L’Algérie rattrapée par la réalité économique.

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– Youcef L’Asnami

« Monsieur le Président de l’Assemblée Populaire Nationale,

A travers ce Plan d’action, le Gouvernement aspire à être à la hauteur du processus de renaissance nationale que mène M. le Président de la République, depuis près de deux décennies.

C’est l’ampleur de cette œuvre et l’importance des fruits qu’elle a générés au profit de nos compatriotes, à travers toutes les contrées du pays, qui a forgé cette communion solide à travers laquelle le peuple est uni autour de son Président, le Moudjahid Abdelaziz BOUTEFLIKA. Cette unité est en fait la meilleure réponse aux partisans de l’instabilité chronique et à ceux qui guettent l’avènement du chaos.

Dieu fasse que le Gouvernement soit à la hauteur de sa mission, et à la hauteur des attentes légitimes de notre peuple ».

C’est par cette conclusion que l’ex Premier Ministre Ahmed Ouyahia a présenté « le plan d’action du gouvernement pour la mise en œuvre du programme du Président de la République », le 17 septembre 2017 !.

Ahmed Ouyahia, comme nombre des partisans de Fakhamatouhou Bouteflika, a été arrêté, jugé et condamné à une lourde peine pour corruption.

On peut toujours ergoter sur ces arrestations de la Issaba. Il n’en demeure pas moins qu’elle reste profondément liée au salutaire mouvement citoyen qui a débuté le 16 février 2019 à Kherata et bien avant au Nord du pays par des manifestations contre le pouvoir de Bouteflika, non médiatisées, et qui ont valu les arrestations de Ghermoul et Kada, premiers « activistes » du « Hirak » !

Un peu plus de deux ans après cette déclaration de Ouyahia, c’est au tour de l’actuel Premier ministre A. Djerad de présenter, mardi dernier, devant le Parlement, le nouveau « Plan d’action du gouvernement pour la mise en œuvre du programme du Président de la République » en ces termes :

« Le gouvernement, sous la direction du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, œuvre à contribuer de manière efficace à la construction d’un « new deal for a new Algeria » (un nouveau pacte pour une nouvelle Algérie) qui englobera l’ensemble des aspects de la gouvernance politique, économique et sociale, avec l’objectif de recouvrer la confiance de notre peuple en ses gouvernants et en ses institutions ».

Abdelaziz Djerad est en fonction. On notera le peu d’innovation en matière de titre donné aux deux Plans !

Deux plans, aux mêmes titres et aux contenus très similaires. 54 pages dont deux annexes pour le Plan 2017, 64 pages dont une annexe pour le plan 2020 ! « Programme du Président de la République », pas celui du gouvernement.

Dans les deux plans, des intentions louables, une volonté de rupture, de transparence où tous les domaines de la vie des citoyens sont traités : éducation, développement humain, agriculture, commerce, politique sociale, sécurité, libertés publiques, fiscalité, institutions de l’Etat…

Mais les deux plans souffrent d’une grande faiblesse. L’absence de chiffrage des financements des actions projetées. Le changement dans la continuité !

Parce qu’au même moment de la présentation du nouveau Plan, Djerad dresse un tableau catastrophique de la situation financière du pays accusant les anciens dirigeants du pays d’« une gestion catastrophique de l’Etat ainsi que des pratiques autoritaires ayant mené au pillage et à la dilapidation des richesses du pays et à la destruction systématique de ses institutions et de son économie dans le but d’accaparer ses biens » 

et en précisant que :

« …la situation financière du pays demeurait fragile et tributaire des fluctuations du marché mondial des hydrocarbures, . …l’aggravation du déficit budgétaire en 2019, la hausse du déficit de la balance commerciale à 10 milliards de dollars fin 2019, le recul des réserves de change de plus de 17 milliards de dollar et la hausse de la dette publique intérieure qui a atteint 45% du PIB contre 26% en 2017… l’incidence financière importante résultant des décisions et engagements pris en 2019, qui s’élève à 1000 milliards DA, en l’absence des financements nécessaires à leur couverture ».

Alors comment le gouvernement va-t-il financer ces dizaines d’actions concrètes relevées dans son Plan 2020 avec une situation économique plus que dégradée et une conjoncture des plus défavorables ?  Nous sommes toujours dépendant de notre rente énergétique et ce, en dépit de toutes les intentions annoncées par quasiment tous les gouvernements qui se sont succédés depuis l’indépendance, pour y mettre fin. Cette rente n’a jamais été une bénédiction divine, mais bien une malédiction.

 La panique en haut lieu est d’autant plus inquiétante que les prix du pétrole ont été divisés par deux en quelques années. Et que la manne financière dont a profité le pays n’a pas toujours été utilisée à bon escient. Si elle a pu permettre quelques réalisations dont on ne peut que se réjouir, elle a considérablement profité aux clans du système qui se sont enrichis au détriment des citoyens fragilisés par le chômage, le manque de logement, d’hôpitaux dignes de ce nom et de tout ce qui permet une vie simplement décente.

La récente déclaration du Président Tebboune vantant l’exploitation du gaz de schiste comme éventuelle alternative au pétrole montre à l’évidence que le pouvoir continue de ne miser que sur les ressources naturelles et pas sur le capital humain.

Si le Plan d’action 2020 prévoit « la mise en place de dispositifs permettant à nos soeurs et frères établis à l’étranger de participer activement au développement de leur pays. Plus particulièrement, le gouvernement est déterminé à faire appel à toutes les compétences nationales à l’étranger pour profiter de leur savoir dans le domaine scientifique, technique et culturel, pour construire cette Algérie nouvelle et s’ouvrir à l’universalité »., il ne mentionne aucunement la stratégie qui sera mise en œuvre pour sa concrétisation.

Certes, un secrétariat d’Etat chargé de la communauté nationale et des compétences à l’étranger a été créé dans le dernier gouvernement Djerad sans que l’on puisse savoir quelles sont ses attributions qui n’ont jamais été publiées.

Depuis sa nomination, l’actuel occupant de ce Secrétariat a été missionné pour représenter l’Algérie dans les conflits africains ou ceux du Moyen Orient. Et on attend toujours sa feuille de route pour voir concrètement ce qu’il a prévu de faire pour mobiliser les compétences algériennes à l’étranger. Mais la priorité n’est t- elle pas de mobiliser d’abord les compétences nationales déjà présentes sur place ?

Parce que, outre le fait que ce nouveau Plan d’action n’est pas chiffré pour son exécution, ni ne donne des échéanciers pour chacune des actions envisagées, sa mise en œuvre nécessite une mobilisation active de toutes les ressources humaines existantes, d’abord celles présentes sur place et ensuite celles éparpillées dans les autres pays. Et pour ces dernières, il faut définir aussi concrètement que possible une stratégie de recensement de ces compétences à l’étranger, les moyens de les mobiliser et les domaines prioritaires de leurs éventuelles intervention en collaboration avec les cadres locaux.

Négliger le « capital humain » comme investissement de long terme le plus stratégique pour un pays en développement est plus qu’hasardeux. Il relève tout simplement de l’inconscience.

La multiplicité des actions envisagées dans le nouveau Plan 2020, sans une priorisation, un échéancier, des moyens humains et financiers mobilisés risque le même échec cuisant que celui du précédent Plan. Surtout que le gouvernement de M. Djerad ne brille pas par de nouvelles compétences qui n’ont pas fait partie, à différents niveaux, du système toujours en place.

Le chantier de reconstruction de l’Algérie est immense. Il ne sera pas exécuté par des mots, des intentions ou des discours. Il sera exécuté par des actes concrets, et évaluables.

« Ceux qui laissent sciemment le roi se tromper méritent d’être punis comme des traîtres. ». Une citation qui date du Moyen âge.

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