Il y a deux années, Ali Yahia Abdenour dit Da Abdenour nous a quittés.

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 26/04/2023
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Ali Yahia Abdenour et l’auteur aux «Débats d’El Watan» en 2006. Photo : D. R.

Le concept de dignité humaine est la clef de voûte de la société et son contraire est l’humiliation. Lorsque l’homme est humilié, il oublie qu’il est habité par la vie et la risque. Que se redresse l’homme humilié!»

Ces propos d’Ali Yahia Abdenour, extraits de l’avant-propos de son ouvrage La Dignité humaine, résument à eux seuls un pan de ses  77 ans de lutte, d’abord pour la délivrance du joug colonial et ensuite  pour la dignité du citoyen algérien. A travers son parcours, son abnégation et ses privations (voir le quotidien Liberté du 26/04/2021), on ne peut qu’avoir de la considération pour l’homme et de l’admiration pour son engagement.

Par ses combats indépendantistes et politiques, sa lutte syndicale et son engagement dans la défense et la promotion des droits de l’homme, il a influencé, et inspire encore après son décès, des générations d’Algériennes et d’Algériens.

Car, contrairement à ceux qui s’employaient à lustrer leur carrière dans les arcanes du pouvoir, à profiter de la magnificence du cocon familial et de découvrir enfin l’opposition à l’âge de la retraite, Da Abdenour, lui, a préféré sacrifier ce qu’il pouvait avoir gracieusement au profit de ce qu’il pouvait arracher par la lutte.

Né le 18 janvier 1921 à Ain El Hammam où il décrocha le certificat d’études, Da Abdenour passe au collège à Tizi Ouzou où il obtient le Brevet élémentaire qu’il appelait par dérision «le brevet alimentaire», car «il pouvait nous ouvrir les portes du travail», disait-il. Ses études secondaires, il les poursuivra à Médéa.

Instituteur à Souama, ensuite à Médéa et enfin à Miliana à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il sera témoin des massacres commis à Sétif, Guelma et Kherrata par les troupes coloniales, décide d’adhérer au Parti du peuple algérien PPA-MTLD et  s’investira dans le syndicalisme algérien et fera partie du noyau qui crée l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le 24 février 1956 sous l’égide du Front de libération nationale (FLN) qu’il avait rejoint.

Début  juin 1956, Da Abdenour est désigné au secrétariat de l’UGTA pour remplacer Aissat Idir, arrêté quelques jours auparavant, et qui décédera des suites des tortures subies dans les geôles des prisons françaises. Le 7 janvier 1957, quelques jours avant la Bataille d’Alger, et en pleine préparation par le FLN de la grève des huit jours qui devait coïncider avec l’ouverture de la 11e session des Nations unies à New York, Ali Yahia Abdenour est arrêté.

Il passera 15 jours à la Direction de la surveillance du territoire (DST) de Bouzaréah, avant d’être conduit au camp de concentration de Berrouaghia, ensuite  à celui de Paul Cazelles à Ain Oussera puis à celui de Bossuet à Oran. En février 1957, après la grève des 8 jours,  l’administration coloniale décide d’expulser vers la France d’abord son épouse Louisa, enseignante comme lui à l’école de Diar Saada à Alger, et fin novembre, c’est lui qui est expulsé d’Algérie vers la métropole avant de rejoindre Tunis où il est désigné Secrétaire unique de l’UGTA qui avait son siège dans la capitale tunisienne.

Au lendemain de l’indépendance, il est élu député de Tizi Ouzou à l’assemblée constituante. L’année suivante Da Abdenour, participe à la fondation du Front des forces socialistes (FFS) le 29 septembre 1963 et rejoint la lutte contre la dictature de l’armée des frontières, à sa tête, Ben Bella.

En 1968, alors âgé de 47 ans, il entame des études en droit et rejoint en 1972 le barreau d’Alger. Il y  défendra gracieusement de nombreuses personnalités algériennes persécutées pour leurs opinions, à l’instar des militants du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), dont Ali Kechid et El Hachemi Cherif, du Mouvement culturel berbère, dont Saïd Sadi et Arezki Ait  Larbi,  de la Mouvance islamiste dont Ali Benhadj, Abbasi Madani et Abdelkader Hachani, ou des journalistes comme Mohammed Benchicou.

Le 2 octobre 1983, Da Abdenour connaîtra sa première arrestation post-indépendance dans l’affaire Benchenouf, un ancien commandant de bord d’Air Algérie accusé de vouloir lancer un maquis dans les Aurès. Gardé 15 jours au siège de la Sécurité militaire, il sera déféré ensuite à la prison de Berrouaghia, qu’il avait connue pendant la guerre d’indépendance.

Le 10 juillet 1985, il est à nouveau arrêté avec d’autres militants des droits de l’homme pour avoir constitué le 30 mai 1985, la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH). Il écopera de 11 mois de prison ferme pour «atteinte à la sûreté de l’Etat». Libéré le 9 juillet, il sera à nouveau arrêté le 15 décembre de la même année et déporté à Ouargla dans le Sud algérien, où il est mis en résidence surveillée jusqu’au 07 mars. A cette époque, plusieurs villes du pays connaissent des émeutes. Elles aboutiront aux révoltes d’octobre 1988 particulièrement à Alger.

La répression sera brutale et sanglante. L’armée investit la rue. Des centaines de jeunes manifestants sont tués, des dizaines subiront la torture. Cette révolte d’octobre 1988 obligera le pouvoir à faire des concessions. Une nouvelle Constitution est adoptée le 23 février 1989, et la Ligue renaîtra de ses cendres le 26 juin sous le nom de Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). L’arrêt du processus électoral en janvier 92, marquera la décennie noire et rouge que connaîtra notre pays.

C’est dans ce contexte qu’Ali Yahia Abdenour multipliera ses déclarations en Algérie et dans la monde pour condamner les dérives autoritaires du pouvoir d’alors. En novembre 1994 et janvier 1995, face au refus catégorique du pouvoir d’engager un dialogue avec l’opposition, sept formations politiques algériennes se réunissent à Rome sous l’égide de St Egidio pour chercher une solution politique au conflit algérien.

Abdenour Ali Yahia participe activement à ces deux rencontres qui aboutissent à la signature, le vendredi 13 janvier 1995, de la plateforme du contrat national pour une solution globale, politique et pacifique de la crise algérienne. Malheureusement, la plateforme de Rome est rejetée par le pouvoir algérien et  instaure l’état d’urgence. Malgré cet état de fait, Da Abdenour ne baisse pas les bras et s’investit corps et âme sur le terrain de la paix et de la défense des opprimés.

Il dira à cet effet : «L’important c’est de rester debout, de se défendre, de ne pas regarder seulement ce qui a été fait avant, mais de regarder le chemin à faire qui est encore très long, de se mobiliser et d’essayer d’expliquer, parce qu’ il faut dialoguer avec les gens pour les amener à défendre votre position.» Il décédera le 25 avril 2021.

Il restera ce digne fils de l’Algérie. Un militant et avocat téméraire, talentueux, probe et intègre en campant, comme il le traduisait si bien dans sa vie, dans son comportement, le genre de personnalité dont l’Algérie a tant besoin. Car il croit en ce qu’il défendait et prenait garde de ne défendre que ce en quoi il croyait et ressentait pleinement. Il ne recherchait que l’expression de la vérité et la livrait sans craindre personne hormis l’erreur, l’injustice et sa propre conscience.

Hanafi Si Larbi
Universitaire

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