Elections au Maroc : les islamistes brûlés par les deux bouts.

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Analyse

Moroccan Saad-Eddine El Othmani, Morocco’s Prime Minister and president of the Islamist Justice and Development Party (PJD) casts his ballot on September 8, 2021 in Sale as Moroccans vote in parliamentary and local elections. (Photo by – / AFP)

A la tête du gouvernement depuis dix ans, le PJD a perdu 90 % des ses députés aux élections législatives. Les autres partis ont profité de la déception des électeurs pour convaincre les campagnes et surtout les rares urbains venus voter.

par Célian Macé publié le 9 septembre 2021 à 18h50
https://www.liberation.fr/international/afrique/

La débâcle était prévisible, son ampleur beaucoup moins. Le Parti de la justice et du développement (PJD), à la tête du gouvernement marocain depuis dix ans, a vécu un naufrage politique historique, mercredi, en passant de 125 sièges dans l’Assemblée sortante à 13. Soit une perte vertigineuse de 90 % de ses députés. La claque est la même aux élections régionales et communales, qui se tenaient le même jour.

Certes, la réforme du mode de scrutin – le calcul de l’attribution des sièges se fait désormais en fonction du nombre total des électeurs inscrits, et non pas des suffrages exprimés – lui était mécaniquement défavorable. Mais l’effondrement du parti islamo-conservateur est plus profond.

Un «bouc émissaire consentant»

Le PJD a perdu sur tous les tableaux. Pour exister dans un système ultra-dominé par l’institution monarchique, le parti a dû faire des compromis, année après année, jusqu’à exaspérer les «vrais» islamistes qui ont fini par s’en détourner. «Le PJD a endossé beaucoup de réformes impopulaires, notamment auprès de son électorat, comme le démantèlement des subventions des produits de première nécessité (sans le remplacer comme promis par des aides ciblées) ou le remplacement des employés de la fonction publique par des contractuels, explique Mounia Bennani-Chraïbi, politologue à l’université de Lausanne. Mais le coup de grâce a été la normalisation des relations avec Israël Une décision royale qu’a avalisé sans broncher, ou presque, le chef de gouvernement, Saad Dine El Otmani.

Le PJD a également été lâché par les sympathisants non-islamistes, qui voyaient en lui un parti intègre, pouvant représenter une alternative à «l’Etat profond», capable notamment de lutter contre la corruption. «Le système politique marocain broie de manière inexorable les partis de militants comme le PJD, poursuit la chercheuse. Ils n’ont pas assez de marge de manœuvre pour mener une politique autonome et deviennent le bouc émissaire, le réceptacle de toutes les critiques. Le PJD était un bouc émissaire consentant. Il a servi une nouvelle fois de fusible à la monarchie.» Sa gestion des grandes métropoles, qu’il dirigeait souvent depuis une décennie, a également déçu.

Vote massif des campagnes

Le taux de participation au triple scrutin de mercredi a été de 50 %, une mobilisation proche de celle atteinte lors des dernières élections communales, en 2015 (53 %). Signe de son essoufflement, le PJD a présenté deux fois moins de candidats que lors des précédents scrutins. Comme d’habitude au Maroc, les campagnes ont voté massivement, les grandes villes très faiblement. Le Rassemblement national des indépendants (RNI), grand vainqueur des élections, a parfaitement su tirer profit de cette différence.Reportage

A Tanger, le parti islamo-conservateur «a prouvé qu’il était incapable de faire changer les choses»

«D’un côté, le parti a largement mobilisé ses réseaux de notabilité, de clientèle à l’ancienne en milieu rural, pour ratisser très large. De l’autre, il a ciblé par des campagnes sur les réseaux sociaux les quelque 3 à 5 % de l’électorat urbain qui suffisent à faire basculer l’élection, puisque la participation y est beaucoup plus faible, décrypte David Goeury, géographe au laboratoire Médiations de la Sorbonne et chercheur associé à l’observatoire Tafra, l’un des seuls experts à avoir prédit la déroute majeure du PJD. Le RNI a débuté sa campagne très tôt, ils avaient un programme à marteler, de l’argent à dépenser. Ça a très bien fonctionné.»

Proche du Palais

Dirigé par Aziz Akhannouch, richissime homme d’affaires proche du Palais à la tête du puissant ministère de l’Agriculture depuis quatorze ans, le RNI a obtenu 102 sièges de députés sur 395. Conformément à la Constitution, c’est lui que le souverain Mohammed VI doit charger de former un gouvernement.

Plusieurs scénarios sont envisagés : il pourrait envisager une coalition avec le Parti authenticité et modernité (PAM), une autre formation libérale fondée par un conseiller du roi, arrivée en seconde position des législatives avec 87 sièges. Ou bien composer avec l’Istiqlal (nationaliste, 81 sièges) avec qui il a déjà formé une alliance à l’issue des élections des chambres professionnelles un mois plus tôt. A moins qu’Akhannouch n’invite tout ce monde à participer, une nouvelle fois, à un gouvernement pluriel. «La scène politique officielle n’est pas le lieu de cristallisation des conflits qui traversent la société marocaine, rappelle Mounia Bennani-Chraïbi. Les véritables détenteurs du pouvoir, eux, n’ont pas à rendre de compte aux électeurs.»

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