religieux….

-Quel rôle doivent jouer l’élite, la société civile, les partis, pour endiguer ce discours ?

La responsabilité de l’élite est totale. Elle doit sensibiliser la société sur ces agissements. La justice doit aussi se saisir ce dossier, sans tenir compte de la couleur politique des uns et des autres. Les partisans du pouvoir sont épargnés par les poursuites, alors que ceux qui sont connus pour leur opposition au régime sont poursuivis. Le discours de haine doit cesser,et le parquet porte une responsabilité pour l’endiguer, si on veut éviter au pays des drames.

Propos recueillis par Nadir Iddir

3 Commentaires

  1. Djerad a deja declaré dans le passé (avril) qu il y a  »rupture de confiance » et qu il y a lieu d’engager des actions credibles ! il a mis en relief le « besoin de changement et la nécessité de proceder a un changement des residus du systeme »
    ce genre de comportement doit etre neutralisé et des sanctions devraient etre prises dans le cadre de la loi ce serait un signal fort parmis d autres pour « demontrer » la volonté politique de soustraire la violence et la baltaguisation de la pratique politique et d assainir meme le discours politique qui incite qui confond confrontation des idees et adversité ! la force et la contrainte ne doivent appartenir qu a la loi l environnement politique a unbesoin pressant de s assainir car un jour ou l autre il produira un extremiste peu controlable!

  2. Même l’ex-ministre de l’intérieur devrait être jugé pour ses propos irresponsables,mais nous ne sommes pas dans un État de droit.

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