Disparition d’Ahmed MAHIEDDINE (1948 – 2020), un intellectuel musulman de France, érudit et apolitique[1].

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Saddek SELLAM

Le 6 janvier Ahmed Mahieddine est décédé à l’hôpital de Versailles, où il résidait depuis le début des années 70. Il a été inhumé au carré musulman du cimetière communal de la ville.

Mahieddine était issu d’une famille de propriétaires de Mérachda, au nord-est de Berrouaghia. Il était né en 1948 à Berroughia, où s’était installé son père comme artisan cordonnier apprécié pour son professionnalisme et connu pour son caratère entier.

Il est arrivé en France en 1966, juste après avoir obtenu un bac math-élém au lycée Ibn Rochd (ex-Duveyrier) de Blida, où il avait été un brillant élève. Il disputait la première place à Messaoud Chettih qui a fait l’Ecole Centrale des Arts et Manufacture, avant de devenir PDG de la SNS (société nationale de sidérurgie). Après les classes préparatoires du lycée Saint Louis à Paris, il a intégré l’école de la Statistique de l’INSEE, dont il a obtenu le diplôme d’ingénieur Statisticien. Un de ses condisciples à l’ENSAE, Hamdi, a occupé, dans les années 90, le poste de secrétaire d’Etat chargé de la Statistique. Dès son arrivée à Paris, il eut des échanges épistolaires avec le penseur Malek Bennabi qu’il voyait régulièrement quand il allait en vacances en Algérie, et lors d’une brève expérience professionnelle à Alger. En 1972-73, il a travaillé dans les services statistiques dirigés par Boualem Dellouci, un ancien capitaine de la Wilaya durant la guerre de libération, qui renonça aux postes politiques pour aller étudier la statisqtique et la démographie à Washington. Dellouci appréciait beaucoup Mahieddine, et regrettait son départ précipité d’Algérie en 1973.

Il a aussi connu de près un étudiant musulman indien en Statistique Thanaullah qui a été, en 1968, à l’origine de l’implantation dans la banlieue parisienne puis dans toute la France de l’organisation piétiste et apolitique Djam’iat Tabligh.

La réflexion de Mahieddine sur l’Islam avait comme principales références  Malek Bennabi(1905-1973), Muhammad Hamidullah (1908-2002) et les disciples du cheikh Elyas , fondateur du Tabligh en Inde en 1928. Il voyait régulièrement Mokhtar HADJRI(1909-1992), un militant communautire tunisien, installé en France en 1946 et qui se méfiait beaucoup de la politique, surtout politicienne. Hadjry présidait l’Amicale des Musulmans en Europe au nom de laquelle il publiait la revue France-Islam à partir de 1967, jusqu’au milieu des années 80. Hadjry croyait beaucoup plus à une action éducative et sociale qu’au militantisme politique au nom de l’Islam. Il avait loué exprès dans le 17° arrondissement de Paris un appartement qu’il réservait aux étudiants nécessiteux et aux voyageurs de passage à Paris.

Sa sociabilité et son désir de mieux connaître le reste du monde musulman amenèrent Mahieddine à se lier d’amitié avec de nombreux étudiants musulmans à Paris, comme l’ingénieur agronome tunisien Ali Djebali et Dhoul Kifl Salami,qui deviendra ministre du pétrole au Bénin. La sympathie qu’avait pour lui le libyen Abdelmadjid Deibani, un ancien magistrat venu soutenir une thèse de droit musulman à la Sorbonne, permit à Mahieddine de retrouver les traces de son oncle maternel. Ce brillant sujet de la famille Qortebi de Médéa voulait se rendre pendant.pendant la deuxième guerre mondiale au Caire pour continuer ses études à la prestigieuse université d’El Azhar. Mais, à cause de la fermeture de la frontière entre la Lybie et l’Egypte, il s’est arrêté à Darna, dans le djebel Lakhdar, près de Benghazi, où il s’est marié et installé comme enseignant estimé. Le cheikh Deibani a vu une ressemblance, physique et de caractère entre l’oncle et le neveu, et a permis à Mahieddine d’aller faire la connaissance de ses cousins.

Mahieddine se rendait aussi en Inde où il a vérifié la grande différence de niveaux entre les théologiens du Tabligh et les braves et enthousiastes, parfois exaltés, travailleurs maghrébins revenus à la pratique grâce à cette organisation.

Il a complété sa formation d’ingénieur par des études de Sciences économiques à l’université Paris I, où il a soutenu un mémoire sur les investissements arabes en Afrique, après l’augmentation du prix du pétrole en 1973. Il a eu comme directeur de recherche Jacques Austruy, l’auteur de « Vocation économique de l’Islam ». Dans ce livre,  l’auteur ne dissimule pas son admiration pour Malek Bennabi, dont il a lu le célèbre ouvrage « Vocation de l’Islam », avant de le rencontrer en 1969, au séminaire de la pensée islamique de Bouzaréa, Alger. Il a fréquenté le séminaire d’économie de l’Ecole polytechnique du professeur Henry, à qui il a fait connaître un discret intellectuel iranien, sollicité pour faire connaître aux chercheurs la pensée économique en Islam. C’était aBou al Hassan Bani Sadr, qui fera parler de lui quand Khoméyni est arrivé à Neauphle-le-Château et, surtout, comme éphèmère président de la République islamique d’Iran qu’il quitta par refus du « mollaîsm », terme utilisé par Iqbal pour désigner le cléricalisme. 

Mahieddine a commencé sa carrière de statisticien au BIPE, un bureau d’études de Neuilly dirigé par Alain Boublil, futur collaborateur de Pierre Bérégovoy, avant de passer dans les services de Statistiques des ministères des transports et de l’équipement. 

Il avait un grand intérêt pour le débat d’idées, et suivait attentivement l’évolution du monde musulman. Son ancienneté et sa grande mémoire en faisaient un interlocuteur apprécié des chercheurs intéressés par l’histoire réelle des musulmans en France, si négligée par les sociologues – idéologues et les politistes sécuritaires.

Ses visites à la mosquée de Paris ne passaient pas inaperçues. Les « paroissiens » instruits appréciaient particulièrement sa culture, sa bonne humeur et sa générosité.

Il a laissé trois enfants dont l’éducation religieuse lui tenait à coeur.


[1]    Pour avoir su que Mahieddine habitait Versailles, un politiste sécuritaire qui traquait tous ceux qui avaient connu Bennabi a osé écrire, sans le nommer (pour éviter des démentis cinglants) qu’il « islamisait les banlieues »(sic). En proférant une accusation aussi gratuite, l’islamo-politiste médiatique ne s’est guère avisé que Mahieddine habitait juste à côté du château de Versailles…qui n’est pas un quartier d’immigrés.

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