Des incendies et un pyromane.

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Ali Bensaad

De l’Amérique et de la Sibérie jusqu’au pourtour méditerranéen, sur ses deux rives, les incendies ont été exceptionnellement ravageurs. Partout les points de départ des incendies ont été multiples et souvent au plus près des agglomérations urbaines et même aux portes de capitales comme Athènes dont la région a connu 99 départs de feux. En Turquie qui a connu plus d’une centaine de départ de feux (133 au total dont 112 quasi instantanés), ceux-ci ont consumé 8 fois plus de surface que la moyenne des plus importants incendies des 20 dernières années et ont atteint de nombreuses villes dont une importante capitale régionale et plus importante station balnéaire du pays, Antalya. La vitesse de propagation des incendies a été jusqu’à 10 fois plus rapide que les 20 dernières années. En France qui n’est pas le pays méditerranéen qui cumule le plus de facteurs d’aridité, la vitesse des incendies a été 4 fois plus rapide que les décennies précédentes. Le monde a déjà basculé dans une autre dimension climatique L’Algérie n’a donc été ni la seule à être concernée par les incendies ni celle qui en a subi les plus importants.

Mais seuls les dirigeants algériens ont incriminé leur population. Seuls les dirigeants algériens ont expliqué ces incendies par « une origine criminelle », « un complot visant à déstabiliser le pays ». A la suite du ministre de l’intérieur, Tebboune en personne a repris la thèse d’incendies criminels. De tels propos ne pouvaient que jeter la suspicion au sein des populations en les convainquant que la cause de leur malheur est en leur sein. C’est le principe même de la Fitna. Venues se rajouter à une extrême exaspération causée par les incendies, ces paroles, autrement plus incendiaires, ne pouvaient que chauffer à blanc une population poussée aux limites de l’épuisement par le manque de moyens de lutte contre les flammes. C’est le principe même de l’excitation des foules en appuyant sur leur malheur et en désignant un bouc émissaire.

Les paroles incendiaires de Tebboune avaient été prononcées plusieurs jours avant le lynchage de Djamel Bensmail. Ne restait qu’à trouver le coupable. La foule l’a fait plus tôt que le régime. Il y avait parmi elle aussi retors et haineux que le régime qui leur a tendu la perche enflammée. Ni la population, ni le régime ne sont à l’origine de ces incendies.

Mais le régime est coupable de propos incendiaires qui allaient fatalement rencontrer le bois mort des esprits asséchés par la haine et les enflammer. Tout pouvoir peut réprimer massivement. Le régime algérien l’a souvent fait en Kabylie et ailleurs en Algérie. Mais aucun pouvoir, n’a la capacité de manipuler le réel aussi finement que le laisserait supposer un scénario aussi bien ficelé que celui qui aurait conduit depuis des incendies planifiés jusqu’à l’assassinat prémédité de Djamel Bensamail. C’est encore plus en dessus des capacités du pouvoir algérien, médiocre et qui n’a toujours retrouvé ni centralité ni stabilité.

Si le pouvoir n’a pas capacité de manipuler le réel, il a la capacité d’instrumentaliser l’interprétation du réel. C’est ce qu’il n’a cessé de tenter de faire depuis l’affaire de l’étendard amazigh jusqu’à celle du « terroriste » grossièrement fabriqué « Dahdouh », pour tenter de diviser le Hirak, l’isoler.En se cherchant des coupables, le régime voulait d’abord faire oublier son incompétence. Tout en mettant en lumière cette incompétence, les jeunes des Aurès qui, à défaut d’équipement, ont affronté les incendies à main nue, la diaspora qui a pallié à la faillite sanitaire du pays, l’élan de solidarité nationale qui se levait autour de la Kabylie en flamme, ont constitué également des défis au régime qui ne les a pas vus d’un bon œil. C’est ainsi que, fait unique, l’ambassade d’Algérie en France a multiplié les obstacles pour casser l’élan de solidarité au lieu de l’encourager.

Les incendies en Kabylie ont révélé encore plus cette incompétence. Il y’a déjà 50 fois plus de morts en Algérie qu’en Grèce et 15 fois plus de morts qu’en Turquie alors que les incendies dans ces deux pays ont été autrement plus importants (près d’une centaine de morts contre 7 en Turquie et 2 en Grèce). C’est qu’une partie importante des morts étaient des militaires et des civils venus combattre le feu, victimes du dérisoire et de l’archaïsme des moyens dont ils disposaient et qui étaient une autre illustration de la faillite du riche pays pétrolier qu’est l’Algérie.

Les propos de Tebboune sont venus pour cacher cette lacune. Mais aussi pour stigmatiser une région qui reste une citadelle du Hirak et qui bénéficie dorénavant, pour cela notamment, de la sympathie du reste du pays. Il n’a pas cru devoir formuler les mêmes accusations au plus fort des incendies des Aurès. Ses propos avaient pour but de jeter de l’huile sur le feu dans tous les sens du terme. Le régime avait tout loisir de produire des coupables à la « Dahdouh » en puisant dans la réserve du DRS ou parmi les lampistes de l’économie charbonnière qui, du Maroc à la Syrie, reste importante comme l’illustre ne serait-ce que l’importance du réseaux des marchands de brochettes qui émaillent les quartiers et les routes ( Le « Charbonnier » de Bouamari n’a pas perdu de son actualité) et qui, même quand elle est informelle, est contrôlée par les services.Les paroles incendiaires de Tebboune ont produit rapidement leurs effets inflammatoires et la recherche du coupable anonyme qu’il a livré à la foule s’est muée, comme c’est souvent le cas, en quête hâtive par celle-ci d’une personnification expéditive et expiatoire. Ce qui est arrivé à Djamel Bensmail aurait pu arriver à tout autre personne dont la présence aurait pu susciter le moindre doute (où sur laquelle on aurait insinué des doutes ?).

Il aurait pu malheureusement se passer dans n’importe quelle région d’Algérie. Pour que cela arrive, il faut une trilogie d’ingrédients : la parole manipulatoire d’un leader (dans ce cas Tebboune), une situation d’exaspération (ici, c’est les incendies mais il y a tellement de motifs à exaspération en Algérie) et une culture de haine bien ancrée chez des éléments « moteurs » pour conduire le reste de la foule à commettre l’innommable comme le lynchage de Djamel Bensmail.

Oui, il y’a des racistes haineux en Kabylie, il y’a des « Naïma Salhi » kabyles qui appellent à la haine du non-kabyles tout comme Naïma Salhi et tant d’autres appellent à l’éradication des Kabyles. Ce sont des frères-jumeaux en haine. Aucune indignation ne sera à la hauteur du crime de Djamel mais il ne fut pas le seul, dans notre histoire toute récente, à être aussi abjecte. Ceux qui dans la décennie noire ont éventré des femmes enceintes et fracassé le crane de bébés contre le mur, venaient de tous les coins d’Algérie. Ceux qui ont semé en eux la graine de haine et de folie avaient réussi en 1992 à manipuler une majorité, même relative, de citoyens pour obtenir leur suffrage. Le pouvoir lui-même avait joué avec le feu du FIS qui a failli l’emporter et nous a valu une décennie de malheur. En remuant les braises de la haine, Tebboune, s’il n’est pas criminel est au moins irresponsable. Mais il y’a aussi l’abjecte à bas bruit, celui de la haine du quotidien, comme celui instillé contre les femmes et qui a conduit au viol collectif, pendant plusieurs jours de femmes travailleuses à Hassi Messaoud, par une horde de 300 hommes au vu et au su de tout le monde, autorités comprises, et avec le soutien tacite d’une partie de la population et l’instigation d’imams. Il nous faut regarder en face toutes ces haines sinon, elles nous rattraperont avec l’imprévisibilité et la vitesse des flammes.

Entre temps, Tebboune aura réussi à détourner le débat de la question essentielle : comment un riche pays pétrolier envoie ses soldats et civils combattre le feu à mains nues quand le régime voisin, tout aussi prédateur mais moins nanti, dispose d’une flotte de huit Canadair dont 5 depuis plusieurs années qu’il se permet même le luxe d’envoyer en appui en Italie et Espagne ? Le Maroc est pourtant bien moins menacé que l’Algérie par l’aridité et les incendies. Son relief en amphithéâtre ouvert sur l’Atlantique le fait plus accessible et surtout plus humide (le potentiel hydrique du Maroc est quasiment le double de celui de l’Algérie mais surtout le Maroc mobilise quatre fois plus de ressource hydrique que l’Algérie). Le régime algérien peut se cacher derrière un bon alibi. La Turquie qui fait partie pourtant du G20, n’a plus de Canadair. La libéralisation aux forceps imposée par le pouvoir islamiste a abouti au démantèlement des infrastructures de l’organisation semi-publique qui détenait des avions bombardiers d’eau. L’islamisme a pour seul programme économique le libéralisme le plus débridé. On comprend mieux les enjeux du flirt du régime avec les islamistes et l’éloge fait à l’islamisme turc par Tebboune dans la complaisante interview de « Le Point ».Mais le régime Turc n’a pas eu l’indécence d’accuser son opposition pour les incendies. Son opposition kurde pratique pourtant la violence et les attentats et est bien implantée dans les régions montagneuses et boisées du pays.

Tebboune, lui s’est permis de franchir la ligne de l’indécence. La décence était du côté du père de Djamel le Hirakiste. Sa décence puisait dans une vieille culture d’opposition, notamment celle du MDA Cela nous rappelle que le Hirak ne vient pas de nulle part. Il n’ira pas n’importe où.

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