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Retour sur le coup d’État du 11 janvier 1992.

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bentalhaLe coup d’État du 11 janvier 1992 marque, de façon indélébile, l’une des pages les plus sombres de notre histoire. En effet, après avoir vivoté péniblement pendant trois ans, la démocratie reçoit un coup d’estocade par ceux-là mêmes qui sont censés la protéger. Ce jour-là, le haut commandement militaire referme définitivement la parenthèse démocratique, et ce, en s’appuyant sur des forces qui n’ont de démocratique que le nom.
Mais, à analyser l’avènement même de la démocratie en Algérie, ce résultat est prévisible dans la mesure où le processus est la résultante des luttes au sommet de l’État, opposant les réformateurs aux conservateurs, et non une revendication émanant de la société. Ainsi, le peuple algérien n’est que le troisième acteur.
Cependant, bien que le processus soit biaisé à son origine déjà, il n’en reste pas moins que les Algériens accueillent l’ouverture démocratique à bras ouverts et décident, par la même occasion, de donner vie à ce processus en jouant, à fond, le jeu démocratique. À deux reprises, le 12 juin 1990 et le 26 décembre 1991, ils se rendent massivement aux bureaux de vote en vue de choisir leurs représentants. Cela rompt avec la pratique du parti unique où des hommes sans envergure interdisent au peuple algérien toute immixtion dans la vie politique du pays.
En tout cas, par ces deux actes citoyens, les Algériens démentent les arguments des usurpateurs du pouvoir en 1962, lesquels soutenaient injustement l’idée que les Algériens n’étaient pas en mesure de participer à l’édification des institutions de la République. Hélas, après trois décennies de verrouillage du champ politique, la transition d’un système dominé par la hiérarchie militaire –tous les militaires algériens ne font pas de la politique. C’est le haut commandement qui dévie la mission de cette institution à d’autres fins – à celui d’un système libéral au sens politique du terme ne se passe pas sans heurts ni sans grenouillages politiques.
Malgré le retrait des militaires du comité central du FLN en mars 1989, dans les coulisses, le haut commandement surveille, à travers le déploiement des agents de la police politique, les moindres faits et gestes des acteurs politiques. Ainsi, bien que le gouvernement réformateur, dirigé par Mouloud Hamrouche, veuille se lancer dans la voie des réformes démocratiques, les pesanteurs dont telles que chaque annonce est immédiatement combattue par les conservateurs.
Pour ces derniers, les acquis accordés au peuple algérien sont provisoires et constituent une réponse « préconisée pour faire face à la crise économique et sociale et pour dépasser les contradictions qui minent le système », pour reprendre une expression de Madjid Benchikh. D’ailleurs, lors des deux premières joutes électorales, les candidats se présentent, selon l’article 40 de la constitution du 23 février 1989, au nom des associations à caractère politique.
Dans une vraie ouverture, peut-on faire de la politique sans reconnaître au préalable les partis politiques ? À vrai dire, le piège consiste à contrôler ces associations en finançant leurs activités. Seuls deux partis, le FFS du charismatique Hocine Ait Ahmed et le FIS d’Abassi Madani, refusent ces subventions. Dans ces conditions, hormis ces deux partis, la marge de manœuvre des autres partis est uniment réduite. Le jour où les financeurs auront besoin d’eux, ils ne pourront pas se dérober. Ainsi, bien que certains puissent tenir des discours tranchants envers le gouvernement réformateur, dans la réalité, ils obéissent au pouvoir occulte.
Cependant, s’il y a un point qui fait loger les deux pouvoirs, apparent et occulte, à la même enseigne, c’est que les Algériens ont une seule motivation : s’allier au parti qui rejette le pouvoir. Ainsi, lors des premières élections libres depuis l’indépendance, tenues le 12 juin 1990, le FIS rafle la mise. Et même quand les circonstances ne l’aident pas, la loi électorale, conçue pour favoriser le parti arrivant en tête, fait le reste.
Du coup, avec un poids électoral de 34%, le FIS obtient 57% d’Assemblées communales et 66% d’Assemblées de wilayas. Et à en croire l’ancien harki du système, Sid Ahmed Ghezali, avant même la tenue des élections, la manœuvre des décideurs visait à confier la gestion des communes défaillantes à l’opposition. Le but étant de discréditer, aux yeux des Algériens, l’incompétence de ces nouvelles majorités. En un mot, le régime joue l’avenir du pays en pariant sur l’échec des nouvelles Assemblées locales.
Au lieu de se démener pour proposer une gestion exemplaire des affaires, le régime joue avec le feu. D’ailleurs, même lorsque le gouvernement réformateur tente  de mener les réformes, le pouvoir occulte, quant à lui, étudie les scénarios en vue de piéger le peuple algérien. Ainsi, dès décembre 1990, Khaled Nezzar, le tout puissant ministre de la Défense, « soumet confidentiellement au premier ministre Mouloud Hamrouche un document extraordinaire, révélateur à lui seul du rapport très singulier …que les nouveaux chefs de l’armée algérienne entretiennent avec le pouvoir exécutif », écrit François Gèze. Ce rapport sera publié plus tard par Khaled Nezar en 1999.
Quant à la réaction de Mouloud Hamrouche, celui-ci aurait refusé le deal, selon toujours François Gèze, car le scénario était antinomique avec l’esprit réformateur de son gouvernement. Mais, quelle est la teneur de ce scénario. Celui-ci « appelle la mise en œuvre de deux plans : un « plan A » visant à réaliser les conditions pour un succès électoral des forces démocratiques avec participation des formations islamistes ; et, en cas d’échec du « plan A », un « plan B », pour neutraliser d’autorité les formations extrémistes avant l’échéance des élections », note-t-il.
Dans la réalité, seul le « plan B » a les faveurs du haut commandement militaire. Et pour cause ! Le gouvernement Hamrouche, en programmant les élections législatives pour le 26 juin 1991, élabore une loi électorale, certes sévère, mais qui garantit la défaite du FIS. Bien que la réaction des dirigeants du FIS soit violente, si les militaires avaient soutenu Mouloud Hamrouche, il n’y aurait pas eu de tragédie nationale. Car, le découpage électoral favorise le FLN réformateur et le FFS. En plus, Hocine Ait Ahmed, en politicien chevronné, accepte une alliance avec le FLN réformateur. Dans les milieux algériens, les gens parlent d’un gouvernement républicain, issu d’une alliance FFS-FLN réformateur.
Toutefois, en réaction à ce découpage électoral –qui ressemble étrangement aux termes du plan A –, le FIS appelle à une grève générale et exige, dans la foulée, la tenue d’une élection présidentielle anticipée. Au lieu de soutenir le gouvernement, l’armée se met à l’écart, dans le premier temps, pour laisser le FIS déstabiliser le gouvernement, et dès que les rues commencent à se vider –ce qui annonce l’échec de la grève –, la police politique entre en scène pour envenimer la crise. En obtenant la démission du gouvernement Hamrouche, il va de soi que le « plan A » est définitivement rangé au placard.  En visionnaire averti, Hocine Ait Ahmed commente le départ du gouvernement Hamrouche en disant : « j’entends le bruit des bottes ».
La suite va confirmer cette allégation. Car, quelques jours après la démission de Mouloud Hamrouche, un nouveau gouvernement est nommé. Dès sa prise de ses fonctions, Sid Ahmed Ghezali s’attaque à la loi électorale de son prédécesseur, votée deux mois plus tôt. En portant le nombre de députés de 295 à 430, Sid Ahmed Ghezali corrige certes le découpage sévère, mais offre la victoire sur un plateau au FIS. « Le nouveau premier ministre Sid Ahmed Ghezali avait promis l’organisation d’élections libres et honnêtes, avec une nouvelle loi électorale, ce qui pouvait ressembler aussi à la victoire du FIS », écrit William Quandt, auteur « société et pouvoir en Algérie ».
Après la tenue de son congrès à Batna, le FIS tergiverse et ne décide de participer aux élections du 26 décembre que douze jours avant le scrutin, et ce, malgré l’emprisonnement de ses deux leaders, Abassi Madani et Ali Belhadj, arrêtés le 30 juin 1991.
En outre, en dépit de la proposition de Hocine Ait Ahmed d’une élection proportionnelle, les décideurs optent pour un mode de scrutin majoritaire à deux tours. Du coup, bien que le FIS perde plus d’un million de voix par rapport aux élections municipales de juin 1990, il obtient 188 sièges dès le premier tour –suivi par le FFS avec 25 sièges et le FLN avec 15 sièges –et il est en ballotages favorables dans beaucoup de circonscriptions.
Comme en juin 1990, la victoire du FIS est assurée par un quart de l’électorat, en revanche, en suffrages exprimés, cela représente 47,3%. Alors que dans tous les pays démocratiques la question de remettre en cause le choix des citoyens n’effleure même pas l’esprit des dirigeants –cela dit, il faut reconnaître que ce choix risque de couter cher à l’Algérie, car les vainqueurs veulent remplacer les dirigeants en place en ajoutant encore une dose de rigueur –, le haut commandement commence à manœuvrer, dès le lendemain des élections, en vue d’annuler le processus démocratique.
Malgré les interventions du chef charismatique de la révolution algérienne, Hocine Ait Ahmed, pour la poursuite du processus électoral –il n’y a que les naïfs qui croient qu’en annulant le processus démocratique, les auteurs du coup d’État pourraient sauver la démocratie –, la machine est déjà lancée. En s’appuyant sur « les différents partis démocratiques ultraminoritaires créés sur l’initiative du clan Belkheir en 1989 », pour reprendre l’expression de François Gèze, le clan Nezzar donne un coup de massue à la République.
Pire encore, des acteurs malhonnêtes de la société civile iront jusqu’à dévier la marche du 2 janvier 1992 –organisée, pour rappel, à l’initiative de Hocine Ait Ahmed, pour rejeter à la fois l’État policier et l’État intégriste – de son objectif initial et ils l’utilisent pour justifier leur appel à l’armée. De là est née, un certain 11 janvier 1992, une alliance entre les civils, des acteurs politiques minoritaires et le haut commandement militaire, connus plus tard sous le nom d’éradicateurs,  pour mettre fin au processus démocratique.
Pour  conclure, il va de soi que la démocratie algérienne était victime du système électoral élaboré par les dirigeants en vue de fausser le processus démocratique. Et pourtant, malgré les grenouillages politiques tous azimuts, les Algériens ont joué le jeu jusqu’au bout. Et sans l’intervention de Khaled Nezzar et de ses amis en juin 1991, on aurait eu une victoire des républicains, emmenée par la coalition Hamrouche-Ait Ahmed. Hélas, le haut commandement militaire tenait à son « plan B ». En offrant une victoire au FIS en décembre 1991, le haut commandement militaire trouve le seul argument justifiant le retour à l’ère du parti unique. Mais la question qui taraude plusieurs observateurs, c’est pourquoi le haut commandement refuse d’assumer le coup d’État ?  Pourquoi cherche-t-il le truchement en créant un vide constitutionnel pour justifier son acte ? Ce sont des questions auxquelles on n’aura peut-être jamais de réponse.
Aït Benali Boubekeur

3 Commentaires

  1. Cette analyse corrobore les déclarations de l’ancien ministre Taleb El Ibrahimi sur la chaine AL Jazeera en 2013 lorsqu’il insinuait que  »la démission ou le limogeage » du président Chadli Bendjdide n’était pas fortuite. Nous comprenons par ses déclarations que les militaires voulaient torpiller par n’importe quel moyen le processus démocratique en Algérie en refusant toute proposition venant du FIS ou toute autre formation politique.la suite on la connait tous!!!
    http://lequotidienalgerie.org/2013/07/28/video-revelations-dahmed-taleb-al-ibrahimi/

    • @Mounir
      Pardon, cher internaute, mais Ahmed Taleb Ibrahimi n’est pas une référence pour parler de démocratie ou de gouvernance ou de quoique se soit de ce genre ! On connait sa musique. Il aurait pu tenir ce type de langage avant 1992, c’est à dire quand il était plusieurs fois une sorte de « ministre plénipotentiaire » avec beaucoup, beaucoup de pouvoir du temps de Boumediène et de Chadli !

  2. Mounir– N’oubliez pas que Taleb Ahmed a « vécu » tous les pouvoirs qui se sont succèdés depuis 1962, exception faite durant quelques périodes mouvementées (feu son père El Ibrahimi s’étant opposé à Ben Bella)durant lesquelles il a été emprisonné et subi de terribles tortures.C’est lui en effet qui est venu à la télévision justifier l’injustifiable coup d’état de Boumediene qu’il a servi soit comme ministre de l’arabisation de l’éducation nationale,soit comme conseiller .Durant ces périodes,il a été au courant de l’assassinat de Khider Mohamed,de Krim Belkacem,puis sous Chadli d’Ali Mécili.
    KS

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