Souvenir de l’imposition de Bouteflika au palais d’El-Mouradia

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PAR AW · PUBLIÉ AVRIL 20, 2020 · MIS À JOUR AVRIL 20, 2020

Redouane Boudjema, Algeria-Watch, 20 avril 2020

Le 15 avril 2020, vingt et un ans se sont écoulés depuis l’imposition d’Abdelaziz Bouteflika au palais d’El-Mouradia. Rappelons que ce dernier a toujours fait partie des laboratoires, coulisses, intrigues et salons du pouvoir, depuis l’indépendance. Il a participé à l’imposition d’Ahmed Ben Bella en 1962, il était aussi l’un des architectes et exécutants du coup d’État contre ce dernier en 1965 et l’un des membres influents du Conseil de la révolution après que Boumediene ait accaparé le pouvoir. Et il est l’un des membres fondateurs de ce système caractérisé par le refus de l’ouverture, la violence, l’exclusion et la haine.

Le vote du 15 avril 1999 sera bien ancré dans l’histoire, car il a mis à nu l’autorité dirigée par le général Liamine Zéroual, qui a annoncé sa démission le 11 septembre 1998, après la prolifération des nébuleuses violences contre les civils : notamment les massacres survenus à Raïs, Sidi-Youssef et Bentalha dans la Mitidja, puis à E-Ramka dans la wilaya de Relizane, mais aussi suite à l’assassinat du chanteur Matoub Lounes, le 25 juin 1998.

Sans oublier l’épisode des luttes de clans : via les pages de journaux proches du général Toufik Médiène, Khaled Nezzar, Mohammed Touati et tous les artisans du coup d’État de janvier 1992, tandis que d’autres journaux défendaient le général Zéroual et son bras droit, Mohamed Betchine. Tous ces épisodes vécus entre l’été 1997 et l’été 1998 permettent aussi de mettre à nu les médias et leurs accointances avec les pires notabilités militaro-policières. De nombreux journaux ont été utilisés en tant que piliers de propagande et de contre-propagande parmi les différents clans.

Bouteflika, le candidat au consensus clanique, pour sauver le régime et détruire l’État…

Le retour de Bouteflika sur la scène médiatique en vue de son accession à la présidence d’El-Mouradia a eu lieu dans la salle rose de l’hôtel Aurassi, en février 1999. La salle était remplie de tous les visages connus pour leur allégeance et leur fidélité au pouvoir, et ils ont été accueillis dans le hall de la salle par Ali Benflis, désigné comme directeur de sa campagne sur ordres du général Larbi Belkheir. Ce dernier était le cerveau derrière la nomination de Bouteflika et il avait vendu cette nomination à Toufik Médiène et aux généraux du système, y compris l’ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar, qui a d’abord hésité avant de s’incliner et rejoindre le cortège.

Le processus visait à imposer un président accablé par des dossiers de corruption et repu à la conduite des équilibres des clans. Il constituait aussi un bon porte-parole avec divers réseaux à l’étranger. Cela visait à sauver un régime en manque de légitimité (car dépourvu de base sociale) et qui se trouvait à l’époque ébranlé au niveau international en raison de crimes violents, de violations des droits humains commis à l’initiative de ses responsables. Le régime était aussi au bord de l’effondrement économique et largement dépendant vis-à-vis l’égard des institutions monétaires internationales.

Je me souviens bien de cette journée. J’étais journaliste au journal El-Yaoum, qui a été lancé fin janvier 1999… L’ambiance dans la salle a accru ma conviction que Bouteflika était le candidat des militaires. La question qui m’habitait était : le général Zéroual acceptera-t-il de participer à l’imposition de Bouteflika pour sauver le système et continuer à détruire l’État ?

Je me demandais s’il allait se soumettre à la volonté de Toufik Médiène, lui qui se disait l’une de ses victimes, d’où sa démission. Aurait-il la force de sortir par la grande porte et travailler à tenir ses promesses en vue d’organiser des élections ouvertes, d’autant plus qu’il avait tenu à envoyer des garanties spéciales à Ahmed Taleb Ibrahimi, Hocine Aït Ahmed et Mouloud Hamrouche assurant que les élections seraient équitables et honnêtes.

Les réseaux de Larbi Belkheir et Toufik Médiène allient le cœur et le ventre des islamistes et des laïcs…

Dans la foulée, Saïd Sadi (dirigeant du RCD « laïque »), certaines associations et tous les journaux ayant soutenu Khaled Nezzar, Mohamed Touati, Djebbar M’henna et le coup d’État de janvier 1992 se mirent au travail. Une grande partie des réseaux qui soutenaient Liamine Zéroual ont aussi commencé à donner des signes de soutien à Abdelaziz Bouteflika.

Saïd Sadi fut engagé dans une opération de distribution de rôles : il a intensifié les déclarations critiquant les adversaires et concurrents de Bouteflika, soit Aït Ahmed, Taleb Ibrahimi et Hamrouche, avant de finir dans les bras de Bouteflika, le lendemain des élections. Il l’a qualifié d’ami et l’avait même accompagné en Syrie pour assister à l’enterrement de Hafez El-Assad, le défunt chef du parti Ba’ath syrien. Son parti a par la suite participé au premier gouvernement sous Bouteflika avec Amara Benyounes et Hamid Lounaouci comme ministres…

Parallèlement, le premier qui a commencé à recruter des islamistes pour prêter allégeance à Abdelaziz Bouteflika fut Abdelaziz Belkhadem, qui était proche de tous les islamistes tout étant l’un des hommes de Larbi Belkheir. Il était actif dans le cadre du groupe de la paix et de la réconciliation, et j’ai été témoin du début d’une réunion dans sa résidence à El-Mouradia après avoir pris part à une conférence de presse.

Il s’agissait d’une réunion à laquelle ont assisté de nombreux hommes proches d’Abdallah Djaballah (dirigeant du Mouvement pour la réforme nationale Al Islah) : à leur tête Lahbib Adami, Abdelwahhab Derbal et bien d’autres. Belkhadem a aussi joué un rôle majeur dans l’obtention du soutien à Bouteflika de quelques dirigeants de l’ex-FIS (dont Abdelkader Boukhamkham et El-Hachemi Sahnouni), mais aussi de quelques figures des dits « islamistes armés » (dont Madani Mezrag et d’autres, en collaboration avec le général Smaïn Lamari, adjoint de Médiène à la tête de la police politique)…

Le mystère qui est demeuré jusqu’à la dernière minute fut la position du mouvement de Mahfoud Nahnah (le Hamas, qui deviendra Mouvement de la société pour la paix, MSP), d’autant plus que le dossier de candidature de Nahnah avait été rejeté au motif officiel de ne pas avoir participé à la guerre de libération, même s’il avait déjà été candidat à l’élection présidentielle qui avait confirmé Zéroual au palais d’El-Mouradia en 1995.

Le mouvement de Nahnah a formé une équipe d’avocats dirigée par Mustapha Bouchachi, qui a déposé une plainte urgente. Parallèlement, le regretté M’Hamed Yazid a tenté de défendre Nahnah afin de le convaincre d’apporter son soutien à Mouloud Hamrouche. Dans un entretien qu’il nous a alors accordé, il a déclaré que les instigateurs de la venue de Bouteflika étaient derrière l’exclusion de la candidature de Nahnah. Et en marge de ce dialogue, il m’a donné une information non sujette à publication : le mouvement de Nahnah allait annoncer son soutien à Mouloud Hamrouche. Il disait que ce soutien avait été obtenu lors d’un dîner qu’il avait organisé en présence de Mouloud Hamrouche et Mahfoud Nahnah.

S’agissant de M’hamed Yazid, avec qui j’avais de bonnes relations, je n’avais pas d’embarras à aller loin dans ma discussion avec lui : je me suis permis de lui dire que j’étais sûr que le parti de Nahnah soutiendrait Bouteflika, parce que celui-ci avait un large soutien de tous les réseaux de Toufik Médiène. J’étais convaincu que Nahnah ne pouvait pas se rebeller contre les généraux de janvier 1992, tout simplement parce qu’il avait applaudi à tout ce qu’ils ont fait, et il avait des ministres et des députés au Parlement croupion que fut le Conseil national de transition. Sans parler de l’implication et des accointances des membres de son parti avec les services dans de nombreuses affaires de corruption.

À la fin de la semaine évoquée, lors d’une conférence de presse à l’hôtel Essafir, au terme d’une réunion du Conseil de la choura du mouvement Hamas, Mahfoud Nahnah sort pour dire que son mouvement est courtisé de toutes parts, comme dans une opération de séduction en vue d’un mariage. Parmi tous les prétendants, il a décidé de marier son mouvement à celui du candidat qu’il a décrit comme le « grand moudjahid, diplomate et expérimenté : le nommé Abdelaziz Bouteflika ». Suite à cette déclaration de Nahnah, ont été entamés les préparatifs en vue de la formation du premier gouvernement de Bouteflika, où des ministres issus de tous les réseaux du régime se sont rapprochés les cœurs et les ventres : on y trouvait aussi bien des islamistes que des laïcs, réputés auparavant être de farouches adversaires, mais tous ralliés à la « mangeoire » du régime par les manœuvres de Larbi Belkheir.

Le 14 avril 1999, les Six se retirent et Zéroual rejoint le candidat des généraux

Dès le début du scrutin concernant le vote des corps constitués (des militaires dans les casernes), les six candidats en compétition avec Bouteflika ont reçu des nouvelles confirmées et documentées selon lesquelles des instructions avaient été données pour faire élire Bouteflika, ce qui constituait un acte de fraude et de corruption du scrutin. Hocine Aït Ahmed a demandé une rencontre urgente avec Liamine Zéroual, laquelle a été rejetée au prétexte que le programme du président ne le permettait pas. Les six candidats ont compris dès lors que Zéroual était incapable de tenir sa promesse d’organiser des élections ouvertes. Et Ait Ahmed a compris que se retirer de la farce et laisser seul le candidat des militaires était la seule issue possible. Avant de prendre cette décision, il a subi une attaque cardiaque et a failli y passer.

Le 14 avril, les six candidats sortent du siège du FFS et émettent une déclaration commune annonçant leur retrait de la course puisqu’il était devenu clair que le scrutin était clos et que l’armée avait opté pour Abdelaziz Bouteflika.

Le soir du scrutin, le général Zéroual, qui avait refusé de recevoir Hocine Aït Ahmed, a pris le temps de faire un discours à la nation. Il a dénoncé le retrait des Six et confirmé que les élections auraient tout de même lieu et seraient libres et honnêtes. Zéroual, tout comme ses amis militaires, ont choisi de sauver le régime en exposant l’État aux dangers de la destruction et de la noyade dans la corruption.

Bouteflika n’est sorti du pouvoir qu’après le soulèvement du peuple le 22 février 2019, au terme de vingt ans d’une gouvernance militaire qui nomme toujours des présidents. Heureusement, la nation veut en découdre avec cette gabegie militariste. Elle ne désespère pas. Elle est toujours déterminée à sauver l’État du virus de la médiocrité, de la corruption et de la tyrannie. Un virus dont les effets sont plus dangereux que le virus du Corona, parce qu’il menace l’existence de l’État en tant qu’entité politique et juridique.

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