Coronavirus : en Algérie, la solidarité s’organise face à l’épidémie

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Accueil de sans-abri, dons de matériel aux soignants, fabrication de respirateurs artificiels… Une vague de mobilisation gagne le pays, parfois à l’insu de l’Etat.

Par Zahra Chenaoui 
Lemonde.fr
Publié le 06 avril 2020 à 19h30 – Mis à jour le 07 avril 2020 à 17h53

A Alger, le 16 mars 2020.
A Alger, le 16 mars 2020. Ramzi Boudina / REUTERS

« On nous a dit de rester chez nous, alors j’ai pensé à ceux qui n’avaient pas de chez eux. » Propriétaire d’une salle des fêtes à Bejaïa, Fahim Ziani, 49 ans, ne peut plus exercer son activité du fait des mesures prises en Algérie pour lutter contre l’épidémie liée au coronavirus, qui a fait au moins 130 morts dans le pays. Il était donc à son domicile, auto-confiné, lorsqu’il a écrit sa toute première publication sur Facebook, le 22 mars. « J’ai proposé de mettre ma salle à la disposition des SDF », raconte-t-il.

Tout s’enchaîne alors très vite : la direction de l’action sociale de Béjaïa, à 200 km à l’est d’Alger, le reçoit pour lui expliquer la marche à suivre, puis les dons et les propositions d’aide affluent. Le projet implique des élus locaux, des associations, la protection civile, des bénévoles et le centre de santé situé à proximité. Les premiers sans-abri sont accueillis le 26 mars. « Nous avons été dépassés par les dons. Désormais on demande aux habitants de les transmettre aux associations locales », explique Fahim Ziani.

Masques saisis par la police

L’arrivée des premiers cas de Covid-19 a provoqué une vague de mobilisation bénévole en Algérie. A Oran, la deuxième ville du pays, des dizaines d’initiatives ont été lancées par des gens seuls, des groupes d’amis ou des associations : collecte de produits alimentaires pour les familles affectées par le ralentissement de l’activité économique, fabrication de moyens de protection pour les personnels soignants, production de repas pour les hôpitaux, réalisation de spots de sensibilisation…

« En ce moment, on essaye de créer des coopérations pour éviter les doublons. On a réussi à mettre en commun les inventaires de dons reçus et de besoins exprimés. Ce n’est pas simple de faire travailler les gens ensemble, mais certains le font et ça marche bien », raconte un Oranais de 28 ans qui demande à rester anonyme. Impliqué dans le monde associatif de la ville, il établit un lien avec le mouvement de protestation pour un changement de système politique qui a débuté en février 2019 et dont les manifestations se sont arrêtées avec la propagation de l’épidémie. « Le Hirak est devenu comme une grande association caritative et de solidarité », affirme-t-il, tout en reconnaissant que des associations plus proches de l’Etat sont elles aussi très mobilisées.

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Dans une Algérie où la défiance entre gouvernants et citoyens est très importante, à Oran comme à Béjaïa les autorités semblent plutôt enclines à collaborer avec les initiateurs de projets, selon les témoignages recueillis par Le Monde Afrique. Même si dans certains cas, « elles soutiennent en fermant les yeux ».

A Alger, des bénévoles rapportent en revanche avoir été arrêtés, d’autres empêchés d’accéder aux hôpitaux pour déposer des dons. « La police a saisi le stock de masques et de combinaisons que nous avions fabriqués dans un atelier de couture. C’était une fabrication non réglementaire, selon eux. Sauf qu’on reçoit tous les jours des messages de soignants qui n’ont pas de combinaisons », raconte un médecin hospitalier de 32 ans qui organise, avec des amis, la production de matériel de protection pour les services dédiés au Covid-19, afin de pallier les manques.

Des dons strictement encadrés

Face à l’urgence, les réactions officielles prônent une politique de mobilisation centralisée. Le 23 mars, dans un communiqué, le président Abdelmadjid Tebboune adressait ses « chaleureux remerciements » au « mouvement associatif, aux volontaires et bénévoles ». Le décret publié par la suite annonçait cependant que les « actions de volontariat » devaient être « organisées et encadrées » par des commissions officielles dans chaque wilaya (préfecture), composées des représentants des services de sécurité, du procureur et de deux élus locaux.

Le ministère de la santé a aussi fait savoir que les dons devaient « exclusivement » être faits auprès de la Pharmacie centrale des hôpitaux et que les médecins ayant accepté des masques de la part de bénévoles seraient rappelés à l’ordre. « Si la Pharmacie centrale des hôpitaux était une institution compétente, il n’y aurait pas de soignants sans masques. Je ne vais pas réalimenter une institution défaillante, estime un chef d’entreprise de 29 ans qui demande à rester anonyme. On voit bien que nos dons permettent de réduire la panique des médecins, c’est ça le plus important. On arrête de communiquer, mais on continue d’en faire. »

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A Baba Ali, en périphérie sud de la capitale, Ryadh Brahimi, 39 ans, est confiné dans son entreprise, la Global Algerian Technology (Gatech), avec une trentaine d’employés. Depuis le 16 mars, ils travaillent à la création d’un respirateur artificiel. La veille, un appel d’offres avait été publié par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. « Nous avons compris que les procédures allaient nous faire perdre du temps et nous avons prévenu que nous étions prêts à commencer tout de suite, gracieusement », raconte Ryadh Brahimi.

Les ingénieurs commencent aussitôt leurs recherches. Alertées par le bouche-à-oreille, les autorités mettent des moyens à leur disposition. En deux semaines, avec l’aide d’universitaires, de médecins et de membres de la diaspora, cette entreprise de génie électrique a mis sur pied un prototype. « C’est une machine de guerre, pas un respirateur de la qualité de ceux produits par des multinationales avec des années d’expériences, explique le chef d’entreprise. Mais si ça permet de sauver une vie, on aura réussi. »

Zahra Chenaoui(Alger, correspondance)

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