« Il n’y a pas assez de lits » : en Algérie, les maternités débordées

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Des images publiées sur les réseaux sociaux, montrant des femmes allongées à même le sol alors qu’elles viennent d’accoucher, ont suscité une vive émotion.

Par Zahra Chenaoui  Publié aujourd’hui à 13h00
Le Monde.fr

Dans une maternité à Alger, en 2007.
Dans une maternité à Alger, en 2007. Zohra Bensemra / REUTERS

Dans le hall d’entrée, un homme tourne en rond ; des familles arrivent continuellement, les bras chargés de couvertures et de sacs remplis de nourriture ; une sage-femme tente de se frayer un chemin, poussant un berceau à roulettes dans lequel dort un nouveau-né. Ce mercredi 22 janvier, dans le service maternité de l’hôpital de Kouba, à Alger, c’est l’heure des visites.

Si tout semble calme, c’est pourtant d’ici qu’est partie, au début du mois, une vive polémique sur la situation des maternités en Algérie. Des images publiées sur les réseaux sociaux montrent des femmes allongées à même le carrelage alors qu’elles viennent d’accoucher. La jeune femme qui les a publiées affirme que sa sœur, hospitalisée après une fausse couche, a passé la nuit sur un fauteuil roulant par manque de lits.

Touil Naima Meriem@Touil_Na

المهم أننا شيَّدنا المسجد الأعظم…
Eph Kouba.. Service de Gynéco..

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29619:40 – 10 janv. 2020Informations sur les Publicités Twitter et confidentialité153 personnes parlent à ce sujet

La controverse enfle rapidement. Le 11 janvier, le ministère de la santé réagit en affirmant que les photos « ne reflètent pas la réalité » et demande d’éviter ce type de publication, « qui nuit à l’image du personnel de la santé ». Le 18 janvier, lors du conseil des ministres, le président Abdelmadjid Tebboune demande qu’un « plan d’urgence » soit mis en place « sur deux priorités » : les services d’urgence et la prise en charge des femmes enceintes, qui sont les « maillons faibles du système sanitaire ».

Plus d’un million d’enfants naissent chaque année dans le pays depuis 2014. Le nombre moyen d’enfants par femme est désormais de trois, un chiffre en augmentation depuis le début des années 2000 (il était de 2,8 en 2010). Le nombre de grossesses à risque augmente également, en raison de la progression du diabète et de l’hypertension, qui touchent de plus en plus d’Algériens et d’Algériennes.

Des agressions verbales et physiques

Dans les services de gynécologie obstétrique publics, les médecins que Le Monde Afrique a interrogés se disent à bout. « Très souvent, pendant les gardes, on se retrouve à court de place, en réanimation comme en post-partum. On est face à un dilemme : refuser les patientes ou se retrouver débordés. Nous savons très bien que lorsqu’on renvoie une personne, elle devra faire le tour des hôpitaux pour trouver une place, raconte un soignant de l’hôpital Mustapha-Pacha à Alger, le plus grand du pays. Essayez d’expliquer à un homme qui voit sa femme souffrir et qui vient de faire deux ou trois hôpitaux, que vous, dans le “grand hôpital”, vous n’avez pas de place. Au quotidien, nous sommes agressés verbalement et parfois physiquement. »Lire aussi  A Alger, avec des médecins « à bout d’avoir à se débrouiller pour soigner »

« A chaque garde, il y a une confrontation entre l’équipe médicale et l’administration, parce qu’il n’y a pas de lits, pas d’oxygène, pas de compresses, pas de réactifs en laboratoire », raconte Leïla, gynécologue obstétricienne dans un établissement public. Elle se souvient du jour où elle a demandé à l’infirmière d’aller chercher le matelas de son propre lit de garde pour éviter qu’une patiente qui venait d’accoucher soit allongée par terre. « C’est la responsabilité de l’administration de trouver une place à une patiente. Si vous ne voulez qu’on refuse des gens, ouvrez des maternités ! », lance-t-elle.

Dans une étude de 2017 intitulée « Grossesse et accouchement : les logiques sociales des responsables, du personnel de santé et des femmes », sept chercheurs algériens soulignent que les gynécologues des hôpitaux des grandes villes « sont quotidiennement confrontés à l’afflux incessant des parturientes des autres régions », dû à la « pénurie de moyens techniques » ou à « l’absence de médecins ayant les compétences nécessaires pour les prendre en charge ». L’existence de cliniques privées n’a pas désengorgé les hôpitaux. Les patientes qui présentent des grossesses à risque ou des complications sont orientées vers les structures publiques, car les cliniques ne sont pas autorisées à avoir des banques de sang, indispensables en chirurgie obstétrique.

Huit nourrissons morts dans un incendie

A la détresse des familles s’ajoute le ras-le-bol des médecins, qui ont multiplié les mobilisations depuis 2011. Le mouvement des résidents, une grève accompagnée de manifestations qui a débuté fin 2017, n’a permis aucun changement profond. L’un des slogans de ces médecins en cours de spécialisation était : « Dites au citoyen qu’on n’a pas les moyens. » Et les drames, comme celui du mois de septembre 2019, quand huit nourrissons sont morts dans l’incendie d’une maternité à El Oued, à 600 km au sud-est d’Alger, ne semblent pas provoquer d’électrochoc. Les médecins qui avaient manifesté se disent « désabusés » et ne croient pas au changement.Lire aussi  Algérie : huit nourrissons meurent dans l’incendie d’une maternité

Le Hirak, mouvement de protestation politique né en février 2019, ne leur donne pas tellement plus d’espoir. Les polémiques régulières provoquées par des vidéos sur les réseaux sociaux et les annonces du président de la République non plus. « Nous recevons des instructions puis leur contraire plusieurs fois par semaine ! Cet été, un registre a été mis à notre disposition pour écrire les adresses des malades. Parfois on se faisait engueuler pour avoir admis un patient hors secteur, et maintenant on nous demande d’accueillir tout le monde. Lorsqu’on n’a aucune stratégie, on s’adapte à la colère du peuple », commente le soignant de l’hôpital Mustapha-Pacha.

Mi-janvier, le ministère de la santé a envoyé aux personnels de santé une note dans laquelle il demande de limiter l’usage des téléphones portables personnels pendant le service.« Les autorités ne savent pas comment on travaille. Quand il faut évacuer une patiente ou lui trouver un lit ailleurs parce qu’on n’a plus de place, on passe par nos téléphones pour appeler nos confrères, puisque les standards téléphoniques ne répondent jamais », s’emporte un chirurgien, persuadé que le but de la note est tout simplement d’empêcher la diffusion de photos sur les réseaux sociaux.

Zahra Chenaoui (Alger, correspondance)

1 COMMENTAIRE

  1. C’est vrai que les maternités sont débordées, mais on oublie très vite que l’Algérie accueille plus d’un million de naissances et chaque année ! Ellah ibarek, la procréation bat son plein sur ce plan là, on n’a pas à se plaindre !

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